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Quand la Suisse exportait ses pauvres

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Jeudi, 27 Octobre, 2016 - 05:47

Eclairage. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la misère qui sévissait en Suisse a généré une importante émigration, notamment dans le sud-ouest de la France. Dans «Cathala», Madeleine Knecht-Zimmermann raconte cet épisode méconnu.

A diverses époques, des centaines de milliers de Suisses émigrèrent dans l’espoir d’une vie meilleure. Vers les Amériques, l’Australie… et vers la France. Thème d’une actualité aujourd’hui inversée. Le livre de Madeleine Knecht-Zimmermann, Cathala - L’auberge de ma mère, autobiographique et documenté, raconte comment vivaient ces exilés volontaires dans la région d’Agen, dans le Lot-et-Garonne. Un épisode peu ou pas connu.

On ne se souvient guère de la pauvreté en Suisse au lendemain de la Première Guerre mondiale. Beaucoup avaient perdu leur emploi ou n’en trouvaient pas, les terres manquaient pour faire vivre les familles paysannes aux nombreux enfants. D’où la forte émigration dans les années 1920 et 1930. Le gouvernement avait créé un Office fédéral de l’émigration pour encourager et faciliter ces départs, aider aussi, parfois, le retour de ceux, nombreux, qui n’avaient pas réussi à prendre pied à l’étranger.

Ce bureau avait même envoyé un fonctionnaire à Agen pour orienter les nouveaux arrivants et vanter cette destination dans les médias suisses. Pourquoi Agen? Parce que y abondaient les domaines délaissés après la boucherie de 1914-1918 et parce que la relève paysanne était réduite du fait d’usages locaux qui restreignaient les naissances. En 1926, on comptait 3000 Suisses dans cette ville et ses environs, le consulat de Bordeaux en enregistrait 25 000 dans son rayon.

L’intégration de ces immigrés, pour la plupart alémaniques, n’était pas facile. Ils demandèrent qu’on leur envoie un curé et un pasteur helvétiques. Il en arriva un, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, qui, avec sa femme, anima une sorte de centre d’accueil dans une belle maison, Cathala. L’auteure est la fille de cette famille protestante. Elle fréquenta l’école publique, connut ainsi la société française de l’intérieur ainsi que la condition des visiteurs venus chercher un peu de réconfort… en parlant le suisse allemand.

Ce témoignage, écrit avec une élégante simplicité et une sincérité crédible, en dit long sur l’âpreté de l’exil, même volontaire, même dans un lieu relativement proche. Difficulté de langues, approche malaisée des habitudes locales. Mais, à en croire ce récit, peu ou pas de rejet. Plutôt de la bienveillance. Et, surtout, chez ces arrivants d’ailleurs, une grande volonté de s’adapter, de ne heurter personne.

Madeleine Knecht évoque avec humour et gourmandise la découverte de la gastronomie du Sud-Ouest par ces Suisses de la campagne, plus familiers du rösti et des saucisses que du foie gras, des fruits, des légumes variés… et des escargots. Invitée chez une copine de classe, elle osa demander la recette du plat que préparait la mère. Pas question, secret de famille. Elle observa alors la cuisinière tout en bavardant pour éviter d’être soupçonnée d’espionnage culinaire! Etonnement: «Un coquillage sur mon assiette. Est-ce que ça se mange? Voilà un artichaut.»

Un affront

L’ex-professeure de français, maintenant Lausannoise, à l’enfance franco-suisse, trouve les mots justes. Ainsi, pour parler de sa mère, une Bernoise qui n’était guère sortie de son canton avant Agen, qui n’apprit jamais le français. En arrivant, elle avait peur des étrangers. Son pays natal était pour elle «un jardin environné de démons et d’êtres fabuleux, monstrueux». Elle disait souvent: «En Suisse, ça n’arriverait pas.»

Vingt ans après son retour, elle affirmait plutôt: «En France, ça n’arriverait pas.» Et, le dimanche où l’adhésion à l’Espace économique européen fut rejetée, elle pleura: «Ils ont osé. Quand je pense comment les Français ont été pour nous! Les Suisses, eux, ont osé leur jeter cet affront.»

Que sont devenus ces greffons helvétiques? Beaucoup sont rentrés. Leurs enfants devenus de bons Français. Plusieurs maires des communes ont des noms bernois, appenzellois ou vaudois. Des amis et connaissances de l’auteure cherchent en vain son ouvrage dans la librairie d’Agen. Le Lot-et-Garonne reste si loin de nos montagnes… et de Paris.

Le livre bannit tout bavardage politico-sociologique. Il fait vivre une époque, un lieu, des hommes et des femmes, décrits avec concision, quelques dialogues qui sonnent aussi vrai que dans un Simenon. Des images et des odeurs aussi. Le souvenir des crues de la Garonne qui inondait la ville et, après son passage, laissait les portes en bois gonflées et les rues couvertes de boue. La maison familiale où tant de Suisses en désarroi trouvaient accueil. Où la mère n’avait qu’une question: «Avez-vous mangé?»

Un seul regret: la période de la guerre telle qu’on la racontait dans cette famille n’apparaît pas. Les Suisses, explique aujourd’hui Madeleine Knecht, faisaient très attention d’éviter toute familiarité, qu’aurait pu faciliter une langue commune avec les occupants. L’un d’eux, pourtant, invita deux officiers allemands chez lui. Cela tourna très mal pour lui. Les maquisards avaient la vengeance fatale.

Sous ses airs d’aimable roman, Cathala, c’est un bout inattendu de l’histoire suisse qui émerge. Sans un soupçon de pédanterie. La rendant proche, incarnée.

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