Serge Jubin
Eclairage. Grâce à sa capacité à s’adapter et à innover, l’industrie manufacturière, horlogère en particulier, continue à générer de la richesse, même si le canton peine à la capter. Cette prospérité contribue à faire du PIB neuchâtelois par habitant le sixième de Suisse.
Les situations paradoxales, le canton de Neuchâtel les cultive: alors qu’il subit le plus haut taux de chômage et d’aide sociale en Suisse, qu’il se confronte à une forte détérioration de ses finances, il figure néanmoins parmi les cantons les plus prospères du pays. Et les banques cantonales romandes ainsi que l’institut Crea prévoient une croissance du produit intérieur brut neuchâtelois de 1,2% en 2016 et de 1,8% en 2017 (voir infographie). Un tour de force que la République doit non seulement à sa capacité à résister, mais surtout à ses aptitudes à innover.
Ces facultés à créer de la richesse se manifestent plus particulièrement dans l’industrie manufacturière, qui contribue à 40,7% au PIB du canton, dont 19,1% pour l’horlogerie, ressort-il des chiffres fournis par la Banque cantonale neuchâteloise. Il est vrai que, pour se maintenir à ce taux élevé, le secteur «réussit à s’adapter, à innover et à accroître la valeur de ses produits malgré la conjoncture, la concurrence accrue, le manque de visibilité et le franc fort», analyse Marie-Laure Chapatte, conseillère économique de la BCN.
La dépendance industrielle et horlogère représente-t-elle une chance ou un risque pour Neuchâtel? «Une chance, répond sans hésiter le ministre de l’Economie, Jean-Nat Karakash. L’horlogerie est un puissant moteur pour le savoir-faire régional depuis trois siècles. Nous avons développé des capacités d’innovation exceptionnelles, des compétences dans l’industrialisation de très haute précision et un tissu de sous-traitance flexible et réactif.»
Le directeur de la Chambre neuchâteloise de commerce et d’industrie, Florian Németi, ne dit rien d’autre: «C’est une bonne chose d’asseoir son économie sur un volet productif. Même si, avec 95% de production exportée, l’industrie est soumise aux aléas conjoncturels, avec des crises fortes. Cette situation contraint d’adopter un modèle d’innovation permanente, qui implique toujours davantage de tertiaire dans la production industrielle.»
Le chef du Service cantonal de l’économie, Christian Barbier, souligne l’importance prise par l’appui tertiaire à l’industrie. Par exemple au travers de la propriété intellectuelle. «Neuchâtel est leader en Suisse pour le dépôt de brevets par habitant», fait-il remarquer. «Les outils numériques feront de plus en plus tomber les frontières entre industrie et services, renchérit Marie-Laure Chapatte. Les deux s’opposeront de moins en moins grâce à la quête d’innovation.»
Neuchâtel n’aurait-il pas besoin de diversifier une économie qu’on assimile souvent à la monoculture horlogère?
«Nous devons focaliser notre positionnement sur nos forces et être les meilleurs dans la très haute précision, reprend Jean-Nat Karakash. Le développement horloger a induit un écosystème industriel unique qui favorise des développements dans les machines, l’électronique, le medtech. Avec des perspectives d’expansion dans les sciences de la vie, l’industrie du luxe, les énergies renouvelables, etc. Le tertiaire n’est jamais loin de ces activités, puisque les services stratégiques aux entreprises connaissent une très forte croissance, que ce soit la recherche, la propriété intellectuelle, la logistique, la productique, le design industriel, les services financiers.»
Cette richesse qui se disperse
Des perspectives qui, dans l’idéal, pourraient améliorer la santé défaillante des finances cantonales, notamment sur le plan fiscal. Cependant, «les entreprises globales répartissent leurs gains à l’échelle mondiale, dit Christian Barbier. Il serait utopique de croire que chaque région a droit au centre de décision d’une entreprise globale, même si nous collaborons au quotidien pour renforcer les liens de proximité.»
Neuchâtel est encore pénalisé par la pendularité des Suisses. «Ceux qui travaillent dans le canton et habitent ailleurs sont aussi nombreux que les frontaliers, constate Florian Németi. En regagnant leur domicile, ils emportent de la richesse produite ici. Ces pendulaires sont plutôt de la classe moyenne supérieure, celle qui nous fait défaut.» «Comment faire en sorte que les richesses produites circulent plus longtemps dans la région?, s’interroge le ministre Karakash. Nous y travaillons.»
Crédits images: Hebdo