Votation.Comment l’initiative de l’UDC sur l’immigration toucherait-elle le secteur de la santé, très dépendant de la main-d’œuvre étrangère? Enquête et reportage au cœur de l’Hôpital Riviera Chablais.
Il rayonne, Carlos Costa: sa femme, infirmière comme lui, est enceinte. Ce Portugais de 31 ans travaille depuis trois ans et demi sur le site de réadaptation et de soins palliatifs de l’Hôpital Riviera Chablais Vaud-Valais (HRC), à Blonay. Ils ont désormais tout l’avenir devant eux. Depuis leur arrivée en Suisse en 2010, ils ont déniché un emploi grâce à la libre circulation des personnes. Ils en sont les premiers bénéficiaires, mais pas seulement. «La Suisse, son économie et ses hôpitaux profitent aussi de l’ouverture du marché du travail. C’est une situation gagnant-gagnant», relève Carlos Costa.
Jusqu’à quand? L’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse» fait planer une lourde menace sur le secteur de la santé en Suisse, où les étrangers occupent 32% des emplois, contre 22% pour le reste de l’économie. C’est la raison pour laquelle la Fédération des hôpitaux vaudois (FHV) s’inquiète des conséquences de l’initiative si le peuple devait l’accepter le 9 février prochain, au point de s’impliquer dans la campagne pour la combattre. «Sans cette main-d’œuvre étrangère, nos hôpitaux ne fonctionneraient plus», souligne la secrétaire générale de la FHV, Patricia Albisetti.
Casse-tête. Le directeur des ressources humaines de l’Hôpital Riviera Chablais, Emmanuel Masson, connaît ce dossier par cœur. Avant de reprendre cette fonction dans le Chablais, il l’a occupée au CHUV durant vingt ans. Pour rien au monde, il ne voudrait revivre l’époque des contingents, lors de laquelle le recrutement de personnel qualifié était un vrai casse-tête.
C’était certes le régime de la préférence nationale si chère à l’UDC, mais en fait un système aussi lourd qu’inefficace. Chaque employeur devait faire la preuve d’avoir cherché la perle rare sur le marché local avant de se tourner vers l’étranger. Les hôpitaux disposaient bien sûr de tous les dossiers des soignants au chômage dans le canton de Vaud. En vain. Impossible de les engager, presque toujours en raison de problèmes personnels. A la fin, le résultat était toujours le même: une perte de temps de trois mois et beaucoup de paperasserie échangée avec le Service cantonal de l’emploi et le SECO à Berne, deux instances étatiques appelées à se prononcer sur chaque cas individuel!
Avec ses 1900 collaborateurs, dont 740 étrangers (soit 39%, y compris 150 frontaliers), le HRC affiche un fort taux de main-d’œuvre venue de l’extérieur. A-t-il dès lors choisi la solution de facilité sous le régime de la libre circulation des personnes? «Pas du tout, se justifie Emmanuel Masson. Ces dernières décennies, la Suisse n’a pas formé suffisamment de médecins et d’infirmiers, de sorte qu’elle souffre d’une situation de pénurie qui nous oblige à recruter à l’étranger.»
Pour le directeur des ressources humaines de l’hôpital, engager du personnel à l’extérieur de la Suisse est à la fois un risque et une chance. Un risque, car le soignant venu d’Europe voire d’outre-Atlantique sera souvent moins longtemps fidèle à l’entreprise. Une chance aussi, car un étranger apporte avec lui sa propre philosophie en matière de pratique des soins. «Cette confrontation des cultures constitue un enrichissement pour notre établissement», note Emmanuel Masson.
Plus que le salaire, de deux à trois fois supérieur en Suisse par rapport à la France voisine ou au Portugal, c’est souvent ce point que soulignent en premier lieu les infirmiers étrangers. «J’ai trouvé ici des conditions de travail qui correspondaient à mes valeurs en termes d’écoute et de respect du patient», témoigne Stéphanie Colombey, infirmière cheffe du centre de traitement et de réadaptation (CTR) de l’Hôpital Riviera.
Domiciliée à Evian, cette mère de deux enfants de 15 et 20 ans brave depuis vingt-cinq ans les contraintes du statut de frontalière. Elle ne regrette rien, même si elle a dû longtemps se lever à 5 h 30 du matin et jongler avec les nounous pouponnant, puis encadrant ses deux fistons. Le salaire est important: il a permis de financer les mamans de jour, vacances et autres études des enfants. Mais les conditions de travail aussi: «En termes de personnel, les hôpitaux suisses sont mieux dotés. En France, les moyens sont plus restreints, ce qui engendre des tensions dans les équipes et de l’insatisfaction au travail, malgré la semaine de trente-cinq heures seulement.»
Même son de cloche chez Emilie André. Agée de 32 ans, cette Haut-Savoyarde a terminé sa formation d’infirmière en 2009 à Thonon-les-Bains avant d’être engagée elle aussi dans l’hôpital chablaisien. «A l’école, on nous a enseigné la philosophie de la pionnière des soins infirmiers, Virginia Henderson, insistant sur l’importance de la relation au patient, mais on n’a plus guère le temps de la mettre en pratique en France», regrette-t-elle. Son poste à l’Hôpital Riviera lui permet de s’épanouir sur le plan professionnel en Suisse, tout en gardant sa vie privée en France, où elle a acheté une maison avec son ami. Elle avoue être «privilégiée» d’avoir trouvé ce travail, d’autant plus que dans le canton de Vaud, son statut de frontalière n’a rien de pestiféré.
Le retour de la paperasse. Stéphanie Colombey, Carlos Costa et Emilie André: trois soignants qui ont trouvé leur bonheur dans un hôpital quant à lui tout heureux de recourir à leurs services alors que la Suisse n’a pas suffisamment investi dans la formation.
«Sans eux, on devrait fermer de nombreux lits et réduire sensiblement l’offre des soins», résume Emmanuel Masson.
Pourquoi l’UDC veut-elle dès lors remettre en question un système qui fonctionne bien? «Notre initiative ne vise pas à empêcher de recruter une main-d’œuvre nécessaire, comme dans la santé, mais à limiter l’immigration dont nous n’avons pas besoin, celle qui ne travaille pas ou plus et qui pourrait peser demain sur nos œuvres sociales lorsque surviendra la prochaine crise économique», répond le conseiller national UDC Yves Nidegger.
Il n’empêche qu’elle fait peur aux milieux de la santé. «Son acceptation signifierait un recul de quinze ans dans le temps en donnant un très mauvais signal: celui du retour d’une coûteuse et lourde paperasserie administrative à l’heure où tous les hôpitaux sont sous la pression économique des assureurs», avertit Patricia Albisetti. La réintroduction des contingents rigidifierait le système et les retards pris dans les engagements péjoreraient la qualité des soins au détriment des patients», ajoute-t-elle.
En fait, pour le secteur de la santé, l’initiative de l’UDC ne résout aucun problème. C’est bien là le piquant de l’histoire: sous prétexte de préférence nationale, en l’occurrence impossible à appliquer tant le marché du travail est asséché, elle ne fait que réintroduire une bureaucratie étatique qu’elle abhorre par ailleurs!
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Soirée débat avec Simonetta Sommaruga
Ce mardi 7 janvier, Economiesuisse et la Fédération des hôpitaux vaudois (FHV), en partenariat avec L’Hebdo, organisent une soirée-débat sur l’initiative de l’UDC «contre l’immigration de masse». Celle-ci sera marquée par les interventions de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga et du conseiller d’Etat vaudois Pascal Broulis, qui la combattent. Un débat contradictoire opposera enfin les deux conseillers nationaux Adèle Thorens (Verts/VD) et Yves Nidegger (UDC/GE).
Hôtel Mont-Blanc au Lac, Morges, de 18 h à 19 h 30.
D’autres séances d’information: www.bilaterales.ch/events