Anaelle Vallat
Entretien. Connu pour ses dessins engagés, le Palestino-Syrien Hani Abbas s’essaye à la peinture sur bitume, le temps d’une exposition à Marly.
C’est au hasard d’une rue qu’est venue à Hani Abbas l’inspiration à l’origine de son exposition à la Fondation APCd à Marly (FR). «Je marchais sur une route quand est apparu un homme en jaune devant moi. C’était un de ces personnages qui guident le trafic. Puis j’en ai aperçu un autre, couché à côté d’un passage piéton, tenant la main de son fils. Jaune encore», raconte le dessinateur.
Très européens, les pictogrammes peints sur le bitume étaient inconnus du réfugié syrien fraîchement débarqué. Pour lui, ces bonshommes qui le hantent «ont un esprit». «Je ressentais de la honte à marcher dessus, j’avais l’impression que je me devais de les éviter.»
Artiste engagé en Syrie, Hani Abbas a dû fuir son pays en 2013, devenu trop dangereux pour un esprit contestataire comme le sien. Il continue son combat en Suisse, en dénonçant avec humour et justesse les horreurs vécues par son peuple. Son travail est aussi nourri de son expérience du quotidien en Suisse, où il est désormais installé.
De l’asphalte au mur
En 2014, Hani Abbas commence à dessiner des posters reprenant les figures de ces pictogrammes. La guerre en Syrie, «toutes ces bombes qui tombent là-bas et tuent des gens et des enfants», est toujours présente à son esprit. Son premier poster: un homme fuyant les bombardements, portant sa fille blessée dans les bras.
Il lui vient alors l’envie de peindre ces personnages directement sur l’asphalte. «Cette idée est devenue une obsession, elle tournait sans cesse dans ma tête. Comment faire pour que ces petits bonshommes jaunes soient transposés du sol aux murs pour devenir des peintures et qu’on ne leur marche plus dessus.»
Après quelques recherches, l’artiste découvre de l’asphalte en rouleau dans un magasin de bricolage. Mais ces plaques sont compliquées à mettre en place sur sa table de cuisine. Fort d’une longue amitié avec Pierre Eichenberger, fondateur de l’APCd, il lui soumet son projet.
Enthousiaste, la fondation qui a pour but d’encourager de nouvelles approches de l’art contemporain dans toutes les catégories (musique, sculpture, peinture, performances), lui ouvre ses portes durant deux mois et lui offre un logement à proximité afin qu’il puisse réaliser ses peintures dans un espace artistique à la mesure de son ambition. Hani Abbas, troisième artiste à bénéficier d’une telle résidence à Marly, peut enfin coucher son obsession sur le bitume.
Pour ce spécialiste du dessin de presse et de la caricature, l’expérience n’est finalement pas si éloignée de son travail habituel. «Au fond, je peins des hommes en forme de cartoon.» L’exposition s’intitule d’ailleurs Cartoons on Asphalt. Les pictogrammes jaunes prennent vie et dénoncent avec simplicité des vérités violentes sur le quotidien de guerre, l’impuissance des victimes. «Autant de coups de poing sur la conscience», souligne la Fondation APCd.
Dans tous les cas, le dessinateur fait remarquablement passer son message: «Je me sens heureux que personne ne marche plus sur mes personnages jaunes.» Une manière de leur rendre leur dignité, au moment même où, en Syrie, les droits humains et toute une population continuent à être foulés aux pieds quotidiennement.
«Cartoons on Asphalt». Marly, APCd Fondation. Du 11 novembre 2016 au 12 février 2017 dans le cadre de l’exposition «Collectionnite et suite». www.apcd-fondation.com