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Analyse. Les tribunaux spéciaux pour régler les différends entre les multinationales et les Etats préconisés dans l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada ont soulevé un tollé. A Berne, on y serait favorable.
Une effervescence inhabituelle a régné la semaine dernière à Holzikofenweg 36, à Berne. Les hauts fonctionnaires au Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) avaient les yeux rivés sur le psychodrame qui se jouait à Bruxelles à propos du traité de libre-échange entre l’Union européenne (UE) et le Canada, plus connu sous son acronyme anglais CETA.
Acculée par une Wallonie récalcitrante et décidée à jouer les trouble-fêtes, la Belgique a tenu toute l’Europe en haleine. L’accord a fini par être signé dimanche dans la capitale européenne. Les négociateurs commerciaux suisses ont alors sans doute poussé un grand ouf de soulagement.
Le CETA n’a pourtant aucune implication directe pour Berne. D’autant qu’un accord de libre-échange entre le Canada et l’Association européenne de libre-échange (AELE, qui comprend la Suisse, la Norvège, le Liechtenstein et l’Islande) est en vigueur depuis 2009. Il couvre le commerce des marchandises, notamment l’abolition des droits de douane pour les produits industriels. L’an dernier, les exportations suisses vers le Canada ont atteint 3,5 milliards de francs contre des importations à hauteur de 1,02 milliard.
Mais, déjà en 2012 et à la demande de Berne et d’Oslo, des discussions ont été ouvertes pour une remise à jour de l’accord avec Ottawa. Le SECO entend y introduire le volet «Services» qui comprend notamment banques et assurances, voyage, tourisme, conseils.
La Suisse, cinquième investisseur au Canada, pourrait aussi saisir cette occasion pour demander d’inclure une disposition spécifique relative à la protection des investissements et un mécanisme de règlement de différends. C’est justement ce point précis qui hérisse l’opposition au CETA à travers l’Europe.
L’introduction d’un mécanisme d’arbitrage est pourtant une nécessité dans tout accord sur les investissements. L’idée de se protéger contre toute éventuelle nationalisation ou changement de politique pouvant nuire aux intérêts des investisseurs est même sensée.
Si, dans ses relations économiques avec les pays de l’OCDE, la Suisse ne prévoit pas une telle protection, elle l’a cependant imposée à une centaine de pays en développement ou émergents pour défendre les intérêts de ses entreprises. C’était même une fierté pour la diplomatie suisse d’avoir inscrit une telle disposition dans l’accord de libre-échange avec la Chine, qui est entré en vigueur en 2014.
La protection des investissements fait aussi partie intégrante du projet d’accord de libre-échange entre les Etats-Unis et l’UE (TTIP). Des négociations que la Suisse suit de près. S’il aboutit, ce traité pourrait discriminer certaines importations suisses sur le marché américain. Raison pour laquelle des diplomates helvètes ont, à diverses reprises, laissé entendre que Berne devrait trouver des astuces pour intégrer le TTIP. Autant dire que la Suisse se sent à l’aise avec l’idée d’un tribunal d’arbitrage.
Des traités déjà encadrés
Les négociations multilatérales du cycle de Doha étant cliniquement mortes au sein de l’Organisation mondiale du commerce, la Suisse, comme la plupart des grands pays dont les économies sont tournées vers l’extérieur, multiplie les accords bilatéraux de libre-échange. Outre le Canada, Berne peut se targuer d’avoir conclu des traités avec la Corée du Sud, le Japon, la Chine.
Après un blocage de plusieurs années, les négociations ont même repris avec l’Inde. Les accords relativement récents, dits de deuxième génération, ne se limitent pas à la question des droits de douane sur les produits industriels, mais contiennent aussi des engagements substantiels en matière de services, d’environnement, des marchés publics et, surtout, d’investissements.
Là où le bât blesse, c’est l’entêtement des grands Etats, y compris la Suisse, de vouloir créer des tribunaux spéciaux où les investisseurs pourraient poursuivre les Etats. La justice nationale ne suffit-elle pas? Et le cas échéant, la Banque mondiale dispose déjà d’une instance de règlement de différends entre entreprises et Etats. Elle a fait ses preuves. Notamment dans le cas du cimentier suisse Holcim qui avait été nationalisé au Venezuela en 2010. Caracas a versé la dernière tranche de la compensation en 2014.