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Qui veut la peau de la SSR?

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Jeudi, 3 Novembre, 2016 - 05:58

Michel Guillaume et Céline Zünd

Enquête. Comment une alliance de circonstance entre la droite dure, emmenée par l’UDC, et les éditeurs alémaniques veut rogner les ailes de la SSR.

Cet objet-là est passé totalement inaperçu durant la dernière session parlementaire, où tous les regards étaient braqués sur la réforme des retraites et la mise en œuvre de l’initiative UDC «Contre l’immigration de masse». Le 21 septembre, le Conseil national a pourtant approuvé un postulat de l’un des plus féroces détracteurs de la SSR, Christian Wasserfallen.

Le libéral-radical bernois a réclamé et obtenu un complément au rapport du Conseil fédéral sur l’avenir du service public dans l’audiovisuel, soit une analyse de son mandat à la lumière du «principe de subsidiarité». La ministre de la Communication, Doris Leuthard, a eu beau déclarer que ce principe ne figurait nulle part dans la Constitution. Elle n’a pu que constater sa défaite.

Un simple vote très serré (93 voix contre 92) et rien de plus, pourrait-on penser. En fait, ce vote est un signal d’alarme pour la SSR. Il montre à quel point ses opposants sont montés en puissance ces dernières années.

Quant au sujet du postulat, il est capital. Dans l’audiovisuel, le «principe de subsidiarité» est une notion très floue, selon laquelle le service public doit accomplir uniquement les tâches que ne peuvent pas assumer les médias privés. Le débat peut vite prendre des allures surréalistes. Est-ce parce que Léman Bleu ou TeleZüri réalisent des journaux télévisés, organisent des débats politiques et donnent la météo que la RTS devrait se priver du 19:30, d’Infrarouge et des bulletins de Philippe Jeanneret?

«Cette discussion est ridicule. Elle ouvre la porte à l’immixtion du politique dans les programmes de la SSR, ce qui est inadmissible», avertit Matthias Aebischer (PS/BE), lui-même ancien journaliste du service public. Elle révèle pourtant l’immense clivage entre une Suisse romande qui plébiscite la SSR et une Suisse alémanique qui la voue aux gémonies. «Ce climat malsain qui règne chez nous est très dangereux, car la Suisse a besoin d’une SSR forte. Nulle autre entreprise n’incarne mieux notre pays qu’elle», souligne l’élu.

Il se déroule en Suisse alémanique une guerre de tranchées dont les Romands n’ont pas encore mesuré l’ampleur, ni pris conscience des conséquences qu’elle pourrait avoir pour eux aussi. Outre-Sarine, il ne se passe plus de semaine sans que les éditeurs privés sortent la Grosse Bertha pour ferrailler contre la SSR et son directeur général, Roger de Weck.

Ils se sont d’abord battus pour maintenir l’interdiction faite à la SSR de diffuser de la publicité sur l’internet, puis ont fait campagne contre la nouvelle perception de la taxe radio-TV, adoptée de justesse par le peuple en juin 2015. Deux mois plus tard, ils ont ouvert un nouveau front en apprenant que la SSR participait à la co­entreprise Admeira avec Swisscom et le groupe Ringier, éditeur de L’Hebdo. Ils crient à la «distorsion de concurrence» et ont entrepris un lobbying intense auprès des élus à Berne (lire"Admeira: Tamedia n’en a pas voulu").

Une alliance de circonstance

Le front anti-SSR s’est donc largement étoffé ces derniers mois. Il résulte d’une alliance objective entre deux camps qui ont à la base peu de choses en commun. D’un côté, une droite néolibérale qui, sous l’impulsion de l’UDC zurichoise, ne supporte plus sur la scène médiatique le poids pris par la SSR, avec ses dix-sept chaînes de radio et ses sept chaines de télévision.

De l’autre, des éditeurs privés qui ne partagent probablement pas le fonds de commerce de ce parti, mais qui le rejoignent dans sa politique médiatique dans l’espoir de créer un jour une chaîne de télévision généraliste concurrente de la SSR, en Suisse alémanique uniquement.

Sous la Coupole fédérale, les interventions se sont multipliées ces trois dernières années. Elles émanent toutes d’élus que l’on retrouve au sein de l’Action pour la liberté des médias, qui milite pour un paysage médiatique offrant de meilleures conditions-cadres aux acteurs privés. Sa présidente n’est autre que Natalie Rickli.

La conseillère nationale UDC zurichoise n’occupe d’ailleurs pas seulement un poste à responsabilités chez Goldbach, l’entreprise qui commercialise la publicité des chaînes privées suisses et étrangères, mais elle est aussi présidente de la Commission des transports et des télécommunications (CTT). C’est elle qui a demandé au Conseil fédéral un rapport sur la SSR présentant quatre variantes de financement, dont la moins élevée se situait à 500 millions, soit à peine plus d’un tiers de l’actuel budget.

Son vice-président est Christian Wasserfallen (PLR/BE), membre du conseil d’administration de Radio BERN1 et auteur du postulat controversé sur la subsidiarité. Au sein du comité – qui ne compte qu’un Romand, Philippe Nantermod (PLR/VS) – siègent encore Thomas Müller (UDC/SG), qui veut transférer la compétence d’octroyer la concession de la SSR au Parlement, et un jeune loup, Marco Romano (PDC/TI), qui, lui, souhaite limiter la présence de la SSR sur l’internet à une audiothèque et à une vidéothèque accessibles aussi aux médias privés.

Quatre élus, quatre interventions qui illustrent bien la manière dont l’Action pour la liberté des médias envisage de façonner le futur paysage médiatique: beaucoup moins de SSR et beaucoup plus d’espace pour les médias privés. «Il faut laisser respirer les privés», résume Christian Wasserfallen.

Les éditeurs privés – sauf le groupe Ringier, qui a quitté l’association Schweizer Medien après la création d’Admeira – ont désormais embouché les mêmes trompettes. Tous se défendent de vouloir la peau de la SSR, à l’instar de Pietro Supino, coiffé désormais de la double casquette de président de Schweizer Medien et du groupe Tamedia. «Notre association soutient pleinement la mission de service public de la SSR financée par la redevance, mais cette dernière doit revenir à sa mission première et ne pas se considérer comme une entreprise commerciale», déclare-t-il.

Aujourd’hui, Pietro Supino propose de limiter le budget de la SSR au seul produit de la redevance, soit 1,2 milliard de francs par an, tout en lui demandant d’offrir ses contenus en open source. De son côté, le patron d’AZ Medien, Peter Wanner, suggère de réduire d’un quart les recettes de la redevance, tout en doublant la part revenant aux TV et radios régionales privées.

Un durcissement

Longtemps, la SSR a joui d’un lobby puissant au Parlement: la gauche et le centre droit lui ont toujours assuré une confortable majorité. Ce n’est plus le cas. Au PLR, les détracteurs de la SSR sont désormais largement majoritaires. Quant au PDC, il est déchiré. Si Doris Leuthard se montre une avocate fidèle du service public, une partie de ses troupes ne la suit plus. A la tête du parti, son nouveau président, Gerhard Pfister, laisse transparaître un agacement certain, ainsi que le montre un article qu’il vient de signer dans Schweizer Monat.

«Je ne suis ni un ami, ni un opposant à la SSR», précise-t-il. Mais sa contribution est nettement plus critique que laudative. «La SSR devient de plus en plus un acteur politique qui se range du côté de la morale», déplore-t-il. Gerhard Pfister n’est pas isolé dans son parti. Les Tessinois, notamment le chef du groupe, Filippo Lombardi, et Marco Romano, partagent son scepticisme sur l’évolution de l’institution.

Au PDC, les esprits se sont aussi échauffés à l’annonce de la création de la coentreprise Admeira. Bien qu’adepte du service public, le sénateur Beat Vonlanthen (PDC/FR) a multiplié les interventions pour dénoncer cette alliance menant à une «distorsion de concurrence massive qui pourrait devenir fatale à certains éditeurs privés», s’est-il inquiété lors du débat sur la SSR au Conseil des Etats le 26 septembre dernier.

Il fait partie de ceux qui veulent réduire à un minimum la présence de la SSR sur l’internet, n’ayant pas compris – comme de nombreux politiciens d’ailleurs – que l’avenir du service public comme celui des éditeurs se jouera sur la Toile.

C’est dire que le front anti-SSR risque encore de s’étoffer à l’avenir. Parmi les éditeurs, seul le groupe Ringier dénonce l’actuelle campagne de discrédit attisée par Tamedia et AZ Medien. CEO de Ringier, Marc Walder s’en désole: «Comme les éditeurs gagnent moins d’argent avec leurs journaux et magazines, ils tentent d’affaiblir la SSR. Cette campagne est aussi injuste qu’injustifiée: elle ne rapportera pas un franc de plus aux éditeurs privés.»

Marc Walder souligne l’impérieuse nécessité de la création d’Admeira. «Les acteurs du paysage médiatique suisse doivent tout entreprendre pour qu’une part au moins de la publicité faite sur Internet reste en Suisse», souligne-t-il. Actuellement, 65% des revenus tombent dans l’escarcelle des grands moteurs de recherche et réseaux sociaux, comme Google et Facebook.

Tout simplement parce que leurs plateformes peuvent fournir aux annonceurs les données dont ils ont besoin pour cibler les publics qu’ils veulent atteindre, que ce soit les femmes, les jeunes, les automobilistes ou les golfeurs.

Dans ce but, Marc Walder lance un nouvel appel aux autres éditeurs, qui sont les bienvenus dans Admeira. «Nous sommes ouverts à tous, sans discrimination», assure-t-il. Actuellement ralenti par une procédure juridique, le projet devrait pourtant décoller l’an prochain. 
 


Peter Wanner, président d’AZ Medien

« Pas de divertissement ni de sport à la SSR. »

Peter Wanner est à la tête d’un empire médiatique qui s’étend sur toute la Suisse alémanique. Son entreprise AZ Medien possède la Schweiz am Sonntag et huit titres régionaux entre Zurich et Bâle, des magazines spécialisés et plusieurs chaînes de TV et radio locales. Innovateur, il fonde en 2013 le portail internet Watson, qui compte aujourd’hui 1,3 million de visiteurs uniques par mois. Il a préparé sa succession, ayant placé ses deux enfants, Michael et Florian, respectivement à la tête de Watson et de Radio 24.

Le patron de presse ne mâche pas ses mots à l’égard de la SSR, qu’il compare à l’Eglise catholique, «devenue trop grosse et trop puissante». Peter Wanner préconise une cure d’austérité drastique du service public: réduction «d’un quart» de la redevance et limitation de la publicité. Il est un adepte du principe de subsidiarité, estimant que le divertissement et le sport ne font pas partie du mandat de service public. «La SSR doit laisser une part du gâteau plus importante aux acteurs privés. Elle possède une part de marché de 66% alors que 50% suffiraient.» 

Pietro Supino, président de Tamedia

« La SSR doit renoncer à la publicité. »

Pietro Supino, président de Tamedia et du Verband Schweizer Medien, l’association des éditeurs alémaniques, est passé à l’offensive il y a plus d’un an. Dans une tribune parue dans Le Temps et la NZZ en mars 2015, il s’attaque à un service public devenu trop gourmand à ses yeux. Plus récemment, il s’oppose en duel, lors d’un débat, avec le directeur général de la SSR, Roger de Weck, à Berne.

Pietro Supino exige l’arrêt de l’expansion de la commercialisation de la SSR, qui doit se concentrer sur les contenus «pour lesquels il existe une légitimation publique». «La SSR est une institution publique de poids, elle ne doit pas user du privilège de la redevance pour concurrencer les médias privés», déclare le patron de presse, tout en demandant à la SSR de considérer la possibilité d’offrir ses contenus en «open source», à la disposition des médias privés.

Né à Milan en 1965, Pietro Supino représente la cinquième génération de la famille Coninx, à la tête du groupe médiatique dont l’histoire commence en 1893 avec la création du Tages-Anzeiger. 

Roger Köppel, éditeur de la «Weltwoche»

« La SSR ne doit pas perturber le marché. »

L’éditeur de la «Weltwoche», qui se profile en successeur du tribun Christoph Blocher au sein de l’UDC, avoue qu’il aurait pu suivre une tout autre voie, celle de journaliste à la SSR par exemple.

Il l’écrit dans son dernier éditorial: avant de prendre les rênes du magazine qu’il dirige, il a songé à se tourner vers le service public. Une autre manière de dire qu’il «respecte l’institution», pour mieux la critiquer ensuite: la SSR a trop grandi, il faut la recadrer. Quant à son patron, Roger de Weck, cet «internationaliste» trop proche de l’UE aux yeux de Roger Köppel prend trop ses aises.

Le rédacteur en chef de la Weltwoche n’a «aucune intention de détruire la SSR». Mais le conseiller national estime qu’elle ne peut continuer à recevoir la redevance tout en encaissant des recettes publicitaires. «Une entreprise étatique doit faire attention à ne pas perturber le marché libre en créant une distorsion de la concurrence au détriment des éditeurs privés.» Il avoue toutefois un faible pour la RTS: «Les Romands ont mieux compris le sens du service public».

Natalie Rickli, cadre chez Goldbach Media et conseillère nationale UDC/ZH

« Une redevance réduite de moitié. »

La députée UDC est devenue la figure de proue du front anti-SSR sous la Coupole fédérale. La Zurichoise préside la commission des transports et des télécommunications (CTT) du Conseil national. Son engagement n’est pas désintéressé: elle travaille comme responsable des relations publiques au sein du groupe Goldbach, spécialisé dans la commercialisation des médias électroniques.

Natalie Rickli, secondée par son collègue de parti Gregor Rutz, est l’auteure de plusieurs postulats dont l’objectif principal consiste à restreindre le périmètre de la télévision et de la radio publiques. Sa position sur «No Billag»? L’UDC ne la divulgue pas encore. Mais Natalie Rickli propose d’ores et déjà que le Conseil fédéral élabore un contre-projet à cette initiative, qui aboutirait à une «division de la redevance par deux». Mot-clé: subsidiarité. «Les médias privés ont la priorité sur la SSR, que ce soit pour le sport, le divertissement, mais aussi sur les offres sur Internet». 

Olivier Kessler, coprésident de l’initiative «No Billag»

« La SSR est sous la tutelle de l’Etat. »

Il est le Winkelried du front anti-SSR en tant que coprésident de l’initiative «No Billag» qui exige la suppression de la redevance radio-TV. Extrémiste, la démarche paraît condamnée à l’échec en votation. Au parlement en revanche, la droite dure alémanique compte bien profiter de l’occasion pour lui opposer un contre-projet qui se traduirait par une baisse du montant de la redevance – 450 francs par an actuellement – d’au minimum 25 à 30%.

Membre de l’UDC, Olivier Kessler déplore que le Conseil fédéral ait balayé son initiative le 19 octobre dernier, sans même réfléchir à lui opposer un contre-projet. Il reproche aux chaînes de la SSR, «ce monopole surdimensionné incapable de s’affranchir de la tutelle de l’Etat», de passer presque sous silence l’initiative «No Billag».

Si cette dernière devait être approuvée par le peuple, les Latins devraient faire leur deuil de l’actuelle clé de financement de la SSR protégeant les minorités. Aux yeux d’Olivier Kessler, ce n’est pas un problème: «La Suisse romande et le Tessin font partie des plus riches régions du monde!» 

Christian Wasserfallen, conseiller national PLR/BE

« Il faut laisser respirer les privés. »

En faisant adopter son postulat en faveur d’un rapport sur le principe de subsidiarité concernant la SSR, le Bernois s’est profilé comme l’opposant le plus dangereux de l’offensive pour redimensionner le service public. Cet élu, l’un des plus transparents de l’hémicycle – il publie ses comptes sur son site –, ne cache pas qu’il touche des honoraires de 6000 francs par an en tant que conseiller d’administration de Radio

BE 1. Il se profile comme un réformiste qui respecte le service public ayant à cœur de fournir une offre de même qualité dans toutes les régions linguistiques.

Mais à l’heure où la SSR et les privés s’affrontent sur internet, il craint que la première n’étouffe les seconds, ce qui nuirait à la diversité du paysage médiatique. Il propose donc que le parlement – et non plus le Conseil fédéral – limite le «cadre stratégique» du service public, mais sans s’immiscer dans les contenus. «Je suis opposé à ce que la politique exerce une influence sur les programmes», précise-t-il. 

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