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Matthias Aebischer: «Je me bats pour une SSR forte, mais celle-ci doit lâcher du lest»

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Jeudi, 10 Novembre, 2016 - 05:52

Interview. Spécialiste de la politique des médias, l’ancien journaliste et conseiller national socialiste Matthias Aebischer monte au front pour défendre le service public. Mais il attend aussi de la SSR qu’elle se réforme.

Le Conseil national exerce ces derniers temps une grosse pression sur la SSR. Il multiplie les interventions visant à affaiblir le service public. Cela vous inquiète-t-il?

Ces attaques, qui viennent d’abord de l’UDC, sont intéressées. Cadre au sein d’un groupe – Goldbach – actif dans l’acquisition de publicité pour des chaînes privées, Natalie Rickli en est souvent à l’origine. Son but est donc de priver la SSR d’une partie de ses ressources pour que celles-ci reviennent aux éditeurs privés.

Mais tous les détracteurs de la SSR ne sont pas UDC!

Effectivement. Longtemps, l’UDC a été la seule à attaquer la SSR, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Au sein du PLR et du PDC, tous ceux qui déplorent que la SSR ne cesse de croître au détriment des privés se sont joints à l’UDC. Cette évolution m’inquiète beaucoup, car les opposants peuvent obtenir une majorité sur certains points.

Ce fut le cas lorsque le Conseil national a approuvé un postulat de Christian Wasserfallen (PLR/BE) visant à ce que la SSR respecte le principe de subsidiarité. Quelles conséquences cela aurait-il pour elle?

La droite du Parlement veut que la SSR ne remplisse plus que des tâches que ne peuvent faire les acteurs privés. Ce discours-là est devenu majoritaire. Mais ce débat est ridicule. La SSR doit-elle arrêter de réaliser des journaux d’actualité, d’organiser des débats politiques et de produire des émissions de divertissement parce que les privés en font déjà? Bien sûr que non. Elle a pour tâche d’offrir une télévision et une radio généralistes intéressant tout le monde. Mais elle doit le faire avec tact et sensibilité.

La SSR en a-t-elle manqué?

En Suisse alémanique, par moments, oui. La télévision a réalisé des émissions qui n’auraient jamais vu le jour à l’époque de l’ancien directeur de la SRF, Peter Schellenberg (ndlr: entre 1988 et 2003).

Quelles émissions, par exemple?

Si j’en citais, on m’accuserait de m’immiscer dans les programmes, ce que je me garderai bien de faire. Intervenir dans le contenu, c’est justement ce que veut faire l’UDC lorsqu’elle se bat pour que le Parlement s’arroge la compétence d’octroyer le mandat de la concession pour la SSR à la place du Conseil fédéral.

Vous pensez bien sûr à un show comme «Deal or no Deal» avec 250 000 francs à gagner, présenté jusqu’en 2010 par un animateur entouré de 26 jolies filles?

Pour un média de service public, il n’est pas très malin de produire des formats achetés à l’étranger, sans contenu et ne visant que le taux d’audience. Ce faisant, il donne matière à des critiques que je comprends.

Pourquoi la SSR est-elle vouée aux gémonies en Suisse alémanique alors qu’elle reste très aimée en Suisse romande?

Les responsables de la RTS ne sont pas tombés dans ce piège de la course à l’audience. Ils ont été plus sensibles à cet égard. En Suisse romande, le public a l’impression que la SSR fait partie de la famille, qu’elle est un facteur identitaire pour cette région. Ce n’est pas le cas en Suisse alémanique, où les citoyens ont exprimé leur mécontentement lors de la votation de juin 2015 sur la nouvelle redevance radio-TV.

Pourquoi la RTS a-t-elle une relation relativement harmonieuse avec la politique alors que la SRF a des rapports beaucoup plus tendus en Suisse alémanique?

Chez vous, les responsables du service public et les politiciens se parlent d’égal à égal. Les deux parties échangent tout en jouant chacune leur rôle dans le respect de la fonction de l’autre.

Jusqu’à présent, la SSR donne l’impression d’être incapable de se restructurer. Quelle réforme devrait-elle entreprendre à vos yeux?

Je tiens à le souligner d’emblée: je suis un partisan inconditionnel du service public. La SSR est la Suisse, elle incarne ce pays mieux que toute autre entreprise. Elle rassemble les cultures, produit des émissions de grande qualité et remplit une mission civique en promouvant notre démocratie, cela tout en étant indépendante.

Mais la SSR a beaucoup grandi ces dernières décennies. Sous l’ère d’Armin Walpen (ndlr: le prédécesseur de Roger de Weck à la direction générale de la SSR), elle a presque doublé le nombre de ses chaînes. Aujourd’hui, elle doit arrêter de croître et lâcher du lest pour quitter la zone de turbulences dans laquelle elle se trouve.

La SSR compte sept chaînes de télévision et 17 de radio. Quel service indispensable doit-elle offrir?

Ce n’est pas à moi de dire ce que la SSR doit supprimer ou non, mais à elle. Il est clair que chaque région linguistique doit disposer de deux chaînes de télévision et de trois programmes de radio. Un exemple: pourquoi des chaînes de radio consacrées uniquement à la musique classique et au jazz alors qu’il existe déjà un deuxième programme uniquement consacré à la culture, avec déjà beaucoup de jazz et de classique?

N’allez-vous pas provoquer ainsi une vague de protestations des publics cibles concernés?

Si la SSR ne se restructure pas, elle s’exposera à des critiques de plus en plus vives et donnera des arguments à ceux qui veulent la détruire, comme les partisans de l’initiative «No Billag», qui exigent la suppression de la redevance radio-TV. Personnellement, je m’engagerai toujours pour une SSR forte, à l’abri d’attaques menées par des milliardaires, comme en Italie par exemple.

Craignez-vous une «blochérisation» du paysage politique suisse?

Ce phénomène est en marche depuis une dizaine d’années. Au début des années 2000, le tribun de l’UDC Christoph Blocher a voulu occuper le terrain médiatique où il était inexistant. Aujourd’hui, il a deux journaux acquis à sa cause, la Weltwoche et la Basler Zeitung. Il prêche sa bonne parole chaque semaine sur Teleblocher. Et il envisage de créer un journal du dimanche. C’est pour lutter contre cette offensive que je m’engage en faveur d’une SSR à la fois forte et indépendante.

Actuellement, le directeur général de la SSR gagne près de 600'000  francs par an. Faut-il plafonner son salaire au niveau de celui d’un conseiller fédéral?

L’ancien directeur général Armin Walpen n’a pas seulement augmenté le nombre de chaînes, il a aussi presque doublé son salaire. Un conseiller fédéral touche 475 000 francs, cela doit suffire pour le directeur général d’une entreprise de service public. Le PS formule cette revendication depuis longtemps.

Pietro Supino, le président de Tamedia, propose que la SSR ne soit plus financée que par la redevance.

Je m’y oppose. En cette période de profondes mutations pour les médias où la publicité migre vers le Net, il ne serait pas raisonnable d’affaiblir massivement la SSR en la privant de 300 millions de recettes.

Pietro Supino aimerait bien récupérer cette manne, mais cet argent partirait plutôt à l’étranger, dans les fenêtres publicitaires de chaînes privées allemandes clientes du groupe Goldbach pour lequel travaille Natalie Rickli. Ce n’est pas très suisse, tout cela, contrairement à ce que prône l’UDC. Une autre partie de l’argent tomberait dans l’escarcelle des réseaux sociaux comme Facebook.

La création de la régie publicitaire Admeira – à laquelle participe la SSR avec Swisscom et Ringier, éditeur de «L’Hebdo» – a donné de la munition aux détracteurs de la SSR. Ne crée-t-on pas là une distorsion de concurrence?

Dès le début, j’ai estimé que cette alliance, dans la mesure où elle ne compte que trois partenaires, était mauvaise. Tous les éditeurs privés souhaitant y participer doivent y être intégrés. La Suisse est trop petite pour se permettre une guerre de tranchées entre éditeurs.

Quelle solution prônez-vous?

Sur le principe, Admeira est une très bonne réponse des intérêts suisses face aux géants américains qui dominent le Net. Mais ce projet doit profiter à tous les éditeurs privés qu’il faut placer sur un pied d’égalité. Je propose donc une forme de coopérative dont le président changerait chaque année ou tous les deux ans.

Vous avez discuté avec tous les grands éditeurs. Sont-ils prêts à travailler sur une telle base?

Oui. Si Admeira, après sa phase de démarrage, se restructure dans le cadre que j’imagine, les éditeurs avec qui j’ai parlé sont prêts à tirer à la même corde. Cela permettrait d’abaisser la terrible pression qui pèse sur la SSR, car celle-ci est une victime collatérale du champ de bataille qu’est devenue Admeira.

Vous pensez que l’offensive contre la SSR cache un autre but?

Jusqu’à présent, les ennemis de la SSR ont profité de ce conflit pour mieux l’attaquer. Sur le plan politique, il est capital que la gauche et le centre droit reforment un front commun pour défendre un service public fort face aux attaques de l’UDC. Affaiblir la SSR, c’est affaiblir une Suisse que nous voulons maintenir multiculturelle et plurilingue.

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Gaetan Bally / Keystone
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