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François Vuille: «La Suisse se dirige d’une dépendance vers une autre»

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Jeudi, 10 Novembre, 2016 - 05:53

Joan Plancade

Interview. Développer le renouvelable pour limiter la dépendance énergétique du pays: un enjeu central pour François Vuille, directeur du développement du Centre de l’énergie de l’EPFL.

Au cœur du calendrier politique, la transition énergétique de la Suisse l’est également dans le parcours de François Vuille, directeur du développement du Centre de l’énergie de l’EPFL. Investi près d’une décennie dans le conseil en énergie durable, fondateur des start-up Proxipel et Softcar dans le domaine des technologies propres, le scientifique souligne le retard pris par la Suisse dans les énergies renouvelables.

Alors que le peuple se prononcera le 27 novembre sur une sortie programmée de l’atome, puis en 2017 sur la Stratégie énergétique 2050 du Conseil fédéral, il met en avant le vieillissement du parc nucléaire suisse. Pour François Vuille, un enjeu central dans le développement du renouvelable: limiter la dépendance énergétique du pays.

Où en est aujourd’hui la Suisse en termes d’indépendance énergétique?

Aujourd’hui, la Suisse dépend à 78% des importations pour son approvisionnement énergétique, essentiellement des produits pétroliers et du gaz. Le problème de dépendance se double d’une question écologique pressante, notamment dans le cadre des engagements de réduction du CO2 pris à Paris à l’occasion de la COP21. Le parc immobilier, globalement très mal isolé, est une véritable passoire énergétique, engendrant un énorme gaspillage d’énergie de chauffage.

La culture de la grosse cylindrée automobile pose également problème. Alors que le pays est comparable économiquement, sociologiquement et géographiquement à l’Autriche, la cylindrée moyenne est de 1,9 litre en Suisse contre 1,6 chez notre voisin, soit une différence de 20%. C’est bien de recycler ses déchets comme le font les Suisses, mais il s’agit d’une goutte d’eau quand on mesure l’ampleur des enjeux énergétiques actuels.

Pourtant, on dispose de technologies pour mieux isoler les bâtiments, et quasi tous les constructeurs automobiles lancent de nouvelles gammes de véhicules électriques…

La consommation d’énergies fossiles devrait baisser en Suisse. On pourrait envisager jusqu’à 60% de consommation en moins à service égal. En revanche, ce qui pourrait augmenter dans le même temps, c’est la consommation d’électricité, attendue à 40% du mix énergétique contre un peu plus de 20% aujourd’hui.

N’est-il pas paradoxal dans ce cas d’envisager, comme le propose la votation du 27 novembre, de sortir plus vite que prévu du nucléaire, qui représente près de 40% de la production suisse d’électricité?

Nos centrales nucléaires sont de toute manière vieillissantes et leur exploitation pas rentable aujourd’hui. L’électricité nucléaire coûte entre 7 et 8 centimes le kilowattheure à la production, sur un marché où les échangent s’effectuent autour de 3,5 centimes. Une partie du parc est déjà à l’arrêt, comme Leibstadt depuis cette année ou Beznau 1 depuis mi-2015. A Mühleberg, l’exploitant a investi 200 à 250 millions ces cinq dernières années pour prolonger la vie de la centrale.

Récemment, à Beznau, 700 millions ont été dépensés pour changer les couvercles des cuves. Pour quel résultat? Pour s’apercevoir après coup qu’il y avait des défauts dans les cuves elles-mêmes, et arrêter au final l’exploitation! Si Beznau ne redémarre pas, cet argent aura été perdu alors qu’il aurait pu être investi dans les énergies vertes, sur lesquelles nous devons désormais travailler davantage.

Précisément sur cette question de l’électricité verte, la Fondation suisse pour l’énergie a placé la Suisse au 25e rang sur 29 pays européens, avec 168 kilowattheures par personne et par an. Comment expliquer ce retard?

La Suisse s’est reposée sur ses lauriers. Et c’est vrai qu’en termes de rejet de CO2, avec une électricité à 60% hydraulique et 40% nucléaire, le pays fait figure de champion. L’empreinte carbone de sa production électrique est vingt fois plus faible que la moyenne européenne. Du coup, peu d’efforts ont été faits vers les énergies alternatives. Aujourd’hui, le solaire ne représente que 2% de la production totale, et l’éolien est anecdotique, tandis qu’en Allemagne, la production d’électricité verte par habitant est dix fois plus importante.

Même les pays en développement investissent massivement. En 2015, la Chine a mis en service près de 20 000 éoliennes, alors que la Suisse a fait partie des rares pays ou aucune n’a été inaugurée. Certes, l’espace disponible est faible et les populations, à juste titre, très sensibles à l’impact sur le paysage, mais le nucléaire pose une question de sécurité.

L’énergie verte n’est-elle pas encore plus chère à produire que le nucléaire?

En Suisse, on ne dispose pas de l’ensoleillement du sud de l’Italie, qui permet de sortir de l’électricité solaire à 5 centimes le kilowattheure, ou du vent et des espaces de la mer du Nord, où l’éolien est beaucoup plus rentable et facile à implanter. Ici, le solaire revient en moyenne à 20 centimes, mais la constante amélioration technologique permet déjà d’abaisser les coûts, parfois jusqu’à 11 centimes, et ce n’est qu’un début. On n’est plus très loin d’être compétitifs par rapport au nucléaire ou à l’hydraulique.

Le problème, c’est qu’aujourd’hui le marché est tellement tiré vers le bas par les centrales à charbon, notamment allemandes, que plus rien d’autre n’est rentable. On importe aujourd’hui de l’électricité à 3,5 centimes le kilowattheure, c’est du jamais vu. Le fait est que les Américains, ayant abandonné le charbon, l’exportent massivement vers l’Europe, qui se fournit ainsi à très bon marché.

Même si le CO2 est taxé à 84 francs la tonne en Suisse, la taxe européenne s’établit, elle, autour de 5 euros, ce qui ne suffit pas à peser significativement sur le coût de production. Pour soutenir l’énergie verte, la Confédération a mis en place le programme de «rétribution à prix coûtant» (RPC), qui paie aux producteurs la différence entre leur coût de production et le marché, ce qui permet de déployer ces technologies propres.

Près de 40 000 demandes sont actuellement en attente auprès de l’administration, dans le cadre de la rétribution à prix coûtant, et non traitées. Derrière un volontarisme affiché, n’y a-t-il pas certains blocages au niveau des instances politiques et administratives?

La question ne se pose pas en ces termes. Pour subventionner le renouvelable, un prélèvement de 1,1 centime sur chaque kilowattheure que nous consommons a été instauré. Ce prélèvement alimente un fond dédié aux projets d’énergie verte. Le souci, c’est que l’offre de projets excède très largement les sommes prélevées, donc de plus en plus de projets sont en attente, faute de financement.

Dans sa nouvelle politique énergétique, la Confédération envisage de monter la taxe de 1,1 à 2,3 centimes par kilowattheure, ce qui permettrait d’accroître les moyens octroyés aux énergies vertes. La taxation du carbone, qui porte uniquement sur les combustibles (mazout, gaz naturel), pourrait également être étendue aux carburants (essence, diesel) pour inciter au choix de véhicules économes.

Les potentiels d’énergie propre et d’économie d’énergie sont là, et le scénario du Conseil fédéral pour sa stratégie 2050 est réaliste. Par contre, il faudra aller bien plus vite pour déployer ces solutions, surtout si nous envisageons une sortie prématurée du nucléaire.

Pour l’instant, la Suisse ne produit pas ces technologies, elle les importe…

Et c’est là le risque. Aujourd’hui, 70% de l’industrie photovoltaïque est basée en Chine, où 40% des investissements globaux dans les énergies renouvelables sont réalisés. Même si la Suisse et l’Europe innovent, ce sont les Chinois qui industrialisent et exploitent commercialement le marché. Nos panneaux solaires viennent de là-bas.

Après des décennies de dépendance en matières premières, en particulier en pétrole, se dessine désormais une dépendance technologique vis-à-vis de l’Asie. La Suisse se dirige ainsi d’une dépendance vers une autre. Surtout que pour l’enjeu central du stockage de l’énergie électrique, Chine, Japon et Corée ont pris de l’avance.

En outre, les batteries utilisent des métaux rares, dont la majorité des gisements, là encore, se situe en Chine, ce qui aggrave la situation. Pour y faire face, nous devons diversifier les technologies que l’on déploie et axer nos efforts sur l’efficacité énergétique. Mais il faut réagir rapidement, c’est certain. 

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Alain Herzog
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