Bernard Wuthrich
Reportage. Des parcs éoliens, un centre énergétique de biogaz et de pellets, un champ solaire sous lequel paissent des moutons. Une filiale du Groupe E s’affiche comme l’un des principaux promoteurs des énergies renouvelables en Suisse romande. Visite d’une installation fribourgeoise prometteuse, à quelques jours du vote sur l’initiative des Verts «Sortir du nucléaire».
A travers un hublot, on distingue une masse brunâtre qui macère à l’intérieur de la cuve fermée dont ne s’échappe qu’un léger fumet. Ce réservoir est un digesteur. «On fabrique du biogaz avec les lisiers et les fumiers des paysans de la région. Ils représentent 80% de cette biomasse, le reste étant composé de résidus d’huile, de marc de café, de surplus de pommes de terre et de déchets de chocolat aux noisettes», détaille Oskar Schneuwly, le patron du lieu.
Le lieu? Guin, en Singine fribourgeoise. C’est là qu’a été inauguré en 2012 un parc énergétique, dont l’histoire est assez originale. Oskar Schneuwly est agriculteur, mais il est aussi un entrepreneur à fibre écologique et, il l’avoue lui-même, une forte tête. Dans les années 90, il produisait des poulets. Or, c’est le cycle de la vie qui veut ça, les poulets laissent des excréments.
«J’avais du fumier à débarrasser. J’ai acheté une machine pour le granuler et en faire de l’engrais», se souvient-il. Cela a donné naissance à un produit nommé Vivasol, qui lui a valu le prix fribourgeois de l’innovation agricole en 1999 et qui a été vendu ensuite à la Migros.
En parallèle, un forestier de la région lui avait suggéré de faire des granulés de bois. Avec son cousin, il en a fabriqué pendant dix ans. Les deux activités se sont regroupées pour donner naissance en 2011 au Parc énergétique de Guin, ainsi composé de deux sociétés complémentaires: BioEnergie Guin SA et BestPellet Wärme SA.
Elles ont toutes deux été fondées par Oskar Schneuwly et trois autres agriculteurs en partenariat avec Alpiq dans un premier temps, puis avec la filiale du Groupe E Greenwatt, qui en a fait l’un des piliers de sa stratégie de développement des énergies renouvelables.
Greenwatt a été créée en 2007. La société appartient à 80% au Groupe E, le canton de Neuchâtel et la ville de Sion détenant chacun 10% du capital. «Nous sommes actifs dans quatre technologies: la mini-hydraulique, le photovoltaïque, la biomasse et l’éolien. En 2015, nous avons également repris les activités d’efficacité énergétique du Groupe E», détaille son directeur, Jean-Michel Bonvin, qui se profile comme l’un des papes des énergies vertes en Suisse romande.
Si le Danemark y arrive…
Le Valaisan veut apporter la preuve que l’éolien, ce n’est pas du vent. Greenwatt détient 5% du capital de Juvent SA, dont les Forces motrices bernoises (BKW) sont le principal actionnaire. Juvent exploite les seize mâts du Mont-Crosin, au-dessus de Saint-Imier. Le site vient d’être modernisé. Les anciennes turbines ont été remplacées par des nouvelles, plus puissantes, qui augmenteront la capacité de 30%.
L’implantation d’éoliennes se fait parfois dans la douleur. Les oppositions sont fréquentes. «Dans certains cas, nous avons associé les organisations de défense de l’environnement. Il faut faire comprendre que la sortie du nucléaire a des incidences sur la nature. Le paysage est en mutation depuis la nuit des temps. La vision postromantique d’un paysage qui ne bouge pas n’est pas cohérente», dit Jean-Michel Bonvin avec ferveur et conviction.
Il soutient d’ailleurs l’initiative des Verts «Pour la sortie programmée de l’énergie nucléaire», soumise au vote le 27 novembre prochain, et qui exige que les centrales nucléaires suisses soient débranchées après quarante-cinq ans d’activité.
La société Greenwatt est déterminée à faire passer ce message, préalable indispensable à la réussite du tournant énergétique. Jean-Michel Bonvin y croit dur comme fer. «Je pense qu’il est possible, sans dépendre de nos voisins, de nous passer en un peu plus d’une décennie de la production nucléaire, à hauts risques et sans avenir.» Il cite l’exemple du Danemark: ce petit pays a produit en 2015 13 milliards de kilowattheures (kWh) d’énergie renouvelable, soit les deux tiers de la production nucléaire suisse (22 milliards de kWh en 2015).
Greenwatt apporte sa pierre à l’édifice. Elle est encore modeste. En 2015, la production totale de la société s’est élevée à 119 millions de kWh. Ses parcs éoliens (Mont-Crosin et Charrat en Valais) ont fourni 63,7 millions de kWh, ses 73 installations photovoltaïques 18,7 millions de kWh, ses huit aménagements hydroélectriques 22 millions de kWh, et les dix sociétés de biomasse agricole qu’elle pilote 14,2 millions de kWh.
Les projets sont nombreux (voir la carte ci-dessus). Plusieurs parcs éoliens sont en préparation. Les pales prévues sur les crêtes fribourgeoises du Schwyberg devraient apporter 35 millions de kWh supplémentaires, soit la consommation de 9000 ménages. Mais le dossier traîne en raison des oppositions des organisations écologistes. D’autres sites sont dans le viseur de la société sur les hauteurs neuchâteloises: La Joux-du-Plâne (11 éoliennes), Montperreux (6) et la Montagne de Buttes (19).
Le soleil est avec le vent ainsi que l’eau l’un des grands moteurs de l’approvisionnement de demain. Le groupe a mis 22 centrales photovoltaïques en exploitation en 2015. Sa réalisation la plus spectaculaire se trouve à Payerne. Le parc solaire de La Boverie a été inauguré il y a tout juste un an. Il s’agit d’un champ de panneaux de 38 000 mètres carrés montés sur une structure métallique légère. Ils sont surélevés, ce qui laisse la possibilité d’utiliser le terrain situé au-dessous.
En l’occurrence, près de 80 moutons de deux espèces rares, l’ouessant et le skudde, y paissent. Les panneaux généreront 6 millions de kWh par année, la consommation de la moitié de la population de Payerne. Ont-ils été bien acceptés par les riverains? «Les gens se sont plus inquiétés du bruit des cloches des bêtes que de celui des onduleurs», sourit Jean-Michel Bonvin.
Pellets à forte concurrence
Mais revenons à nos moutons, ou plutôt au Parc énergétique de Guin. Le méthane produit à partir de déchets agricoles et alimentaires est brûlé dans des couplages chaleur-force qui fournissent de l’électricité et de la chaleur. Les résidus sont transformés en engrais et retournent chez les paysans.
Greenwatt a développé d’autres centrales de biogaz. L’une des plus connues a été réalisée en partenariat avec Nestlé Waters dans la Broye vaudoise. Elle prévoit d’injecter 4 millions de kWh de courant dans le réseau et 4,5 millions de kWh de chaleur que Nestlé Waters récupère pour son usine d’embouteillage.
En plus du biogaz, le site de Guin est devenu un grand centre de production de pellets fabriqués à partir de bois, de sciure et de déchets verts séchés. BestPellet Wärme en a produit 8000 tonnes en 2015. Parmi ses fournisseurs: la scierie de la famille du conseiller national UDC Jean-François Rime et les 150 tonnes de sciure de la fête fédérale de lutte 2016 à Estavayer.
Le marché des pellets est cependant tendu à cause des prix très bas de la concurrence étrangère. «Nous jouons alors la carte de la provenance indigène et avons développé un label pour cela», commente le combatif Oskar Schneuwly.
Jean-Michel Bonvin est persuadé que les énergies vertes pourront remplacer le nucléaire, dont «la fin est inévitable. Mais il faut fixer un délai, sinon on n’en sortira jamais. Si Doris Leuthard avait dit qu’on arrête en 2035 ou en 2040, je ne me serais pas engagé en faveur de l’initiative. Celle-ci fixe 2029 pour la fin définitive du nucléaire? Allons-y. Si, en 2025, on voit que c’est difficile, on aura encore le temps de réagir», conclut-il.