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le monde selon Donald Trump

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Jeudi, 10 Novembre, 2016 - 06:00

Frédéric Koller et Luis Lema

Moyen-Orient, Europe, Chine, Russie: que va représenter pour ces régions l’arrivée du républicain à la Maison Blanche? Le nouveau président placera-t-il toujours les Etats-Unis en premier, comme il l’a promis?

«America first.» C’est avec ce slogan que Donald Trump a triomphé et va devenir le 45e président des Etats-Unis dans la stupeur, l’effroi, voire la panique quasi générale. L’Amérique, selon le credo de celui qui deviendra son prochain président, doit se soucier avant tout, pour ne pas dire exclusivement, d’elle-même.

A la trappe la vision du monde qui a eu cours jusqu’ici, mais aussi les amis traditionnels des Etats-Unis, les alliances jugées inébranlables, bref, le système inter­national dans son ensemble. Aux oubliettes, donc, un système qui, faut-il le rappeler, est en vigueur depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui a aussi, bon an mal an, permis à l’Amérique de «projeter sa puissance» aux quatre coins de la planète.

«Les Etats-Unis sont devenus le dépotoir des problèmes de tous les autres», a résumé à ce sujet le candidat républicain dans l’une de ses formules qui, faute de mieux, servent de pointillé pour dessiner le nouvel ordre mondial tel que l’imagine le futur président.

Il n’est plus question d’une Amérique gendarme du monde, ni même d’un pays qui jouerait plus modestement sa part dans un jeu multilatéral devenu beaucoup plus complexe, conformément au rôle qu’avait commencé à lui assigner Barack Obama. L’Amérique «en premier», mais une Amérique qui devrait résolument refuser de se placer en première ligne dans tout combat qui ne la concerne pas directement.

Dans la bouche de Donald Trump, ce leitmotiv a des conséquences claires. Il signifie bienvenue aux murs, au retour des frontières et, surtout, à un principe simple: pour celui qui se présente avant tout comme un businessman, there is no such thing as a free lunch, comme disent les Américains. Rien n’est gratuit, et surtout pas un repas d’affaires. Tout a un prix, y compris les soutiens, les alliances et l’amitié.

L’Amérique de Donald Trump, telle qu’il l’a évoquée au cours de la campagne, s’occupera de ses propres affaires tandis qu’elle laissera le reste de la planète s’occuper des siennes. Et si, tout de même, il devait y avoir des intersections, il faudra compter avec l’obligation de passer à la caisse. Que le Japon ou la Corée du Sud se le tiennent pour dit pour espérer être protégés face à la menace chinoise. Que l’Allemagne d’Angela Merkel s’en souvienne si elle veut arrimer l’Ukraine à l’Europe et s’il lui venait l’idée de l’extraire de l’influence russe.

La fermeture et les murs

C’est le Mexique qui a symbolisé d’entrée cet esprit de fermeture. Peu importe si ce pays est aujourd’hui l’un des principaux partenaires commerciaux des Etats-Unis, avec 531 milliards de dollars d’échanges commerciaux l’année dernière. Non seulement il s’agirait d’ériger un mur long de plus de 1500 kilomètres, mais il devrait être financé par les Mexicains eux-mêmes, a tonné Trump.

Le futur président a aussi promis d’expulser les quelque 11 millions de migrants illégaux que compteraient les Etats-Unis, dont une vaste majorité sont des Latinos. La politique des visas deviendrait plus dure, le nombre d’officiers chargés du contrôle des frontières serait doublé, voire triplé. Avant de mettre en place ce verrouillage, il s’agirait aussi de «confisquer» l’argent que ces illégaux envoient à leur famille restée au Mexique ou ailleurs. C’est à ce prix-là que naissent les rapports solides et stables entre les Etats.

A la question de l’immigration illégale mexicaine s’est progressivement superposée celle des migrants provenant du Proche-Orient et particulièrement de Syrie. Cette logique et ces murs réels ou symboliques, Donald Trump les imagine depuis lors fleurissant un peu partout, et notamment au sein de cette Union européenne dont, en réalité, il se soucie peu, sinon pour la qualifier de «trou à rats», dont les peuples des nations européennes seraient bien inspirés de s’échapper le plus vite possible.

Le vote sur le Brexit, au Royaume-Uni, que Donald Trump n’a pas perdu une occasion de saluer, a fini de se convertir en inspiration et en modèle. «Les populations veulent des frontières. Elles ne veulent plus de gens qui se déversent dans leur pays et dont ils ne savent ni qui ils sont ni d’où ils viennent.»

A la frontière mexicaine, il faut se protéger de ces Mexicains qui amènent la drogue, le crime, et qui sont des «violeurs». A l’Europe la responsabilité d’interdire l’arrivée des terroristes, de durcir les lois contre les musulmans et, si besoin, d’armer la population pour qu’elle puisse faire face à des attaques terroristes telles que les a vécues par exemple la France.

L’OTAN et l’Europe

Les alliés européens au sein de l’OTAN sont prévenus: Donald Trump a qualifié la principale organisation de défense du monde d’obsolète dans sa forme actuelle. Lors de sa campagne, il avait annoncé qu’il convoquerait au plus tôt une conférence avec deux messages: les Européens vont devoir payer pour continuer à bénéficier du parapluie américain – lors du premier débat présidentiel, il s’est plaint que Washington assurait 73% des coûts de l’organisation.

Il a également mis en avant la question du financement, précisant que l’article 5 de l’OTAN (l’automaticité d’une aide envers un pays de l’alliance agressé) ne s’appliquerait plus aux pays qui ne réglaient pas la note, se référant explicitement aux Etats baltes face à une agression de la Russie.

Mais il n’y a pas qu’une question de coût (un reproche que faisait par ailleurs déjà l’administration Obama aux Européens). Ce sont surtout les objectifs de l’OTAN qui doivent changer. Plutôt que se focaliser contre une menace russe, Donald Trump estime que l’organisation doit privilégier la lutte contre le terrorisme et les risques liés à l’immigration.

De manière plus générale, sa vision très négative de l’Union européenne a donné de l’eau au moulin des nationalistes et souverainistes de toute l’Europe. Front national en tête, ils se félicitent de cette victoire du «peuple» contre les «élites» globales. Plusieurs leaders européens ont exprimé ces dernières semaines leur rejet des idées de Trump et du personnage lui-même. Mercredi matin, à peine connue la victoire du républicain, les responsables des institutions européennes appelaient pourtant à un sommet UE-Etats-Unis au plus tôt.

Les leaders autoritaires

La Russie a été omniprésente ces derniers mois dans le débat politique américain, ne serait-ce que parce que Vladimir Poutine est soupçonné d’avoir envoyé ses hackers pirater le système informatique du Parti démocrate et du gouvernement américain.

Au point que la Russie a donné le sentiment non seulement qu’elle avait choisi Donald Trump, mais qu’elle était prête à intervenir lourdement dans la campagne pour assurer son succès. La cascade de scandales qui ont accompagné cette intrusion russe a semblé sceller une complicité. Le républicain est allé jusqu’à appeler les espions russes à dévoiler les courriels secrets qu’ils auraient réussi à dénicher dans les boîtes mail de sa rivale démocrate.

La complicité est établie. Le nouveau président des Etats-Unis et son alter ego du Kremlin donnent l’air d’être faits du même bois. «Je vais m’entendre avec lui», a souvent affirmé le millionnaire new-yorkais en poursuivant la provocation; Poutine, disait-il à la fin de l’année dernière, «gère son pays». En ajoutant, en référence à Barack Obama: «Et au moins, c’est un (vrai) leader, à l’inverse de ce que nous avons aux Etats-Unis.»

Cet assaut d’amabilités a été payé en retour. Donald Trump est «une personne brillante et talentueuse, sans aucun doute», affirmait Poutine en sachant pertinemment à quel point il mettait ainsi les pieds dans le plat d’une campagne américaine déjà dévastée par les propos du républicain.

Bien plus: ce dernier s’est entouré de conseillers qui, pour certains, ont de forts liens économiques et familiaux avec la Russie. Pour Trump, donc, pas de problème pour un rapprochement avec Poutine. «Absolument possible», notait-il, mais à la condition que cela se fasse dans le «respect» et que les Etats-Unis, face au rival russe, prennent soin de rester en «position de force».

Vladimir Poutine et demain Donald Trump ne sont pas les seuls à donner le sentiment de pouvoir «s’entendre». En Chine, mais aussi de plus en plus clairement en Turquie ou dans le monde arabe, l’heure des leaders autoritaires a bel et bien sonné. Un «deal» sera toujours possible entre ces gens «talentueux» et de bonne compagnie. Ou alors non, et c’est à qui dégainerait le premier.

Le terrorisme et le Proche-Orient

Premier terrain d’application de cette bonne entente entre le chef du Kremlin et le futur locataire de la Maison Blanche: la lutte contre l’organisation Etat islamique. L’équation est simple. «J’aime le fait que Poutine jette l’enfer (sur les djihadistes de l’Etat islamique). Poutine doit s’en débarrasser parce qu’il ne veut pas qu’ils débarquent en Russie.» C’est à travers le prisme de la lutte contre le terrorisme que Donald Trump voit avant tout la région du Proche-Orient.

Dans l’esprit du nouveau président, il n’est pas question de donner à Poutine le bon Dieu sans confession, mais de se mettre d’accord sur des intérêts partagés. Devraient en découler une plus grande latitude laissée au président russe pour redoubler ses bombardements en Syrie (le maître du Kremlin devrait en profiter avant même l’installation formelle de Trump à la Maison Blanche), mais aussi un maintien au pouvoir sans condition de Bachar el-Assad, un «type» que le républicain ne porte pas dans son cœur, mais qui a démontré qu’il était «coriace».

Il est, ici aussi, affaire d’argent; pas question de continuer de s’enliser dans la région, tandis que la guerre en Irak a coûté aux Etats-Unis «2000 milliards de dollars» et l’Afghanistan «probablement» 1000 milliards. «Nous sommes en train de détruire notre pays», s’exclamait Donald Trump. America first.

A tout seigneur tout honneur. Cette manière de ramener la situation explosive que connaît le Proche-Orient à une pure question de combat contre le terrorisme n’a pas empêché le candidat républicain d’invectiver fréquemment l’Iran, «a very big problem» que Donald Trump a promis d’empoigner. L’accord conclu en Suisse sur le dossier nucléaire iranien devra ainsi être renégocié.

Trop désavantageux pour l’Amérique en termes financiers, trop conciliant pour la république des mollahs qui pourront avoir accès à un montant de fonds gelés par les sanctions que le républicain a estimé à «150 milliards de dollars». Donald Trump ne s’embarrasse d’aucune contradiction: l’Iran est aussi un ennemi. Et peu importe si, sur le terrain syrien, il est l’allié «contre les terroristes» aussi bien de la Russie que du régime de Bachar el-Assad.

La Chine et les alliés asiatiques

Au rang des ennemis des Etats-Unis, c’est pourtant Pékin que Donald Trump place en tête de liste. «L’entrée de la Chine à l’OMC a permis le plus grand vol de postes de travail de l’histoire», déclarait-il en juin dernier. Principale bénéficiaire de l’ère de la globalisation, la Chine est désormais accusée de tous les maux: transfert d’emplois au détriment de l’industrie américaine, manipulation de sa monnaie, pillage de la propriété intellectuelle, déficit commercial massif au détriment de Washing­ton, menace contre le mode de vie américain.

Le nouveau président promet des taxes sur les produits chinois, des barrières commerciales si nécessaire. Il pense aussi qu’une posture militaire plus agressive permettra un meilleur dialogue. Il estime que les leaders chinois ne comprennent que les rapports de force et qu’il est préférable de négocier en augmentant la tension, notamment en mer de Chine du Sud. Si ce discours n’est pas nouveau dans la bouche d’un candidat à la Maison Blanche (la Chine fait régulièrement figure d’épouvantail), le risque d’une confrontation n’en est pas moins plus élevé aujourd’hui.

La Chine est désormais juste derrière les Etats-Unis en termes de puissance économique, et son armée se modernise rapidement. A l’inverse, la peur d’un déclassement chez les Américains, comme au Japon il y a quelques années, pourrait pousser la nouvelle administration à tester la détermination de Xi Jinping, un dirigeant qui est lui-même sous la pression de son peuple pour se montrer ferme sur le plan international.

La même inquiétude qu’en Europe règne par ailleurs chez les alliés américains du pourtour de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud, principalement. Le désengagement promis par Donald Trump, si ces pays ne se montrent pas prêts à payer pour leur défense, pourrait conduire à une course aux armements, y compris nucléaires, face à la menace non seulement chinoise mais également nord-coréenne.

Le réchauffement climatique

La question de la lutte contre le réchauffement climatique, la priorité de l’administration Obama, est totalement absente des préoccupations de politique étrangère chez Donald Trump. Pour le milliardaire, c’est bien simple, le réchauffement climatique n’existe pas. Il a qualifié cette question de «connerie» ou encore de «canular» inventé par Pékin pour promouvoir son industrie et faire de l’ombre à l’économie américaine.

Cela ne veut pas dire qu’il va s’en désintéresser. Bien au contraire, il a annoncé durant sa campagne qu’un des objectifs de sa présidence serait de faire sortir les Etats-Unis de l’accord de Paris qui est entré en vigueur le 4 novembre. Une posture qui amené les Chinois à prendre position, fait rare, avant l’élection: «Je pense qu’un dirigeant sage devrait prendre des positions conformes aux grandes tendances du monde, a déclaré le négociateur chinois sur le climat Xie Zhenhua. S’il va contre cette tendance, je ne pense pas que son peuple approuvera.»

Donald Trump a promis aux mineurs américains qu’il supprimerait les mesures pour éliminer les vieilles centrales à charbon et aux grandes compagnies qu’elles pourraient relancer l’extraction offshore de pétrole et de gaz. Quelque 400 scientifiques américains, craignant un «Parexit», comme ils l’appellent, ont déjà écrit une lettre ouverte exhortant leur pays à respecter sa parole.

Un désengagement de Washing­ton aurait un impact majeur sur la scène internationale et provoquerait sans doute une réaction en chaîne. Ce serait l’un des signaux les plus significatifs du retrait américain du multilatéralisme défendu par Barack Obama et du rejet des organisations inter­nationales. 

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