Décodage. Pour ses 30 ans, le musée national a demandé un catalogue irraisonné au collectif chaux-de-fonnier.
«Nous aurions pu publier un nouveau catalogue standard et comme il faut, mais nous avons préféré en confier la réalisation à Plonk & Replonk!» avoue-t-on à la direction du Musée d’Orsay, comme s’il s’agissait d’un bon tour joué à la mère des arts, c’est-à-dire à la France. C’en est un. Il fallait une bonne dose de culot pour donner les clés des collections d’Orsay aux facétieux Chaux-de-Fonniers, qui les ont mises sens dessus dessous, pour notre plus grand plaisir.
L’institution parisienne, consacrée à l’art occidental de 1848 à 1914, commémore cette année ses 30 ans. Du 2 au 4 décembre prochain, la durée d’un long week-end, elle fêtera l’anniversaire par une série d’événements, dont un grand bal costumé Second Empire. Place sera donnée à l’inattendu, comme la présentation le dimanche 4 à 14 h de L’art d’en bas au Musée d’Orsay.
Signé par les frères Jacques et Hubert Froidevaux flanqués de Miguel-Angel Morales, alias Plonk & Replonk, ce catalogue de 80 œuvres réhabilite une collection oubliée. Celle-ci avait été léguée en 1910 au musée parisien du Luxembourg puis à Orsay par Hippolyte de L’Apnée.
Fantastique découverte que cet ensemble d’artistes dits mineurs, tant ils peignaient à l’ombre de titans. Voici Narcisse Sapeur, Jean-Paul Cattin, Jean-Charles Errance, Théophraste Chassieux ou Georges Deboulesmorts remis sur leur piédestal grâce à Plonk & Replonk. Des peintres du bas relevés par des Neuchâtelois du Haut, il fallait le faire.
Œuvres désoeuvrées
Bien sûr, tout est faux, détourné et «iconoclasté». La couverture du catalogue propose Les ballerines ninja d’Edgar Poquémon (1873) alors que le dos de l’ouvrage présente L’enfer des selfies de John Fitzgerald Bocadilleau (1851). Le premier tableau réinterprète un Degas, le second un William Bouguereau. Des photos anciennes ont aussi droit à un traitement de faveur, comme Victor Hugo sur son rocher d’exil, pris d’une envie de pêcher la morue salée.
Beaucoup de peintres pompiers en prennent pour leur grade. Cézanne, Van Gogh, Manet, Courbet ou Fantin-Latour ne sont pas épargnés. Pas plus que les Suisses conservés à Orsay, comme Paul Vallotton (Paul Baloton), Ferdinand Hodler (Fernand Holster) ou Cuno Amiet (Tenu Amico). Des textes aussi savants qu’absurdes accompagnent les œuvres désœuvrées.
Les frères Froidevaux ont pris leur mission à cœur. Avec la bénédiction du musée, cet inconscient, ils ont écumé les réserves d’Orsay, déniché des perles, puis œuvré en toute liberté. Un an de travail. Entrecoupé, il est vrai, par le sauvetage de leur bureau chaux-de-fonnier, un Radeau de la Méduse sauvé de justesse par une opération de financement participatif. L’art d’en bas, ce catalogue pataphysico-artistique, signe un sacré retour de forme. Et augure bien de l’avenir, croisons les doigts.
L’ouvrage s’inscrit dans une série de publications réalisées par l’éditeur Futuropolis et Orsay, d’habitude en bandes dessinées, et destinées à élargir le public du musée du bord de Seine. Mais il fallait frapper un grand coup pour les 30 ans de l’auguste institution. Le voilà, mitonné dans un local enfumé proche du Pod, irrévérencieux à souhait.
Quant à l’histoire du legs de 1910, elle est presque vraie. Un legs très important au Musée du Luxembourg a bien eu lieu cette année-là. Mais il comportait trop de talents bizarres comme Cézanne, Degas ou Toulouse-Lautrec et pas assez d’art académique pour être accepté avec enthousiasme. Il l’a été du bout des lèvres avant d’être descendu à la cave. Le revoici, certes masqué, mais enfin vengé!
«L’art d’en bas au Musée d’Orsay», Plonk & Replonk, Futuropolis/Musée d’Orsay.