Zoom. 900% de croissance depuis 2013 en Europe pour l’Instax de Fujifilm… Le phénomène «pola» ne cesse de prendre de l’ampleur. Même Leica s’y met, c’est dire.
Au début des années 2010, Fujifilm s’est retrouvé face à un drôle de phénomène. Ses ventes d’Instax à photos instantanées explosaient en Asie. Les Etats-Unis et l’Europe n’allaient pas tarder à suivre.
Prise au dépourvu, l’entreprise japonaise était contrainte en 2014 d’ouvrir quatre nouvelles lignes de production. Elle s’est ensuite aperçue que l’origine de cet engouement était un feuilleton TV coréen où les protagonistes échangeaient des photos instantanées. Le feuilleton a ensuite été diffusé dans d’autres pays asiatiques, réamorçant une pompe à images analogiques que l’on croyait hors service.
En 2008, Polaroid faisait faillite, abandonnant l’exclusivité de ses brevets. La marque américaine avait dominé le marché de la photo instantanée pendant les années 1960 et 1970, avant que l’apparition des laboratoires rapides n’entame son hégémonie. La photo numérique lui a donné le coup de grâce. Mais Fujifilm, qui commercialisait lui aussi des appareils et films instantanés, a continué à y croire, quitte à se contenter d’une production minimale.
A la Photokina de Cologne, en septembre, le retour de l’image qui se développe toute seule, après avoir été expulsée d’un boîtier ad hoc, était très commenté. Fujifilm consacrait un bon tiers de son stand à sa ligne Instax, ses appareils Mini 8, 70 ou 90, ses films au format carte de crédit ou «wide». Le fabricant lançait une émulsion en noir et blanc et annonçait un format carré, celui de l’ex-Polaroid, pour 2017.
Non loin, Leica dévoilait son modèle Sofort. Comment, la Mercedes Classe S des marques photographiques osait la photo instantanée? Par surcroît en rhabillant un modèle Instax Mini 70 et en le vendant deux fois plus cher? Himmel!
Objectiver un état mental
Dans le même temps, The Impossible Project annonçait avoir vendu un million de films en 2015 et espérait faire encore mieux cette année. Nous n’avions pourtant pas donné cher de la tentative des Néerlandais qui avaient racheté des machines Polaroid pour reproposer, dès 2010, les célèbres photos carrées à bande blanche. La qualité de leurs premières émulsions était déplorable. Et pourtant…
L’autre jour au Salon de la photo de Paris, Franck Portelance, le responsable RP de Fujifilm pour la France, commençait par donner un taux de croissance: depuis 2013 en Europe, la progression de la ligne Instax a été de 900%. D’abord concentrée sur les jeunes filles, la clientèle mondiale de l’appareil est aujourd’hui à parité des genres et conquiert toujours plus de trentenaires ou quadras.
L’usage de l’Instax a d’abord été événementiel, par exemple lors d’une soirée lorsque chacun des convives repartait avec une image souvenir. Le procédé est toujours plus utilisé par des photographes amateurs. Ou dans le cadre familial, en particulier par des adolescents qui tapissent leurs murs de petits «polas».
Jacques Hémon, consultant pour le Salon de la photo, avançait à Paris une explication: «Sur les réseaux sociaux, la photo est prise dans un flux incessant et intangible. D’où le recours à la photo instantanée, perçue par la génération de «natifs digitaux» comme une innovation, pas du tout comme une nostalgie.
Elle permet d’objectiver un état d’esprit et de le montrer aux autres. C’est le paradoxe de ce procédé: il se joue dans un temps court, mais il est fait pour le temps long. Qu’une photo instantanée revienne à 1 euro la pièce ne fait que renforcer sa valeur, sa rareté et sa matérialité, toujours par rapport à Facebook ou Instagram.»