Eclairage. Il y a dix ans, le Parti pirate émanait de la scène geek activiste et underground. Marginale, cette formation politique en phase avec les enjeux de la société numérique essaime aujourd’hui dans 41 pays, dont la Suisse. Et part à l’assaut des gouvernements nationaux.
C’est un abordage manqué de peu. En Islande, le jeune Parti pirate n’a pas enregistré la percée que les sondages lui promettaient aux élections législatives organisées le 29 octobre dernier. A l’issue des résultats, la formation politique au programme libertaire n’a obtenu «que» 14,5% des voix, remportant ainsi dix sièges.
Ce qui fait néanmoins d’elle le troisième parti du pays. Birgitta Jónsdóttir, la fondatrice des Pirates islandais, devra donc attendre un peu avant de devenir premier ministre de l’île. Est-ce une déception pour autant? Il y a quatre ans seulement, les Pirates islandais n’existaient tout simplement pas.
Qui sont ces ovnis nés du web? Les Pirates émanent il y a dix ans de la scène geek activiste et underground. Champions de la transparence, ils militent pour la défense des droits civiques des internautes. Et exigent notamment l’application des lois et libertés civiles du monde physique (liberté d’expression, respect de la sphère privée) au web.
En d’autres termes, ils se battent «pour la protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales à l’ère numérique», résume le Parti pirate international (PPI) qui chapeaute toutes les formations du parti présent dans 41 pays.
C’est en Suède, berceau du parti fondé par Rick Falkvinge en janvier 2006, que les Pirates ont gagné l’attention internationale par leur soutien invétéré au site de téléchargement
«torrent» The Pirate Bay, dont les serveurs ont été fermés en mai 2006 sur l’ordre du Ministère de la justice suédois. Soit une première atteinte aux libertés numériques des internautes. La défense des libertés numériques? Un enjeu à des années-lumière des agendas politiques de l’époque. La donne change en 2010 avec la déferlante de révélations explosives de WikiLeaks, l’organisation cofondée par Julian Assange. Le monde découvre alors qu’à l’ère numérique, le secret est un concept illusoire.
Depuis, l’essor des réseaux sociaux, de la téléphonie mobile, les révélations d’Edward Snowden, la multiplication des cyberattaques ciblant les Etats et les entreprises ont ouvert aux Pirates de nouveaux champs de bataille, leur permettant d’essaimer leurs revendications. Et de faire leur entrée au Parlement européen (deux eurodéputés) à l’issue des élections de 2009. Mais, depuis 2014, le parti n’a plus qu’une seule élue à Strasbourg, l’Allemande Julia Reda, 29 ans.
Siège international en Suisse
En Islande, la formation réussit pour la première fois en 2013 à envoyer trois représentants dans un Parlement national. En Allemagne et en Autriche, le parti compte des élus au plan régional.
En Suisse, le Parti pirate fait encore office d’ovni dans l’échiquier politique. A 45 ans, Guillaume Saouli est le coprésident de la formation suisse. Le Genevois établi à Gimel est aussi à la tête du Parti pirate international depuis le mois de juillet dernier. Son premier fait de président a été de déplacer le siège du PPI de Bruxelles à la Cité de Calvin.
L’ambition est claire. «Mon intention est que le Parti pirate international devienne un contributeur majeur pour les questions liées à la société numérique auprès de la communauté internationale.» Guillaume Saouli a notamment promis d’œuvrer pour la reconnaissance du PPI en tant que membre à part entière du Conseil économique et social des Nations Unies (ECOSOC).
«Ni de gauche, ni de droite»
En parallèle, le coprésident va devoir s’atteler à structurer les Pirates en Suisse. Ici, le parti ne connaît pas le même succès qu’en Islande, les militants suisses étant encore plus à l’aise derrière leurs écrans que dans la rue pour défendre leurs idées.
L’heure est alors à la professionnalisation pour élaborer un programme clair, le communiquer, fédérer et gagner de nouveaux membres avec l’ambition de remporter des sièges communaux, cantonaux et, qui sait, nationaux. Car le parti fait des émules dans toutes les tendances politiques traditionnelles, puisqu’il enregistre le vote PLR, socialiste ou des Verts sur certains objets comme la récente votation sur la loi sur le renseignement.
«L’enjeu n’est pas la droite ou la gauche, c’est de replacer l’humain dans une société numérique qui se veut éduquée et résiliente, défend Guillaume Saouli. Depuis notre naissance en 2009, nous élaborons notre identité propre pour nous positionner sur l’échiquier politique suisse. Il y a des avantages et des inconvénients, car nous ne descendons pas d’une tendance d’un parti déjà établi.» Si le Parti pirate n’est pas figé dans son positionnement, il se dit «humaniste, libéral et progressiste».
Premier objectif: «Placer un ou deux députés au Grand Conseil vaudois, puis dans les autres cantons pour ensuite faire son nid au rythme de la démocratie suisse.» La percée de leurs homologues islandais dans un Parlement national démontre aux Pirates suisses que tout est possible.