Les économistes n’ont pas le sens de l’humour, c’est bien connu, et ils manquent cruellement d’imagination quand il s’agit de représenter les concepts dont ils se gargarisent. Mais pas toujours. Curieusement, ils font preuve d’une grande créativité pour décrire la classe moyenne. Pour preuve, les différents graphiques utilisés pour montrer la distribution des richesses au sein de la société: la montgolfière, le sablier et l’éléphant.
La montgolfière d’abord. Le dessin, imaginé par l’économiste français Alain Lipietz, représente la répartition des classes sociales entre 1955 et 1975. A sa base, les masses populaires sont réduites. La courbe s’élargit progressivement pour atteindre sa plus grande largeur aux deux tiers, avec une classe moyenne large et repue (voir ci-dessous).
Les ménages fortunés ne formant qu’un petit chapeau. Portée par les trente glorieuses, la croissance fait grimper toute la pyramide. Très en verve, Alain Lipietz propose une autre analogie: «La société est emportée sur un escalier mécanique où les distances sociales restent stables mais où tout le monde s’élève.»
La tendance s’inverse dès 1976. On passe au sablier: dans ce modèle, la classe moyenne se disloque. Une partie accède aux classes supérieures par ascension sociale, tandis que l’autre dégringole vers les couches populaires.
Cette description catastrophique est en réalité un peu courte. En ne décrivant la situation que sous l’angle des pays développés, elle ne prend pas en compte un phénomène plus large: la mondialisation. L’essor des échanges et l’ouverture du monde ont aussi contribué à l’apparition de nouvelles classes moyennes dans les pays en développement. C’est ce que montrent deux économistes de la Banque mondiale, Branko Milanovic et Christoph Lakner, avec le graphique de l’éléphant.
Il est un peu plus difficile à lire que la montgolfière ou le sablier, mais il est aussi plus riche d’enseignements. L’échelle horizontale représente la distribution des habitants de la planète en fonction de leurs revenus. A gauche les pauvres, à droite les riches. L’axe vertical montre la progression de leurs revenus entre 1988 et 2008. Pour y parvenir, Milanovic et Lakner ont rassemblé des données sur les revenus de 120 pays couvrant 90% de la population.
Conclusion: la pauvreté a reculé dans le monde. Les revenus des 2% les plus pauvres ont augmenté de 20% ces vingt dernières années. Ceux des 30% les plus pauvres se sont accrus de 20 à 50%. Bien sûr, les super-riches sont devenus encore plus riches: c’est ce que montre la trompe dressée de l’éléphant.
Mais ils ont progressé moins fortement que les revenus des immenses classes moyennes d’Inde et de Chine, qui forment la plus grande partie de la population au centre du graphique: 90% des personnes autour du revenu médian mondial sont originaires de ces deux pays. Leurs revenus ont grossi de 80%, contre 70% pour les super-riches. En moyenne, 20% de la population mondiale a vu ses revenus augmenter de plus de moitié. Et les inégalités globales des revenus ont décru «pour la première fois depuis la révolution industrielle», observe Branko Milanovic.