Eclairage. A mesure que les Etats musclent leurs pouvoirs de surveillance électronique, le programme Intelexit aide les agents repentis à quitter le monde du renseignement.
L’espionnage, un piège tout aussi insidieux que la criminalité ou la toxicomanie. A l’image des parrains pour les Alcooliques anonymes, des militants connus et reconnus de la défense de la vie privée sur l’internet assistent les agents des services du renseignement qui veulent quitter leur emploi.
Né en septembre 2015, Intelexit est le premier programme d’aide aux espions. Son principe est simple: proposer une porte de sortie aux agents pris de doutes éthiques après les révélations d’Edward Snowden sur la surveillance de masse, et qui souhaiteraient raccrocher mais ne savent pas comment faire.
Le projet Intelexit a été lancé par le collectif berlinois Peng, déjà célèbre pour ses actions contre la surveillance généralisée des citoyens. Il bénéficie du soutien du cryptologue américain et expert en sécurité informatique Bruce Schneier, de la garde rapprochée d’Edward Snowden, de l’ancien employé de la Stasi Walter Eichner et de Thomas Drake. En 2007, cet ancien cadre supérieur de la NSA s’était mué en lanceur d’alerte pour dénoncer les manquements de l’Agence américaine de sécurité nationale lors des attentats du 11 septembre 2001.
«Soyez intelligents, quittez le renseignement»
Sous son vernis militant, le programme Intelexit se présente néanmoins comme une initiative tout à fait sérieuse, dont la mise sur pied a pris des mois afin d’assurer la sécurité et de garantir l’anonymat des espions repentis. Les premières actions d’Intelexit démarrent fin 2015, de manière spectaculaire: un lâcher de tracts par drones au-dessus du siège du renseignement allemand, le Bundesnachrichtendienst (BND).
Puis par une campagne d’affichage plus classique, à Londres, aux abords du GCHQ. Le slogan est toujours le même: «Soyez intelligents, quittez le renseignement.» Mais comment?
Les démarches commencent par un long travail d’introspection. Le candidat au départ est invité sur le site d’Intelexit à remplir un questionnaire qui l’interroge sur ses motivations: conflits moraux, doutes éthiques, solitude. Les raisons sont aussi multiples que les craintes. Le changement de vie, par exemple, ou la peur des poursuites judiciaires s’ils raccrochent.
Le collectif Peng les rassure: «Ce n’est pas illégal de quitter le renseignement. C’est une décision qui prend du temps et doit être mûrement réfléchie. Cette démission ne fait pas de vous un lanceur d’alerte», peut-on lire sur le site internet d’Intelexit. A l’issue du questionnaire, ce dernier génère une lettre de démission en fonction des réponses du candidat.
Durcissement
A mesure que les Etats étoffent leurs pouvoirs de renseignement comme en France et plus récemment en Suisse, le programme Intelexit a lui aussi musclé ses actions. Au mois de février 2016, le collectif Peng a installé une demi-douzaine de cabines téléphoniques dans les couloirs du centre des congrès de Berlin, où se déroulait une conférence sur la sécurité informatique.
Dans chaque cabine, le téléphone compose aléatoirement le numéro du renseignement allemand, français, canadien, américain ou britannique. Au bout du fil, les espions entendent de parfaits inconnus leur demander s’ils ont déjà entendu parler d’Intelexit.
La démarche peut prêter à sourire, mais le collectif Peng assurait à l’époque avoir reçu de «nombreux témoignages» d’agents prisonniers d’un système dans lequel ils ne se reconnaissaient plus. Au Royaume-Uni, le GCHQ s’est même fendu d’une réponse officielle en soulignant qu’il disposait de son propre service interne pour accueillir les employés en proie à quelques doutes concernant la nature de leurs activités professionnelles.
La Grande-Bretagne vient d’ailleurs de muscler sa loi sur le renseignement. Le 17 novembre dernier, l’Investigatory Powers Bill, le projet de loi de la première ministre Teresa May, a reçu l’aval des Chambres des lords et des communes.
Cette loi très controversée contraint les fournisseurs d’accès à l’internet à stocker pendant un an l’intégralité de l’historique de navigation de tous les Britanniques. Elle autorise aussi la police à pirater les téléphones et les ordinateurs dans le cadre d’enquêtes criminelles. Une loi «extrême», selon Edward Snowden, qui pourrait motiver certains agents du renseignement à raccrocher.