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Du divan aux électrochocs

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Jeudi, 24 Novembre, 2016 - 05:59

Décodage. Antidépresseurs, acupuncture, psychothérapie, électrochocs… Les personnes en dépression ont désormais à leur disposition une palette de techniques pour s’en sortir. Les médecins, eux, ont une approche globale et tentent d’adapter le traitement à chaque patient.

Il est fini, le temps des chapelles. Psychiatres, psychologues, psycho­thérapeutes, les spécialistes ont décidé depuis quelques années de mettre en commun leurs forces pour lutter contre la dépression. Au sein des services spécialisés, dans les cantons romands, on revendique une approche globale et fédératrice: il s’agit d’abord de recevoir le patient, de l’écouter, d’analyser son profil, puis d’essayer avec lui plusieurs méthodes.

«Pendant des décennies, le patient devait s’adapter à la vision du psychiatre, relève Guido Bondolfi, médecin adjoint agrégé, responsable du programme des troubles anxieux aux HUG. Aujourd’hui, nous sommes plus sensibles au fait qu’il faut trouver la bonne chaussure au pied du patient. Cela ne sert à rien de lui imposer des approches qui ne lui conviennent pas.»

Les lieux d’accueil sont aussi développés en dehors des hôpitaux, comme à Lausanne, où les consultations psychiatriques ambulatoires seront regroupées, dès la fin novembre, dans le quartier de Chauderon. Quant au traitement médicamenteux, il n’est plus un réflexe. 

En 1998, une étude a démontré que les antidépresseurs sont à peine plus efficaces que les placebos. Donc depuis, les guides ont évolué. Pour des dépressions légères à moyennes, la psycho­thérapie se montre aussi efficace. Pour un syndrome plus sévère, on allie en général les deux. Mais la palette de solutions à la disposition des patients est plus large qu’avant. Revue non exhaustive des possibilités.

Les antidépresseurs

Plus de 3,5 millions de boîtes d’anti­dépresseurs et stabilisateurs de l’humeur ont été vendues en Suisse en 2015. C’est 100 000 boîtes de plus achetées qu’en 2013 (voir graphique ci-dessous). Selon les données 2012 de l’enquête suisse sur la santé, 5% des Suisses prennent un médicament quotidiennement contre la dépression. Les plus nombreux à le faire sont les personnes âgées de 55 à 64 ans (7,3%), tandis que les 25-34 ans ne sont que 2,7% à suivre le même traitement. Ces comprimés sont en majorité prescrits par les médecins généralistes.

Les molécules sur le marché n’ont pas beaucoup changé depuis des décennies. «Une grande partie des antidépresseurs, tels les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine qu’on utilise aujourd’hui, a été développée dans les années 80 et implémentée dans les années 90 », précise Martin Preisig, à l’hôpital de Cery. C’est le cas de la fluoxétine (Fluctine, Prozac), du citalopram (Seropram) ou de la sertraline. Le lithium, le meilleur stabilisateur de l’humeur, remonte même aux années 50.

Les antidépresseurs ont démontré leur efficacité, mais ne sont pas anodins: la plupart ont des effets secondaires assez importants. Les inhibiteurs de la sérotonine génèrent par exemple une baisse de la libido, observée chez un tiers des patients. Pour enrayer ces effets néfastes qui pèsent sur la qualité de vie des patients, de nouvelles molécules (agomélatine, vortioxétine) ont été récemment mises sur le marché suisse. Leurs mécanismes d’action ainsi que leurs effets secondaires les distinguent des inhibiteurs de la recapture de la sérotonine.

Ces antidépresseurs causent notamment moins de prise de poids ou de troubles sexuels. Tout comme le bupropion, longtemps utilisé en Suisse pour aider au sevrage du tabac, qui a été relativement récemment lancé comme antidépresseur.

A l’Université de Genève, Jean-Michel Aubry et son équipe ont récemment mené une étude approfondie sur l’usage de la kétamine, un anesthésique ancien, en cas de dépression. Les résultats, qui seront bientôt publiés, sont très prometteurs. «Injecté en intra­veineuse, il provoque dans l’heure qui suit une diminution nette des symptômes dépressifs et des idées suicidaires, note le chef du département de santé mentale et psychiatrie des HUG.

Certes, au bout d’une semaine les symptômes reviennent. Mais sur le court terme, l’effet est spectaculaire.» Le protocole, expérimental, n’est pas encore homologué par les institutions. Il pourrait l’être dans quelques années, dans la mesure où plusieurs entreprises pharmaceutiques travaillent sur des dérivés de la kétamine, qui, en solution d’inhalation nasale, pourraient soulager les épisodes dépressifs les plus graves.

La psychothérapie

Pour guérir de la dépression, il n’est pas nécessaire de s’allonger des mois sur le divan. En 1976, Gene Glass a prouvé, en synthétisant les résultats de la plupart des études conduites à l’époque dans ce qu’on appelle une méta-analyse, l’efficacité de la psychothérapie, y compris contre la dépression. Il existe plusieurs types de thérapies, dont les bienfaits sont équivalents.

Aujourd’hui, les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) sont fréquemment prescrites. Les psychothérapies psychodynamiques partent du principe que la dépression a été enclenchée par une perte ou un deuil non résolu, une personne, mais aussi un rôle ou une fonction.

La psychothérapie inter­personnelle, elle, estime qu’une situation difficile est à l’origine de la dépression: un deuil, un projet non réalisé (ambition inaccessible), un changement de rôle (devenir parent, changer de poste de travail) et l’isolement social. Quelques mois peuvent suffire pour que les symptômes dépressifs régressent, quel que soit le type de psychothérapie choisi.

A l’hôpital de Cery, une étude a été conduite sur une psychothérapie psychodynamique de douze séances proposée à des patients sévèrement déprimés et hospitalisés. «Les patients qui suivaient une psychothérapie dynamique en plus de leur traitement habituel se sentaient mieux, à la sortie, que ceux qui n’en avaient pas bénéficié, indique Jean-Nicolas Despland. Et surtout, leur état était bien meilleur après trois mois, et aussi après douze mois.»

A long terme, une psychothérapie favorise la guérison et réduit les risques de rechute. Ce résultat est d’une grande importance: en effet, après une dépression, le patient a 50% de risques d’en faire une autre. Après deux dépressions, les risquent augmentent à 70%. Après trois dépressions, ils se montent à 90%.

Les groupes de parole

Tous les spécialistes l’affirment désormais: la rencontre avec des pairs aide énormément les malades. D’abord parce que cela permet de ne plus se sentir seul et améliore l’estime de soi-même. Ces discussions permettent aussi de mieux connaître sa maladie, de prendre du recul vis-à-vis d’elle.

Dans le canton de Vaud, cela fait presque trente ans que le Graap (Groupe d’accueil et d’action psychiatrique) existe. Cette association se présente d’abord comme un lieu de convivialité, sans jugement, pour les personnes en souffrance psychique, dont un certain nombre victimes de dépression. L’association a essaimé plusieurs lieux d’accueil, dont des restaurants, des cafés, et propose des ateliers et des sorties pour permettre à son public de sortir de l’isolement.

Marie Israël, psychologue de formation, exerce au Graap depuis quatre ans en tant que responsable de la communication et du développement communautaire. Elle anime aussi des groupes de parole.

«Aujourd’hui, on a réalisé que vis-à-vis de la dépression l’approche médicale ne suffit pas, explique-t-elle. L’idée est que la personne puisse imaginer un nouveau projet de vie, apprendre à cohabiter avec sa vulnérabilité. Cela bouscule fortement son identité, c’est pourquoi c’est important de l’accompagner dans cette démarche. Nous considérons que la santé psychique n’est pas qu’un problème individuel mais aussi une problématique de toute la société. Nous sommes tous coresponsables du fait que des personnes sont plus fragiles et que c’est notre rôle collectivement de les protéger et de les entendre.»

La méditation

Cela fait quinze ans que cette pratique est proposée par les Hôpitaux universitaires de Genève aux patients qui souffrent d’une dépression. La mindfulness, soit la pleine conscience, a été conçue dans ce cadre pour travailler spécifiquement sur les mécanismes à l’origine des rechutes dépressives. «Au début on me prenait pour un rigolo, relève Guido Bondolfi, à la tête de ce programme aux HUG.

Mais j’ai démontré, études à l’appui, que deux heures par semaine de méditation, pendant huit semaines, réduisaient de moitié les risques de rechute pour les personnes les plus concernées.» Et il n’y a pas forcément besoin d’une médication en soutien. Les séances ont lieu par groupe de douze personnes, deux fois par semaine.

Les électrochocs

Cette pratique, longtemps peu encadrée et qui a pu être utilisée de manière abusive, a souvent pâti d’une mauvaise réputation. Son image a d’ailleurs été utilisée par la cinématographie ou la littérature pour décrire des scènes de torture et d’avilissement des êtres – on pense notamment à Orange mécanique, film de Stanley Kubrick sorti en 1971.

Cette ère est désormais révolue: les électrochocs sont toujours plus utilisés en Suisse, essentiellement dans le canton de Vaud, notamment afin de soigner les personnes qui souffrent de dépression. Jean-Frédéric Mall, qui est responsable d’une unité spécialisée au CHUV, préfère parler d’électroconvulsivothérapie (ECT). Le traitement est essentiellement réservé à des patients qui ont une forme sévère de la maladie, chez qui les autres traitements proposés n’ont pas d’effet.

Cette unité soigne ainsi plusieurs dizaines de personnes par année. Le traitement est remboursé par les assurances. L’idée est de provoquer une crise d’épilepsie en stimulant le cerveau avec un champ électrique. Les mécanismes sont complexes mais comprennent notamment la libération de substances qui endiguent la maladie en réaction à la crise. L’anesthésie est générale, mais elle ne dure que quelques minutes. Quelques pertes de mémoire sont enregistrées, mais elles sont réversibles.

En général, entre six et douze séances suffisent pour effacer les symptômes de la maladie.

Pour le Dr Mall, «c’est le traitement le plus efficace qui existe actuellement contre la dépression sévère. Dans les cas de dépressions résistantes, huit patients sur dix répondent favorablement, c’est-à-dire que l’intensité des symptômes est diminuée de 50%. Pour la moitié des patients, le traitement crée une rémission complète. Parmi les personnes que nous suivons, nous en avons vu renaître.

Il s’agissait de gens affaiblis par la maladie, hospitalisés durant des mois, qui, après les ECT, ont pu rentrer chez eux, vivent autonomes.» Pour ces personnes, Jean-Frédéric Mall propose un traitement de fond, en faisant par exemple une séance d’ECT par mois, afin d’éviter les rechutes et favoriser la stabilisation.

Pour ceux qui seraient tentés par cette approche, mais qui hésiteraient tout de même à sauter le pas, il existe désormais un traitement qui s’en inspire, bien qu’il soit beaucoup moins invasif et que les indications ne soient pas totalement superposables à celles de l’ECT. Il s’agit de la stimulation magnétique trans­crânienne: on applique un champ magnétique sur certaines régions du crâne, afin d’inhiber ou de stimuler des neurones.

Ce traitement n’est pas douloureux et ne nécessite pas d’anesthésie, mais il est coûteux et pas encore remboursé. Il s’effectue notamment aux HUG et dans certains cabinets privés. En général, le patient suit des séances quotidiennes pendant quatre à six semaines. C’est assez efficace sur des personnes résistantes aux autres traitements. 

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