Décodage. Missives envoyées par les autorités anglaises aux parents pour signaler le surpoids ou l’obésité de leur enfant, les «fat letters» existent aussi en Suisse.
Mardi 29 novembre, sur les ondes de RTS La Première, un reportage consacré aux fat letters, ces lettres envoyées par les autorités anglaises pour rendre les parents attentifs au surpoids de leur enfant. «En Suisse, l’envoi d’une telle missive n’est pas à l’ordre du jour», apprenait-on. Une diététicienne du CHUV, spécialiste de l’obésité pédiatrique à l’Hôpital de l’enfance, confirmait: «On en est loin.» Vraiment? Pas tant que cela.
Des fat letters, Nadia, mère de deux enfants, en a reçu deux, il y a moins de dix ans, de la part du médecin scolaire. «Le mot «obèse» y figurait. Le médecin scolaire nous invitait à consulter notre médecin traitant», se souvient cette infirmière qui habite La Chaux-de-Fonds. «Mon fils a reçu un électrochoc. Il n’était pas gros du tout. Il avait une musculature importante. Les infirmières qui pesaient les enfants n’avaient tenu compte ni de la musculature ni de l’ossature. Elles ne faisaient pas un vrai BMI (Body Mass Index).»
Sujets sensibles
Médecin à la tête du Service de santé et promotion de la santé de La Chaux-de-Fonds, Souhaïl Latrèche bat sa coulpe et admet les maladresses des débuts, en 1995. Les missives envoyées aux parents d’élèves trop gros provoquaient de vives réactions: «Nous nous faisions réprimander. Les gens refusaient la lettre, nous téléphonaient.» Le médecin neuchâtelois, qui compte vingt et un ans d’expérience, constate qu’il y a deux domaines particulièrement «sensibles» lorsque l’on évoque la santé des enfants: l’hygiène et le poids.
«Les familles sont impliquées. C’est comme si elles avaient fait quelque chose de faux.» Par contre, elles réagissent bien moins vivement lorsque les jeunes fument, boivent ou ne mettent pas de préservatifs, car c’est à chaque fois un produit ou un comportement individuel qui est en cause.
Aujourd’hui, question fat letters, les choses ont changé et l’équipe médicale est devenue très prudente dans leur formulation. «Ce n’est pas facile, il faut choisir ses mots. Nous avons appris», explique le médecin neuchâtelois. La lettre commence par une entrée en matière très politiquement correcte:
«Nous nous permettons d’attirer votre attention sur la corpulence de votre enfant. Vous serez peut-être surpris de recevoir ce courrier, mais l’expérience montre qu’en matière de surcharge pondérale, plus vite on intervient, meilleurs sont les résultats à moyen et long terme.» Dix à 12% des élèves étaient en surpoids lorsque Souhaïl Latrèche, un des précurseurs en la matière en Suisse, a commencé à lutter contre les kilos en trop chez les enfants. La proportion est aujourd’hui passée à plus de 20%.
Pourtant, depuis août 2015, le service de santé scolaire n’envoie plus qu’une dizaine de lettres par année. Une nouvelle directive cantonale délègue en effet les contrôles médicaux des élèves aux médecins traitants. A eux de mettre des mots sur d’éventuels kilos en trop. C’est uniquement quand les familles esquivent cette visite obligatoire que le médecin scolaire les rattrape, ce qui représente 30 à 40 élèves par année.
Souhaïl Latrèche évoque également la bonne collaboration avec les enseignants, qui s’est développée au fil des années. «Ils font appel à moi lorsqu’ils remarquent qu’un élève est en surpoids. J’appelle les familles et nous discutons.» Il arrive également de plus en plus souvent que ce soient les parents qui le contactent, car le programme nommé éq’kilo, qu’il a mis sur pied en 2004, a gagné en notoriété.
Multidisciplinaire et familiale (diète, sport, psy), cette action thérapeutique dure neuf mois, soit une phase intensive de six mois suivie de rencontres régulières. «Au bout d’une année, 33% des enfants ont perdu du poids, 33% l’ont gardé et 33% ont repris des kilos. Le combat est rude. Nous sommes entourés de sucre, de graisse et d’un environnement défavorable au mouvement.»