Patricia Lewis
Décodage. Notre monde est désormais complètement dépendant des satellites qui assurent mille tâches quotidiennes, notamment pour la navigation, la météo et les télécoms. Or il se peut qu’ils courent un grand danger. Explications.
Depuis que le premier satellite artificiel a été lancé en 1957, l’humanité est devenue incroyablement dépendante des objets qui se baladent dans l’espace. Quelque soixante pays et une vingtaine d’organisations possèdent une ou plusieurs plateformes spatiales et, en ce moment, plus de 1400 satellites opérationnels sont en orbite autour de la Terre (voir l’infographie ci-dessous).
Les technologies spatiales deviennent de plus en plus accessibles à tous les pays, riches ou pauvres. Et elles sont désormais aussi à la portée des organisations internationales ou de simples citoyens, notamment dans le domaine des nanosatellites.
Cette évolution a eu une action à la fois égalisatrice et stimulante sur le développement économique mondial. Les satellites sont utilisés pour la communication, l’observation de l’environnement et de la météo, la navigation, le repérage militaire et la recherche scientifique: de l’astrophysique à la biologie cellulaire.
Presque toutes les nations dépendent des satellites pour une grande partie de leurs infrastructures primordiales. Mouvements des masses continentales, eaux littorales, forêts, déserts, agglomérations urbaines: tout est surveillé depuis l’espace. Les prévisions météorologiques sont devenues bien plus précises. La connectivité sur l’internet, les téléphones mobiles, les télécommunications en général sont commodes et peu coûteuses pour toute une série de pays qui, auparavant, n’avaient pas pu créer une infrastructure fixe.
Les technologies spatiales ont changé notre monde. Pour le mieux. Il est dès lors vital que l’espace demeure un endroit fiable et sûr. Pour l’avenir de l’économie, pour favoriser la lutte contre la pauvreté, pour une meilleure gestion des ressources de la planète.
Un espace militarisé
Depuis le début de la conquête spatiale, les missions militaires nationales se sont mêlées à l’usage civil de l’espace. Les fusées servant au lancement des satellites sont par exemple identiques aux missiles à longue portée déployés pour expédier des ogives nucléaires à l’autre bout de la planète. Et les données de navigation sont utilisées pour guider les missiles jusqu’à la cible.
La capture d’images de la Terre n’est pas vitale uniquement pour la surveillance de l’environnement: elle sert aussi à espionner les activités militaires ennemies et à fournir des informations assurant aux forces terrestres, navales et aériennes une connaissance optimale de la situation et la précision nécessaire au lancement d’attaques.
L’espace s’est militarisé. Entre missiles antisatellites, vision «guerre des étoiles» de Ronald Reagan, Initiative de défense stratégique (IDS) et, désormais, projets de cyberattaque de satellites, il y a lieu de craindre que les armes ne deviennent des hôtes permanents de cette région et sabotent les nombreuses entreprises pacifiques, comme la Station spatiale internationale (ISS).
Les débris qui peuplent les différentes orbites sont un autre problème majeur. La NASA suit à la trace plus de 500 000 débris, mais il y en a des millions qui sont trop petits pour être détectés et localisés. Or chacun d’entre eux pourrait causer de gros dommages au réseau mondial de satellites et constitue une menace permanente pour la Station spatiale internationale.
Chaque dommage engendre alors à son tour de nouveaux dégâts, en une cascade de collisions de débris. Ces débris, qui proviennent de collisions accidentelles ou d’essais de missiles antisatellites, demeurent indéfiniment en orbite.
Aspirateur à débris
La situation se détériore si vite qu’un certain nombre d’Etats développent d’ingénieux outils pour aspirer ou attraper ces déchets. Le problème, pour les opérateurs de satellites, consiste à faire en sorte qu’un aspirateur à débris ne se transforme pas en arme destinée à détruire des satellites. Il faut pouvoir différencier entre des résidus inertes à nettoyer et les nanosatellites à épargner.
Vitaly Adouchkine, de l’Académie russe des sciences, met en garde: les débris dans l’espace pourraient «provoquer un conflit politique ou même militaire, puisque le propriétaire d’un satellite touché ou détruit pourra difficilement déterminer la cause réelle de l’accident».
Afin de limiter l’armement de l’espace et de maximiser son occupation pacifique, les gouvernements ont développé une série de structures censées gérer l’usage du cosmos. Et ainsi prévenir une guerre future – jugée inévitable par de nombreux spécialistes – qui verrait des engins spatiaux attaqués depuis la Terre et des armes en orbite attaquer des cibles au sol ou dans l’espace.
Le Comité des Nations unies pour l’utilisation pacifique de l’espace extra-atmosphérique (COPUOS) a été créé dès l’Assemblée générale de 1958, afin que l’exploration et l’usage de l’espace bénéficient à l’ensemble de l’humanité, à la paix, à la sécurité et au développement. De la même manière, les Etats-Unis ont mis sur pied une procédure visant à créer un code international de conduite pour les activités spatiales, censé améliorer leur sécurité et leur durabilité.
Même si un certain nombre d’avancées ont été réalisées, de nouvelles menaces pointent. Toute activité qui recourt à l’utilisation d’outils électroniques de cartographie, de navigation et de synchronisation repose sur le Système de positionnement par satellites, ou GNSS (Global Navigation Satellite System). Presque tous les avions, bateaux, voies ferrées, réseaux de distribution électrique, transactions financières – et bien sûr les systèmes militaires, y compris les missiles à longue portée – sont terriblement dépendants des données fournies par de tels systèmes.
Les satellites et leurs centres terrestres de pilotage sont pour l’essentiel des cyberplateformes et, à ce titre, très vulnérables aux attaques informatiques. La plupart des satellites plus anciens n’ont aucun système de défense contre ce type d’offensives.
Or, il y a du souci à se faire, puisque certains Etats sont en train de développer leurs capacités à lancer des agressions contre des satellites. Le piratage et le brouillage des données numériques du GNSS pourraient fausser les données de navigation des avions et des bateaux, entraînant d’éventuelles collisions. La prise de contrôle physique d’un satellite permettrait de le déconnecter ou encore de le faire dévier en travers de la route d’un autre satellite et de déboucher sur la destruction des deux engins.
Aujourd’hui, le monde dépend tellement, dans ses activités de tous les jours, de l’espace et en particulier des données GNSS qu’une collaboration internationale en matière de cybersécurité est une priorité absolue, sans parler d’une urgente campagne de nettoyage des débris qui se promènent en orbite. Afin de garder durablement la main sur les atouts que nous fournit l’espace.
© 2016 Chatham House Traduction et adaptation Gian Pozzy