Reportage. Les Suisses sont de plus en plus nombreux à nager dans les lacs et les rivières en hiver. Témoignages et conseils.
Qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, depuis trois ans, la Veveysanne Fatima de Sousa, active dans les soins, se rend tous les jours au bord du lac Léman pour nager. Se baigner quotidiennement dans l’eau froide a transformé son existence et celle d’un petit groupe d’amies qui se débrouillent pour qu’il y ait toujours deux personnes au rendez-vous. «Je revis! C’est une sensation qui ne s’explique pas, elle se ressent.
Tous les matins je me dis: «Quelle chance on a». On noie tous nos petits problèmes dans le lac et on commence la journée par un moment d’amitié et de complicité, en admirant la nature et le paysage. On se sent tellement mieux après ces baignades. De plus, moi qui étais tout le temps malade en hiver, je n’ai presque plus rien. C’est juste miraculeux. Et dire que je suis passée à côté de ça toutes ces années.»
Un peu partout en suisse
Givrées, Fatima de Sousa et ses amies baigneuses? Absolument pas à entendre les témoignages emballés de ceux qui pratiquent la nage en eau froide. Et ils sont de plus en plus nombreux, comme le confirment les nombres de participants aux divers Winter Swimming qui ont lieu en Suisse, soit à Genève, Morges, Berne, Zurich, Merlischachen (SZ) et Wädenswil (ZU).
A Genève, pour la fameuse Coupe de Noël (77 éditions déjà), les participants étaient 1247 en 2013, 1448 une année plus tard, 1541 en 2015 et ils seront 1824 pour l’édition 2016, qui aura lieu le 18 décembre. Président du comité d’organisation, Christophe Jacot constate: «Cela prend un peu partout en Suisse. L’Association des usagers des Bains des Pâquis est d’ailleurs débordée par le nombre grandissant des nageurs d’hiver.»
A Morges, pour la Coupe des Glaces, qui sera organisée le 14 janvier 2017 pour la deuxième fois, le nombre de nageurs est passé de 90 à 150 et ils sont âgés de 16 à 76 ans. Des nageurs qui se réunissent tous les samedis et dimanches à la plage de la Cure d’Air et se lancent à l’eau, quels que soient la température et le temps, comme l’explique Rafael Corvalan qui attend ce moment avec impatience. «C’est un groupe soudé et ouvert à tous. On nage puis on boit un chocolat chaud et on mange des croissants sur place.»
Même engouement à Zurich, où les organisateurs du Samichlausschwimmen, qui se déroule dans la Limmat, ont affiché complet en à peine deux jours. Du jamais vu depuis la première édition, en 2000, de cette manifestation qui limite la participation à 350 personnes pour des raisons de sécurité.
Et à Berne, l’intérêt pour le Zibeleschwümme, une nage de 350 mètres dans l’Aar, ne cesse d’augmenter, observe Christian Häberli. L’année 2016 marque encore le grand retour de la Coupe de Noël de Paris, après septante-six ans d’absence. Un retour qui devrait attirer 150 nageurs au bassin de la Villette le 24 décembre.
Se sentir vivant
Mais que vont-ils donc tous faire dans cette galère? C’est bien ce que se demande Philippine, du haut de ses 17 ans, ce dimanche matin de novembre à Genève. Malgré le soleil, la température du lac ne dépasse pas les 9 degrés. La jeune fille est venue aux Bains des Pâquis avec des camarades du collège Claparède à l’initiative d’une enseignante, Sandrine Dreher, qui prépare, pour la cinquième année consécutive, des élèves pour la Coupe de Noël. Elle désire ainsi souder les élèves de différents degrés du collège et partager avec eux une expérience extraordinaire.
Les entraînements ont commencé fin septembre et se déroulent tous les dimanches, avec la foule des autres baigneurs. Axel, 16 ans, vient pour ne pas gâcher son dimanche. «Sinon je traînerais au lit. Ça revitalise. Et lorsqu’on sort de l’eau, on est content.» Rayane, 18 ans, le fait pour «renforcer le corps»:
«Ça booste pour toute la journée.» Non loin de Sandrine Dreher, une de ses anciennes élèves, Laura, une universitaire de 22 ans. Depuis son initiation il y a cinq ans, elle a pris goût aux bains glacés et participe chaque année aux entraînements. «On se sent vivant! On perçoit chaque partie de son corps. Ça fait du bien.»
Non loin de là, un groupe s’apprête à se jeter à l’eau, le long de la jetée qui mène au phare, sous les encouragements de Christophe Jacot. Parmi les vaillants baigneurs, Nieves et ses deux filles, Charlotte, 20 ans et Juliette, 17 ans. Certains nageurs semblent avoir le souffle coupé, d’autres font aller leurs bras et leurs jambes à toute vitesse.
Beaucoup de «Oh put…!» et de cris plus ou moins stridents dès les premières brasses. La troupe nage en direction de la rive. «Je ne sens plus mes pieds, c’est normal?» demande une petite voix. «Oui!» répond Christophe Jacot qui lance à la cantonade: «Vous avez froid où?» Arrivée à bon port, après 190 mètres, Juliette commente: «Si j’ai fait ça, je me dis que je peux tout faire dans la vie.»
Se surpasser, réaliser quelque chose de différent, éprouver de nouvelles sensations, ressentir un immense bien-être durant les heures qui suivent le bain, mais également rencontrer des gens, partager un rituel, un thé ou un chocolat chaud, toutes sortes de raisons poussent les baigneurs de l’hiver à se lancer à l’eau, même si a priori, le cerveau crie «non!!!» dès que le bout des orteils effleure l’eau froide.
Car même pour les habitués, l’entrée dans le lac à cette saison est toujours douloureuse, comme le confirme Aurélie, qui fait partie de deux groupes de baigneurs qui fréquentent les Pâquis. «En dessous de 10 degrés, ça fait mal. C’est comme si l’eau froide s’introduisait dans la cage thoracique. Mais c’est grisant, un peu flippant.»
Et sacrément addictif pourrait-on ajouter, comme l’explique Eustache Hodebar, qui s’occupe de l’entretien des Bains des Pâquis depuis seize ans. C’est en voyant affluer les baigneurs de l’hiver qu’il s’est lancé il y a cinq ans. Aujourd’hui, il nage tous les jours. «Je ne peux plus m’en passer. Je vais dans l’eau après ma journée de travail qui commence à 4 heures du matin. Cela me donne une telle énergie que je pourrais recommencer à travailler.» Il n’est pas le seul à trouver beaucoup de vertus à cette activité aussi simple que gratuite.
Une drogue dure
Formé par Christian Voirol avec deux amis opticiens, le groupe des Givrés, soit Miranda, Marc, Christian et les autres, un noyau dur d’une vingtaine de personnes, vient se baigner toute l’année aux Bains des Pâquis. Le rendez-vous est quotidien, aux alentours de midi. Y va qui veut et qui peut. L’opticien genevois, qui nage trois fois par semaine, l’avoue: «Je ne pourrais plus m’en passer.» Il vient autant pour l’ambiance super sympa entre amis que pour la sensation ressentie.
Il y a douze ans qu’il pratique le Winter Swimmming, mais chaque fois qu’il entre dans l’eau, c’est un choc. «On le connaît, mais on veut le ressentir.» Et de constater: «Nous sommes tous des frileux qui se soignent.» La température la plus froide qu’ils aient affrontée? «Une eau à 2 degrés, par une bise noire… » A cette température-là, la troupe de nageurs semble bel et bien guérie…
Si la plupart des baigneurs choisissent d’affronter le froid en groupe, à juste titre d’ailleurs (lire l’encadré), quelques téméraires préfèrent se lancer en solitaire. C’est le cas d’Isabelle Chatelain, Genevoise d’adoption qui est née et a grandi à La Chaux-de-Fonds. Il faut la voir nager le crawl, dans un mouvement paisible et régulier, loin de la rive, seule au monde.
Elle parle des poissons qu’elle peut observer dans l’eau claire, car froide, de la joie ressentie, de ce regard neuf qu’elle porte sur les choses à chaque fois qu’elle rejoint la terre ferme, le «cœur rasséréné». «Je nage 4 ou 5 fois par semaine. C’est une drogue dure. » N’a-t-elle pas peur, seule? «J’ai plutôt peur de ne rien ressentir», éclate de rire la quadragénaire, souriante et joyeuse, qui mange régulièrement avec le groupe des Givrés après l’effort.
Gérard Kloos, lui aussi, se baigne seul, aux environs de Rolle, depuis une année, après avoir préparé son corps grâce à des douches froides. «Je le recommanderais à tout le monde. Plonger dans l’eau froide procure une sensation très profonde de détente musculaire et psychique, et de lâcher-prise. Ça permet de vivre l’instant présent. C’est également une très bonne école de l’écoute de soi. Ces baignades nous ramènent à l’essentiel, à ce qui se passe à l’intérieur de notre corps», explique encore l’ostéopathe.
Nageur passionné en eau froide depuis 2007, Thomas Giesefeld est un fidèle participant aux Winter Swinmming suisses depuis 2008. Cet Allemand passe l’essentiel de ses week-ends au lac de Constance où il nage seul. «Je mesure chaque fois la température et j’adapte la durée de mes entraînements. Je suis prudent.» Il totalise 58 «courses» en eau froide, dont certaines ont lieu en rivière, un autre défi.
«Le courant nous entraîne. C’est comme dans la vie: on a l’impression de décider, mais en fait, on ne décide rien. De plus, la température paraît encore plus froide que dans un lac.» Cette année, le quadragénaire met un point d’honneur à se rendre aux «big five» suisses – soit aux 5 plus grands événements – avec deux amies. «En ressortant de l’eau, je me sens chaque fois comme un nouveau-né. C’est un reset physique et mental.»
www.morges-natation.ch/evenements/coupe-des-glaces
Le point de vue médical
Trois questions à Jean-Yves Berney, pneumologue et spécialiste en médecine subaquatique et hyperbare.
Est-ce dangereux?
Cela peut l’être, car nous ne sommes pas prévus pour nous immerger dans l’eau froide. Le froid provoque la fermeture des vaisseaux sanguins au niveau de la peau. Le sang est redistribué vers le centre du corps et le cœur n’arrive pas toujours à gérer cette situation, avec un risque d’hydrocution.
Un refroidissement brutal du corps peut également provoquer un halètement incontrôlable. Incapable de gérer sa respiration, le nageur peut se noyer. Autre danger, l’hypothermie. Si l’on reste trop longtemps, la température du corps peut descendre à 31 ou 32 degrés et la personne perd connaissance. Mais c’est heureusement rare.
Est-ce sain?
Il n’y a aucune étude scientifique sérieuse qui prouve quoi que ce soit: ni augmentation de l’immunité contre les maladies ni de la libido. S’il y a une perte de poids, elle est mineure. Il n’y a pas non plus d’amélioration de la circulation sanguine. Les vaisseaux ne font que se fermer et s’ouvrir. Dans un énorme état de stress, le corps va produire de l’adrénaline et des endorphines qui provoquent une sensation de plaisir et de bien-être. On peut devenir dépendant mais, en soi, ce n’est pas dangereux.
Quels sont les bienfaits recherchés par les nageurs?
Je constate un vrai engouement pour la baignade en eau froide. Les bienfaits ne sont pas prouvés, mais si les gens y retournent, c’est qu’ils en trouvent. C’est presque de l’ordre de la spiritualité et du bien-être psychologique. Ces nageurs vont rechercher des sensations. Ils se mettent dans une situation de challenge: dépasser leurs limites et se prouver à eux-mêmes qu’ils peuvent y arriver.
Sept conseils pour nager en eau froide
Les recommandations de Christophe Jacot, président du comité d’organisation de la Coupe de Noël à Genève.
Toujours définir son parcours, d’un point A à un point B, pour le mental, c’est mieux.
Ne jamais nager seul. Un malaise ou une crampe sont toujours possibles. Le risque d’hypothermie existe également. Le nageur peut s’engourdir, nager de moins en moins bien et couler. Partager l’effort est une source de satisfaction.
Pour les néophytes, ne pas rester dans l’eau froide plus d’une minute par degré. Par exemple: 8 minutes pour une eau à 8°C.
Mettre un bonnet pour nager (en néoprène par exemple) pour garder la chaleur du corps qui s’évacue par la tête.
Se munir de chaussures pour se protéger les pieds. L’eau froide rend insensible et le risque de se blesser est ainsi plus grand.
Entrer rapidement dans l’eau une fois que l’on s’est mouillé la nuque et le ventre. Un conseil pour réguler sa respiration (éviter de respirer trop vite): plonger la tête sous l’eau pour calmer le stress.
Ne pas prendre de douche chaude en ressortant de l’eau. La différence de température est trop grande et peut provoquer l’évanouissement. Se sécher, s’habiller et prendre une boisson chaude.