Richard Werly
Analyse. Vainqueur incontesté de la primaire de la droite française, l’ancien premier ministre nourrit de longue date la passion de l’effort et des sommets. Une inclination qui l’a souvent amené à fréquenter la Suisse. Et à lorgner de ce côté-ci des Alpes pour y flairer les bonnes recettes économiques.
Il y a deux François Fillon. Le premier, ancré dans son terroir sarthois, entre Paris et la Bretagne, a la carrure, les passions et les défauts d’un notable provincial. C’est le Fillon chasseur, fier d’être pris en photo sur un tracteur, toujours prompt à défendre les paysans et à mettre en avant son expérience de maire de Sablé-sur-Sarthe, 12 000 habitants.
Un notable qui, en 1984, acheta le manoir de Beaucé, rustique château du XVe siècle plusieurs fois détruit et rénové, que Paris Match, puis l’émission de TV Une ambition intime choisirent comme décor pour raconter le candidat et faire découvrir sa famille.
Un notable qui ne craint pas d’afficher sa passion des voitures et du sport automobile. Avec, comme décor, le circuit des 24 Heures du Mans et les récits de ces pilotes «survivants» qui décrochèrent le titre à l’issue d’époustouflantes courses poursuites. A l’image du Belge Jacky Ickx, parti dernier et arrivé premier en 1969.
Le second François Fillon nourrit une passion presque plus politique, car elle lui a dès son adolescence imposé la conquête des sommets. «C’est avec mon père que j’ai commencé l’alpinisme. J’avais 10 ans et nous passions nos vacances dans les Pyrénées. On a commencé à gravir les plus hautes montagnes», racontait en 2008 au Figaro celui qui occupait alors le poste de premier ministre, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Et ce Fillon-là de citer l’incroyable pari fait à son épouse, Pénélope, en 1988, à 34 ans: gravir les 82 sommets alpins de plus de 4000 mètres. Banco! Sept ans après avoir conquis son premier siège de député, reprenant alors celui de son mentor décédé, le Sarthois Joël Le Theule, François Fillon entreprend méthodiquement sa conquête des Alpes. Il lui faudra cinq ans, en commençant par les sommets bernois, pour en gravir vingt. Le Cervin sera le dernier.
Qu’en reste-t-il, hormis des souvenirs de cordées et de séjours de ski à Verbier, sa station valaisanne favorite? L’homme avait pris le temps de s’attarder sur le sujet pour L’Hebdo, lorsque nous l’avions rencontré fin avril à Genève, juste avant sa participation au Forum des 100 le 19 mai suivant. Rendez-vous à l’Hôtel des Bergues. Une heure de discussion sur son programme libéral-conservateur, détaillé dans son livre Faire (Ed. Albin Michel), et sur ses options controversées prorusses et pro-Poutine. La Suisse?
«J’y ai toujours trouvé une forme d’inspiration, nous avait-il expliqué. Les dirigeants français successifs ont toujours commis l’erreur d’ignorer ce qui marche bien à leurs frontières, et ce qui peut être répliqué. Or la Suisse, dans plusieurs domaines, peut inspirer une forme d’action publique différente, moins centralisée, plus motivée par la réussite individuelle que par l’égalitarisme tant prisé dans l’Hexagone.»
Éternel second de cordée
Le «montagnard» François Fillon crapahutait pourtant alors avec difficulté. Sa campagne de terrain, menée depuis trois ans à travers la France, paraissait condamnée à patiner, faute d’accroche médiatique. La déferlante Sarkozy, après le retour en politique de l’ancien président, commençait même à submerger les plus farouches des fillonistes. Logique. Pourquoi croire dans l’éternel second de cordée alors que le premier revient et plante avec acharnement ses pitons dans le roc?
«Je ne dirais pas que cela le rapproche nécessairement des Suisses, mais il est vrai que François Fillon s’est toujours distingué par une moindre arrogance, par son refus de l’emphase si française», note François Garçon, auteur de La Suisse, pays le plus heureux du monde (Ed. Tallandier). Vrai? Caroline Morard, attachée de presse personnelle du désormais candidat à l’Elysée, nuance: «Fillon aime le concret. Il n’est pas dans l’apparence. Si vous voulez faire un parallèle avec la montagne, on peut dire qu’il croit à la patience pour gravir les sommets.»
Facile à dire maintenant. L’homme que les sondages donnaient en troisième place derrière son «vieil ami» Alain Juppé et son ancien patron Nicolas Sarkozy… s’est imposé dimanche avec 66,5% des voix. Impossible, aussi, de ne pas voir le triomphe du mérite dans cette victoire inattendue, alors que Sarko le conquérant s’est vu, lui, rejeter sans ménagement par l’électorat de droite qui l’avait tant adulé.
Mais quid de l’homme d’Etat Fillon? Peut-il, comme on aime le croire en Suisse, réconcilier la modestie de l’attitude et du langage avec la fermeté de la décision? Aura-t‑il, surtout, le courage de tirer toutes les conséquences du diagnostic dramatique sur la France que font beaucoup d’Helvètes?
«Soyons clairs: ce pays est dans une situation alarmante, confirme François Garçon, Parisien depuis plus de trente ans. Fillon, avec sa proposition d’une thérapie de choc, a donc bien compris l’urgence de la situation. En montagnard, il a bien analysé la pente. Mais il est une autre recette suisse à laquelle il ferait bien de réfléchir: celle du consensus. Réformer en cassant et en creusant les inégalités, c’est très risqué. Il pense un peu comme un Suisse et continue d’agir comme un Français.»
La voie d’accès à l’Elysée est étroite. Les rochers sont glissants. Chaque faux pas politique peut conduire à la chute. Or après la primaire de la droite, les cordées politiques s’observent dans le camp de base: «On doit se réjouir de l’insistance sur l’apprentissage, et de l’exemple suisse que cite souvent François Fillon en ce domaine. La Confédération prouve, aux portes de la France, que le plein-emploi est un objectif atteignable», se félicite, pour L’Hebdo, le patron des patrons français Pierre Gattaz. Soit. Gare, toutefois, aux courses d’alpinisme trop vite exécutées.
François Garçon rectifie: «Je vois deux différences entre le programme du candidat Fillon et ce qui se passe en Suisse. La première? Tout son discours sur l’apprentissage se base sur le schéma français «Passe ton bac d’abord!». Il n’a visiblement pas compris l’apprentissage dual, avant l’entrée dans le secondaire.» La seconde? «La démocratie directe et les droits politiques à la suisse, poursuit cet auteur prolifique qui avait défrayé la chronique avec Le modèle suisse – Pourquoi ils s’en sortent beaucoup mieux que les autres (Ed. Perrin).
Quand Fillon promet un référendum dès septembre 2017 s’il est élu président, il le fait en mode plébiscitaire. Votez oui pour soutenir ma politique! Point. Aucun souci d’explication ni de débat contradictoire comme on le fait pour les votations.»
Ne pas faire «du copier-coller»
Au QG du camp Fillon, boulevard Saint-Germain à Paris, l’allusion fait sourire. «Les Français veulent élire un président… français, explique un des conseillers du héros de la primaire de droite. Valoriser les exemples étrangers, ce n’est pas faire du copier-coller.»
Et de citer, comme points de comparaison plus crédibles avec l’approche helvète de la gouvernance, le souci de réduire drastiquement la dépense publique via la suppression de 500 000 emplois publics, la privatisation d’une partie de l’assurance maladie, la volonté d’abroger l’impôt sur la fortune, la réhabilitation de la valeur travail mais aussi du capital: «Il y a du protestant dans le catholique Fillon, poursuit notre interlocuteur à son QG. Son discours ne se résume pas à: «Endettons-nous!»
Reste ouvert le débat sur les questions de société, sur les droits des femmes, sur le mariage homosexuel… Ces acquis que François Fillon affirme ne pas vouloir remettre en cause, tout en affirmant qu’il n’y est pas toujours favorable à titre personnel. Restent posées, aussi, les questions du respect de l’autorité et du fonctionnement des institutions, sur lesquelles les divergences franco-suisses vont bien au-delà des personnalités des candidats. Le précipice demeure sous les pas du montagnard en route vers l’Elysée.