Eclairage. UBS veut se battre jusqu’au bout pour éviter de payer des milliards d’euros d’amende à la France. Une situation qui met en péril la réintégration de la place financière helvétique dans le jeu international.
L’heure de la rédemption est proche pour les banques suisses: le 1er janvier entrera en vigueur le système de l’échange automatique d’informations. Ce qui mettra un terme définitif au secret bancaire pour les questions fiscales et marquera la normalisation d’une activité qui s’est longtemps nourrie de l’évasion fiscale.
Pourtant, au moment même où la hache de guerre semble enfin enterrée entre la place financière helvétique et ses principaux accusateurs, le conflit risque de se rallumer en raison de la guerre à laquelle se livrent UBS et la France. A Berne et dans certains milieux bancaires, on redoute un dégât d’image considérable, la mise à mal de nombreuses années d’efforts. Curieusement, l’administration fédérale, particulièrement le Département des finances d’Ueli Maurer, prête son appui à la banque de la Bahnhofstrasse dans ce rapport de force.
Rééditer l’exploit américain
Paris rêve de condamner l’institution aux trois clés pour tous les milliards d’euros qui sont partis se réfugier dans les coffres helvétiques. Il cherche ainsi à rééditer l’exploit américain de 2009, quand le Department of Justice (DoJ) avait contraint le géant de la Bahnhof-strasse à payer une amende de 780 millions de dollars pour avoir démarché sur son sol des clients fortunés.
Pour ce faire, la France a engagé en 2012 une procédure qui l’a amenée à exiger de Berne la transmission de milliers de noms de clients français d’UBS en Suisse – 38 000 selon les médias français, 4000 selon UBS.
La grande banque est déterminée à ne pas les lui donner, indique-t-on de source autorisée. Non seulement le nombre de noms à transmettre est sans commune mesure avec ce qui se fait d’habitude en matière d’assistance administrative internationale.
Mais surtout, l’établissement redoute que les données transmises ne complètent le dossier ouvert contre sa filiale française par les juges Guillaume Daïeff et Serge Tournaire, du Pôle financier du Tribunal de grande instance de Paris, pour «démarchage bancaire ou financier par personne non habilitée et blanchiment de fraude fiscale et de fonds obtenus à l’aide d’un démarchage illicite, commis en bande organisée».
UBS, qui risque une amende de 5 milliards d’euros et qui s’est déjà acquittée d’une caution de 1,1 milliard, craint que les juges français n’étendent leur enquête au siège zurichois. Elle ne veut à aucun prix une répétition du cauchemar américain.
Début juillet, Sergio Ermotti, son directeur général, sonnait la charge contre la demande française, qu’il qualifiait de «procédure politique». «On exige ici des informations sur des clients en se fondant sur trop peu de données et sans indices concrets», a-t-il protesté dans la SonntagsZeitung. Le dirigeant a aussi reproché à l’administration fédérale d’avoir trop facilement accepté de coopérer à «une pêche aux renseignements non autorisée». Puis sa banque s’est engagée dans un bras de fer juridique.
Lorsqu’un Etat étranger demande à la Suisse la transmission d’informations bancaires au nom de l’assistance administrative fiscale, l’Administration fédérale des contributions (AFC) est chargée de collecter les données auprès de la banque concernée pour les remettre au demandeur. La banque est priée de s’exécuter sans rien dire. Or, UBS a refusé de jouer les acteurs passifs et a saisi le Tribunal administratif fédéral (TAF).
Elle a exigé en août que la cour saint-galloise lui confère le statut de partie. Gain espéré: pouvoir intervenir dans le processus de remise des données par la Suisse à la France. Le 26 octobre, le TAF lui donnait raison. «La banque pourra faire valoir ses droits dans les procédures d’assistance administrative pendantes», écrivait le tribunal dans le communiqué annonçant sa décision.
La Confédération aurait pu s’opposer à cette décision de justice et faire recours au Tribunal fédéral (TF) pour casser la décision du TAF. C’est même l’intention prêtée, de source proche du dossier, au directeur de l’AFC, Adrian Hug, dans les jours qui ont suivi l’arrêt du tribunal.
UBS doit se défendre
Elle n’a cependant pas exercé ce droit. «L’AFC reconnaît qu’en raison de la procédure pénale en cours, UBS pourrait être directement concernée par la procédure d’assistance administrative. Par conséquent, la banque doit être admise comme partie», a-t-elle justifié le 7 novembre par communiqué. «UBS a intérêt à pouvoir se défendre dans le cadre de la procédure engagée en France», poursuit un porte-parole de l’administration.
Cet appui explicite de Berne à la ligne de défense de la banque pourrait troubler les relations bilatérales franco-suisses sur les dossiers bancaires et fiscaux, pourtant apaisés depuis 2014, lorsque la Confédération s’est explicitement engagée à appliquer l’échange automatique d’informations. «Tout ce qui retarde la progression du dossier UBS est de nature à froisser les autorités françaises», observe un proche du dossier à Berne.
Difficile examen
L’enjeu, c’est la reconnaissance de la Suisse en tant que pays se conformant au système de l’échange automatique de renseignements fiscaux. Tant que cette reconnaissance est acquise, la place financière peut mener ses affaires tranquillement, notamment dans la gestion de fortune, l’un de ses principaux piliers, mais, si elle est contestée, la Suisse risque d’être de nouveau inscrite sur des listes grises, voire noires. Un retour aux années difficiles du début de la décennie, quand le pays payait son refus de la transparence fiscale voulue par les autres pays.
Or, cette reconnaissance dépend d’un examen entrepris par le Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements de l’OCDE. Cet examen est raté s’il est jugé insuffisant par au moins deux pays sur les 30 participant au panel. La Suisse fait partie de ce panel, actuellement présidé par Singapour. Mais la France aussi. Or, si cette dernière considère que la Suisse ne joue pas le jeu et qu’elle convainc un autre pays de faire de même, c’est retour à la case départ pour les banques suisses.
Ce n’est que l’été dernier que Berne a définitivement obtenu cette reconnaissance, après avoir dû déployer ses meilleurs arguments pour convaincre plusieurs Etats réticents, à commencer par l’Inde. Et le prochain examen débutera en 2018, année où la Suisse appliquera pour la première fois l’échange automatique d’informations. Les échéances sont donc très proches.
Les professionnels de la banque observent la plus grande prudence face aux conséquences désagréables que pourrait engendrer un nouvel éclat entre la Suisse et la France, et personne ne veut contester publiquement la position d’UBS dans ce dossier. «C’est aux responsables politiques à Berne qu’il convient de trouver une solution», concède une porte-parole de l’Association suisse des banquiers.
UBS est donc maître du jeu des relations financières franco-suisses. Va-t-elle pousser au conflit? Oui, si l’on en croit sa détermination à aller jusqu’au bout de la procédure judiciaire pour empêcher la transmission des noms. Mais elle pourrait transiger en acceptant de payer une amende comparable à celle dont elle s’est acquittée en Allemagne et aux Etats-Unis. Soit, selon une estimation autorisée, entre 150 et 170 millions d’euros. Entre-temps, les autres banques, dont l’avenir des affaires dépend de la nature de la solution, n’ont, impuissantes, qu’à retenir leur souffle.