Anouch Seydtaghia
Interview. Face aux technologies, les personnes âgées manquent d’aisance, mais l’assurance des adolescents n’implique pas une meilleure compréhension, constate le sociologue Olivier Glassey.
Certains téléphones semblent très simples à utiliser. Et pourtant, de nombreuses personnes, surtout âgées, ont de la peine à s’en servir. Comment l’expliquez-vous?
Il ne faut jamais négliger une donnée importante: les coûts d’embarquement dans les nouvelles technologies. L’utilisation d’un nouvel ordinateur ou d’un smartphone exige un énorme savoir-faire, mais celui-ci n’est plus explicité. Du coup, les personnes qui n’ont pas suivi les étapes précédentes de l’évolution de ces technologies ont de la peine à les assimiler, en tout cas rapidement.
Même si les designers d’applications et d’interfaces font des efforts pour simplifier leur utilisation, les personnes qui y sont confrontées pour la première fois ont besoin de temps pour les apprivoiser. Et ce temps est souvent négligé par ceux qui ont suivi les évolutions de ces dernières années. Or, cela peut prendre des semaines ou des mois pour se sentir parfaitement à l’aise avec des opérations d’apparence très simples sur un smartphone.
Est-ce, du coup, de plus en plus dur pour les «nouveaux venus» de faire leurs débuts avec les nouvelles technologies?
Pas forcément, car si les systèmes deviennent plus complexes, leur utilisation se veut en même temps plus simple, pour devenir accessible à un plus grand public. Mais il faut aussi faire attention à l’excès de simplification, en concevant des appareils pour un public jugé pas assez compétent pour utiliser des interfaces normales.
C’est par exemple le cas des téléphones dédiés spécifiquement aux seniors. Les utiliser est vécu, pour certains, comme afficher un certain renoncement. Ils ne sont plus dans le coup. Et leurs amis leur demandent: «Ah, tu as tel système mais pas telle application, pourquoi?» Les formes de stigmatisation sociale sont nombreuses.
C’est plutôt déprimant, non?
Non, je ne crois pas. Regardons la motivation des personnes qui se mettent au smartphone, par exemple. C’est rarement l’appareil en lui-même, mais c’est pour rester en contact avec leurs proches, il y a l’argument du lien avec les petits-enfants. Les seniors ont envie d’apprendre. Mais il ne faut pas leur dire: «Mets-toi à WhatsApp, tu verras, c’est facile.» Il faut être attentif à la complexité que représente l’utilisation de cette application… et du téléphone, bien sûr.
Que pensez-vous du niveau de compétence des adolescents?
Des enseignants avec qui j’ai discuté m’ont dit être frappés par le fait qu’une grande partie des jeunes sont des consommateurs et qu’il y a peu de «bidouilleurs». Ils ne sont pas tous des aventuriers du numérique, et l’on associe beaucoup trop jeunes et geeks. La plupart n’ont qu’une curiosité limitée pour la technologie, ils suivent les modes mais sont relativement peu autonomes.
Autre chose: il peut y avoir des jeunes très connectés, capables d’utiliser un smartphone sans mode d’emploi, mais pas du tout adaptés à l’informatique utilisée dans le monde du travail. Dans ce monde, les compétences acquises pour les réseaux sociaux ludiques ou la PlayStation 4 ne sont que très peu utiles…
Est-ce juste de dire que les personnes les mieux armées pour appréhender la technologie sont les 30-40 ans, qui ont évolué avec les débuts de l’informatique?
Oui, d’une certaine manière, ils ont souvent bidouillé sur des machines comme le Commodore 64 quand ils étaient petits. Ils ont acquis alors une certaine compréhension de l’informatique. Mais, actuellement, ils n’ont plus le temps de comprendre comment les nouvelles technologies fonctionnent: elles doivent leur être utiles dans leur vie de tous les jours, avant tout.