Interview. Après seize ans passés à la tête de l’EPFL, Patrick Aebischer revient sur ses combats, sur ce qui fait la force du système de formation européen. Et sur sa passion pour l’architecture. Il dévoile aussi ses nouveaux projets.
Le 15 décembre, lors de la fête de Noël du campus, Patrick Aebischer passera le témoin à son successeur, Martin Vetterli. L’atmosphère devrait être familiale, même si près de mille personnes seront de la partie. On demande au président de l’EPFL ce qu’il dira dans son discours. Il se contente d’un grand sourire malicieux – il ne va pas laisser le journaliste déflorer les surprises qu’il prépare.
Et après? Il s’envolera pour l’Afrique du Sud afin d’assister au départ de l’Antarctic Circumnavigation Expedition (ACE), un projet du Swiss Polar Institute coordonné par l’EPFL.
En seize ans, Patrick Aebischer aura transformé la haute école et l’aura mise sur un pied d’égalité avec sa grande sœur zurichoise. En décentralisant certaines activités de recherche et d’enseignement à Neuchâtel, en Valais, à Fribourg et à Genève, il lui aura aussi donné une solide assise supracantonale. En pariant résolument sur les sciences de la vie, il aura contribué à faire de la Suisse romande l’une des régions les plus prospères et les plus dynamiques d’Europe. Une page se tourne. Mais, à 62 ans, l’infatigable caresse déjà de nouveaux desseins.
Vous quittez la présidence de l’EPFL. Vos projets?
J’ai reçu de nombreuses offres, notamment de la part d’universités étrangères. Mais j’aime ce coin de pays. On m’a souvent dit: «L’EPFL n’a pas encore décroché de prix Nobel.» Entre un Nobel et un nouveau Google, je préfère un nouveau Google. Mon rêve, c’est de favoriser dans les dix ans à venir l’émergence en Suisse d’une entreprise de cette importance.
Plus précisément?
Je reste professeur à l’EPFL à 50%. J’aurai un bureau au Quartier de l’innovation de l’EPFL ainsi qu’au Campus Biotech à Genève. J’ai adoré voir le développement de start-up sur le campus. Quand je suis arrivé il y a seize ans, elles levaient, prises toutes ensemble, 2 à 3 millions de francs par an. En 2016, nos start-up ont levé 370 millions de francs. Quand je vois le nombre d’étudiants qui veulent créer leur start-up, je me dis que nous assistons à une sorte de révolution culturelle.
Vous êtes vous-même un entrepreneur en série…
J’ai effectivement participé à la création de trois compagnies. Quand je suis revenu des Etats-Unis dans les années 90, j’ai participé à la création de la société Modex. Il fallait entendre les commentaires… C’était comme si nous venions d’une autre planète.
Sur la porte de votre bureau, qu’inscrirez-vous à côté de votre titre de professeur à l’EPFL?
Quelque chose comme innovation slasher, c’est-à-dire «facilitateur d’innovation». Aujourd’hui, en Suisse, les entrepreneurs qui se lancent trouvent assez facilement du capital de démarrage. C’est la première étape. Ce qui nous manque, c’est le capital pour financer leur croissance. Je vais m’impliquer dans la croissance d’entreprises qui, selon moi, ont ce potentiel.
Nous avons besoin de quelques succès qui aient un vrai impact sur les emplois dans la région. Je le répète: nous avons beaucoup de start-up, c’est génial. Mais il nous manque quelques jeunes compagnies qui atteignent une taille d’envergure mondiale, les descendants de Logitech.
Dans quels domaines?
De par ma formation, je suis intéressé par le domaine des sciences de la vie et ses interactions avec la nanotechnologie et les technologies de l’information. Mais je me suis récemment aussi beaucoup intéressé à l’interface entre le domaine du digital et des humanités. D’où le bâtiment ArtLab, que nous venons d’inaugurer et qui abrite un espace muséal expérimental, les archives du Montreux Jazz Festival, ainsi que le Data Square, avec sa visualisation de la Venice Time Machine et du Human Brain Project.
Nous avons déjà quelques start-up dans ce domaine, comme Artmyn ou Rayform.
Le potentiel?
Il s’agit des médias de demain, du divertissement de demain, des festivals et des musées de demain… Voilà pourquoi je suis entré dans le conseil de fondation du Montreux Jazz Festival et dans celui du festival de musique classique de Verbier. Pensez aussi à la richesse que représente Art Basel pour la Suisse. Mon rêve serait de créer un fonds d’investissement dans l’interface digital et culture.
Quels sont les atouts singuliers de l’EPFL et de la Suisse romande?
Nous avons bâti l’école sur la convergence entre le «bio», le «nano», le «cogno» et les technologies de l’information. C’est non seulement une position unique, mais c’est aussi dans cette direction que les marchés sont en train de se développer. Nous ne pourrons jamais régater avec les Google, Amazon, Facebook et autres Apple.
Nous sommes en revanche très bons dans tout ce qui est à l’intersection de plusieurs domaines complexes. Le secteur de la santé devrait grandement bénéficier de cette convergence. La présence dans notre pays de géants du domaine tels que Novartis, Roche, Nestlé positionne idéalement la Suisse.
La société Amazentis, dont vous êtes l’un des fondateurs, a d’ailleurs annoncé en juillet la découverte d’une molécule extraite de la grenade qui, transformée par les bactéries intestinales, déploie des effets antivieillissement spectaculaires…
Amazentis vient effectivement de publier des résultats prometteurs sur une molécule antivieillissement dans la prestigieuse revue Nature Medicine. Nous avons déjà démontré dans une première étude clinique la sécurité de cette molécule dérivée de la grenade. Nous devons maintenant établir son efficacité chez l’homme. Cette étude clinique commencera en début d’année prochaine.
L’histoire d’Amazentis?
C’est l’une des start-up du Quartier de l’innovation, créée avec Pierre Landolt de la Fondation de famille Sandoz et André Hoffmann de Roche. Ernesto Bertarelli et Hansjörg Wyss, tous deux fondateurs du Campus Biotech à Genève, nous ont ensuite rejoints. Nous avons commencé un travail de recherche il y a plusieurs années avec l’objectif d’identifier les principes actifs présents dans les superfruits, parmi lesquels la grenade, pour contrer les maladies liées au vieillissement.
La Suisse est-elle parée pour ce que l’on appelle la quatrième révolution industrielle? Où en sera-t-on dans cinq ou dix ans?
Nous sommes bien placés avec la maîtrise de la robotique et des technologies de l’information. Il faut simplement que nos industries fassent les investissements nécessaires. C’est vrai pour la pharma qui entre dans l’ère de la médecine personnalisée. C’est également vrai pour la machine-outil ainsi que pour l’industrie du luxe et l’horlogerie. Il ne faudra pas oublier d’y intégrer la composante du design. Mais la présence dans notre pays de très bonnes écoles d’art et de design telles que l’ECAL ou la HEAD joue en notre faveur.
Le prochain CEO de Nestlé, Ulf Mark Schneider, vient des sciences de la vie. Un sacré pari!
Le plus important n’est pas tellement son secteur d’origine mais son impressionnant track record à Fresenius. Son engagement démontre surtout la capacité de Nestlé (ndlr: Patrick Aebischer est membre du conseil d’administration de Nestlé) d’aller chercher les meilleurs là où ils se trouvent. Personne ne s’est étonné qu’il soit de nationalité allemande. Ce qui serait impensable en France, par exemple. L’un des défis de la Suisse: rester un pays ouvert, ce qui nous a si bien réussi par le passé.
Faudrait-il une politique industrielle?
La Suisse s’est toujours vantée de ne pas avoir de politique industrielle. A juste titre, sans doute. En revanche, elle bénéficierait d’avoir un poste de conseiller scientifique du gouvernement comme c’est le cas aux Etats-Unis ou en Angleterre.
Un job qui vous intéresserait?
Certainement pas (rire). J’entame une nouvelle phase de vie, plus orientée vers le secteur privé. C’est cependant conceptuellement un poste intéressant, mais je ne serais pas la bonne personne vu les anticorps qui se sont développés à mon égard outre-Sarine pendant mes années à la présidence de l’EPFL…
Et l’idée d’un huitième conseiller fédéral chargé de la technologie et de la science, comme le proposait Daniel Borel dans nos colonnes (lire Daniel Borel: "Je plaide pour un 8e conseiller fédéral responsable des sciences, de la technologie et de la formation")?
Je suis du genre pragmatique et je me dis que le président du Conseil des écoles polytechniques devrait à terme remplir cette fonction. C’est le poste idéal pour cette fonction. Face à un monde qui change de plus en plus vite, nous sommes, nous les responsables académiques, de bons radars pour identifier les technologies émergentes. En matière de science et de technologie, il est crucial pour un pays d’identifier les trends très tôt. Sinon, on court le risque d’être distancé.
Pendant vos seize ans à l’EPFL, vous avez levé plus de 1 milliard de francs de fonds privés pour accélérer le développement de l’école. C’est énorme. Y a-t-il une recette Aebischer en la matière?
Il faut donner envie, mais vous ne pouvez le faire que si vous parvenez à recruter les meilleurs chercheurs et enseignants du monde. Une école comme l’EPFL doit attirer des scientifiques brillants qui maîtrisent parfaitement leur discipline. Et 10-20% de chercheurs qui explorent les nouvelles frontières et qui pensent out of the box, pour reprendre une expression anglo-saxonne. C’est Henry Markram, le père du Human Brain Project, Frédéric Kaplan, le père de la Venice Time Machine, ou Michael Grätzel, le père des cellules photovoltaïques à colorant.
L’ère Aebischer, c’est le doublement du nombre des étudiants et des professeurs, mais aussi une explosion architecturale avec la construction du Rolex Learning Center, de l’ArtLab, du SwissTech Convention Center, du Quartier de l’innovation… On pourrait dire…
… que j’ai joué à mon petit Mitterrand? Le site d’Ecublens est magnifique. Mais quand je suis arrivé, je me suis dit que les architectes avaient tout fait pour qu’on ne le voie pas. Au sud, côté lac, il y avait un immense parking et un garage. Glauque. Le soir et le week-end, il n’y avait plus personne. Mort. Pour quelqu’un qui venait des universités américaines, c’était un choc. D’autant plus que l’EPFL abrite une école d’architecture. Je me suis donné un défi: en faire un lieu où il fait bon vivre, un lieu doté d’une âme.
Un objectif coûteux?
Ce que j’appelle le delta architectural a été intégralement payé par la philanthropie et le sponsoring. Il ne s’est pas fait au détriment des activités de base de l’école. L’autre élément important, c’est le lien avec la société. Dans une démocratie directe comme la Suisse, où l’on observe une certaine anxiété par rapport à la science, il est d’autant plus important d’avoir un campus accueillant pour la population.
Quand nous avons inauguré le Rolex Learning Center, certains voulaient le fermer au grand public. Je m’y suis catégoriquement opposé. Derrière chaque bâtiment, il y a également une intention. L’ArtLab, c’est la maison des humanités digitales dont les gens ne perçoivent peut-être pas encore ce qu’elles recouvrent mais qui sont appelées à un développement prometteur. Le SwissTech Convention Center? Si nous voulons des événements qui drainent la population sur le campus, comme récemment le salon Planète Santé, il faut disposer d’infrastructures.
Les logements? Nous avons maintenant plus de 1000 étudiants qui habitent sur le campus. Demain, nous en aurons 2000 ou 3000. Quand je m’arrête sur l’Esplanade et que je regarde la place Cosandey, entourée par les bâtiments hors du commun de Kazuyo Sejima, Dominique Perrault et Kengo Kuma, j’apprécie la beauté du site, mais surtout je vois la vie s’installer. C’est rare, une place moderne qui ait une âme.
Certains vous reprochent d’avoir américanisé l’EPFL, d’autres, comme Fabrice Delaye, auteur d’un ouvrage qui vous est consacré*, parlent de renaissance de l’université européenne…
L’analyse faite par Fabrice Delaye d’une forme de renaissance de l’université européenne m’a beaucoup plu. L’Europe a besoin de faire entendre sa voix dans le monde académique et pour cela nous devons développer non seulement des universités de masse mais également des universités de pointe.
Le reproche d’américanisation, alors?
Comme Martin Vetterli, mon successeur à la présidence de l’EPFL, je fais partie d’une génération qui a fait ses classes dans les grandes universités aux Etats-Unis. Nous nous sommes tous fait cette réflexion: pourquoi ne pas importer les bonnes recettes américaines et les combiner aux forces du système européen? Avec l’idée d’en réaliser un modèle unique.
Cela ne pouvait se faire qu’en Suisse, et nous sommes arrivés au bon moment. Le salaire des professeurs, par exemple, ne constituait pas un obstacle, contrairement à la France ou à l’Italie où les universitaires sont mal payés. Toutefois, nous ne sommes pas arrivés dans un désert. Nos prédécesseurs avaient bâti les bases sur lesquelles nous avons pu construire.
Les premiers temps ont été agités…
Une pétition rassemblant plus de 4000 signatures s’opposait à ma nomination, la presse était déchaînée… Jusqu’à ce que j’obtienne un certain nombre de garanties, je n’ai simplement pas mis les pieds à l’EPFL. Cela a duré dix-sept jours. Il faut rappeler que nous avons arrêté un bâtiment en construction, celui du département d’architecture, pour y mettre les sciences de la vie.
Aujourd’hui, ce serait impensable. J’aurais tous les auditeurs de la terre sur le râble. La différence, c’était aussi que nous avions le soutien des personnes à la tête du système fédéral pour mener à bien ces réformes (ndlr: la conseillère fédérale Ruth Dreifuss, le secrétaire d’Etat Charles Kleiber et le président du Conseil des EPF Francis Waldvogel).
Est-ce que, aujourd’hui, on reconnaît en Suisse alémanique ce qui a été accompli à l’EPFL et plus largement en Suisse romande?
Très clairement. Dans les milieux universitaires, mais aussi dans l’industrie. Pour le monde de l’économie, ce sont les résultats qui comptent. Au niveau politique, c’est plus compliqué. Au fond, notre équipe appartient à la deuxième génération des dirigeants de l’EPFL, suite à la fédéralisation de l’institution. Nous avons fait nos armes dans les grandes écoles américaines, nous n’avions pas le complexe du minoritaire face à la majorité alémanique. Nous sommes aussi, en quelque sorte, les premiers bénéficiaires de la globalisation des carrières académiques.
Quels sont les risques qui pèsent sur les hautes écoles et la recherche?
La perte d’autonomie et la «contrôlite». Plus on contrôle, mieux on fait, croit-on. Le problème, c’est la complexification à l’infini des processus et la peur engendrée chez les cadres et collaborateurs de commettre des erreurs avec pour conséquence une immobilisation du système. Pour la recherche scientifique, c’est l’échec assuré.
Nous sommes dans une situation schizophrénique: les dirigeants politiques, les chefs des grandes entreprises s’émerveillent de ce qui se passe à la Silicon Valley, ils y vont en pèlerinage. Mais chez nous, c’est le règne des contrôleurs.
Vous faites allusion au rapport du Contrôle fédéral des finances qui soutenait que le SwissTech Convention Center représenterait un «risque systémique» pour l’EPFL…
Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres, mais il est effectivement révélateur. Ce centre de conférences nous coûterait 6 millions de francs par an à supposer qu’il soit vide et inutilisé toute l’année. Ce qui n’est évidemment pas le cas. Sur un budget total de plus de 1 milliard de francs, parler de «risque systémique» me paraît un tant soit peu exagéré. Mais très révélateur de cette tendance, justement, à se focaliser sur une seule dimension en oubliant la vue d’ensemble et les vrais enjeux.
Dans ce cas particulier, la mise à disposition de l’institution d’un instrument unique qui nous permet d’organiser des congrès scientifiques de pointe ou d’amener nos concitoyens sur le campus. Les près de 30 000 visiteurs qui ont assisté récemment au salon Planète Santé constituent un bel exemple.
Les moments les plus grisants de votre présidence?
Il y en a eu beaucoup. Les grands projets comme Alinghi ou Solar Impulse. L’ouverture du Rolex Learning Center. Symboliquement, le choix du Humain Brain Project par la Commission européenne. Mais il y a aussi ces plaisirs quotidiens qui sont peut-être au final les plus euphorisants. Quand je me promène sur le campus le soir, par exemple. Je me dis: «Tiens, il y a quelque chose qui a été créé. Un élément de vie, une aventure commune pour tous ceux qui travaillent et vivent sur le campus: les étudiants, les profs, les chercheurs, le personnel administratif et technique…»
Un autre très beau moment, ce sont les portes ouvertes. Plus de 35 000 personnes y ont participé cette année. Les campus sont les cathédrales du XXIe siècle. Et il est important qu’ils soient ouverts et soutenus par la population.
Justement, on observe une méfiance croissante vis-à-vis de la science…
D’où l’importance de chercher le contact avec la société. Quand le public peut visiter les chercheurs dans leurs labos, il réalise que ce sont des gens comme les autres… Ce qui m’inquiète, c’est la remise en question des faits scientifiquement prouvés tels que la théorie de l’évolution. En Suisse, la raison n’en est pas l’illettrisme scientifique – nous sommes bien formés. C’est un refus conscient des évidences mises en lumière par la science. Il y a un urgent besoin de comprendre les bases sociologiques de cette évolution.
Le nouveau vice-président des Etats-Unis est un créationniste…
Voilà pourquoi il m’inquiète encore plus que Donald Trump lui-même. Imaginez que Mike Pence devienne à son tour président, on aurait la plus grande nation scientifique avec un créationniste à sa tête!
La moitié des étudiants de l’EPFL vient d’ailleurs. N’est-ce pas exagéré? Le contribuable n’est-il pas en droit de se poser des questions? Ne faudrait-il pas augmenter le prix des études pour les étudiants étrangers?
Une grande proportion de ces diplômés reste dans la région après les études pour y travailler. C’est donc un enrichissement. Les autres, ceux qui repartent, sont de formidables ambassadeurs de la Suisse et de l’EPFL. Parce qu’elles sont très basses en comparaison internationale, on évoque depuis plusieurs années, c’est vrai, la possibilité d’augmenter de façon différentielle les taxes d’inscription pour les élèves dont les parents ne paient pas leurs impôts en Suisse. Mais cette hausse et le différentiel devraient rester modérés.
Peut-on encore accroître le pourcentage des étudiants étrangers?
Non. Je n’irais pas au-delà. L’équilibre est bon. Comme le panachage des différentes nationalités. Nous avons au total 85% d’Européens. Dont beaucoup de Français. Autrefois, ils venaient à l’EPFL quand ils pensaient ne pas pouvoir rejoindre les grandes écoles françaises. Aujourd’hui, c’est le contraire. Les non-Européens sont surtout des doctorants.
Prenez Tej Tadi, un Indien qui a fait sa thèse chez nous et qui a ensuite créé MindMaze, la seule «licorne» suisse (ndlr: dans le jargon, les start-up valorisées à plus de 1 milliard de francs). On voit bien l’intérêt pour un petit pays comme le nôtre de rester attractif et ouvert.
Le rayonnement de l’EPFL repose aussi sur les MOOC («massive open online courses») auxquels se sont inscrits plus de 1,5 million d’étudiants à travers le monde…
La révolution digitale est également en train de changer notre façon d’apprendre. Cette conviction, je la partage avec Martin Vetterli, qui a beaucoup contribué à leur développement et qui va poursuivre cette stratégie. Ces dernières années, nous avons dû d’abord assurer la qualité de la recherche. L’heure est venue de remettre un accent particulier sur l’enseignement.
Comme institution francophone, les MOOC nous permettent aussi de diffuser nos cours dans les pays africains, qui sont très demandeurs. L’étape suivante, c’est l’utilisation de l’enseignement en ligne pour la formation continue. Avec notre Extension School soutenue financièrement par Daniel Borel et qui s’ouvre au printemps, nous allons par exemple offrir une mise à niveau des compétences numériques de ceux qui le désirent. Une formation ouverte à tous et à tous les secteurs.
Cette révolution numérique risque néanmoins de laisser une partie de la population sur le carreau…
J’ai fait un voyage en Iran, l’an passé. Quelques semaines plus tard, j’étais à San Francisco. Où croyez-vous que j’ai croisé le plus de clochards? Vous devinez la réponse… Il y a aux Etats-Unis un immense problème de redistribution des richesses. Nous devons lutter sans relâche contre ce gène de l’avidité qui semble inhérent à la nature humaine.
Il faut trouver le bon équilibre entre les conditions-cadres qui favorisent la création de richesses et leur redistribution. L’un des avantages de notre système, en Europe continentale, c’est un accès à la formation presque gratuit. Une force qu’il ne faut perdre en aucun cas.
*«Patrick Aebischer». De Fabrice Delaye. Editions Favre/Bilan, 2015, 178 pages.