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La vie de château d’un guide de haute montagne

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Jeudi, 15 Décembre, 2016 - 05:51

Catherine Seigneur

Trajectoire. Alexandre de Vogüé est profondément attaché à la vallée de Chamonix. Il a néanmoins choisi de retourner à Vaux-le-Vicomte, où il gère avec ses frères le château familial.

A Chamonix, Alexandre habite un ancien grenier à grain de 15 m 2, au pied du Dru. Il y a entassé tout son matériel de montagne. A l’entrée, sur la gauche, un petit réchaud à gaz pour se préparer à manger; sur la droite, une table de cuisine autour de laquelle il reçoit les amis et passionnés de montagne qui passent le voir. On y discute météo et enneigement, voies d’escalade et ski hors piste. Alexandre vérifie cordes et baudriers pour la course du lendemain, confirme un rendez-vous avec un client. C’est un guide de haute montagne presque comme les autres.

Pour les intimes du village, il est simplement «Alex». Il n’est pas affilié à une compagnie de guides. Il aime la vallée de Chamonix, ces sommets sur lesquels ont grimpé d’autres chercheurs de liberté. La montagne est son échappatoire, comme une rébellion à travers laquelle il s’affranchit de ses origines culturelles et sociales.

Le berceau de sa famille se trouve en effet du côté du château de Vaux-le-Vicomte, édifice mythique s’il en est, qui fut commandé par Nicolas Fouquet, intendant de Louis XIV, aux meilleurs artistes de son temps: Le Vau pour l’architecture, Le Nôtre pour les jardins à la française et Le Brun pour les peintures. Son nom de famille, de Vogüé, remonte au XIIIe siècle et déroule avec lui tout ce que l’aristocratie française a produit de plus prestigieux en matière d’ecclésiastiques, de croisés, d’académiciens ou d’ambassadeurs.

Casser les schémas

Alexandre de Vogüé, héritier de cette lignée, a toujours tenu cet univers à distance lorsqu’il arpente les faces nord et les goulottes de glace. Il veut échapper, comme il le dit, «à la grande ombre du château» qui pèse sur lui. Ses études de gestion finies, il s’est engagé dans la section d’élite des chasseurs alpins pour vivre en montagne. «Je voulais fuir cette société modèle qui se répète à l’infini.

Les aristocrates parlent des mêmes choses, sortent dans les mêmes rallyes et chassent aux mêmes endroits. J’avais besoin d’être dans un milieu où l’homme est remis à sa vraie place.» Il voulait être face à quelque chose de plus fort que lui, dans un milieu où ouvrir de nouvelles voies fait partie du jeu.

«Un des souvenirs les plus prégnants de mon métier de guide a été celui d’une ascension avec un enfant qui avait eu une leucémie. Il s’en était sorti avec de graves séquelles, mais tenait à gravir des sommets. Il est ensuite retourné à l’hôpital raconter aux autres que ça valait le coup de se battre pour vivre.»

L’expérience d’être un guide utile le rend heureux. Cette vie de saltimbanque des montagnes durera vingt ans. Deux décennies sans hiérarchie, sans médaille à gagner, sans fortune à faire, mais au cours desquelles il se sera trouvé une identité.

Deuxième tranche de vie

«J’étais vers le ciel, j’ai aujourd’hui choisi de réapprendre à vivre sur terre.» Le voici dorénavant installé à Vaux-le-Vicomte, en Seine-et-Marne, où il gère avec ses deux autres frères le château familial. Septante employés de maison, huit jardiniers et 9 millions d’euros à trouver chaque année pour rentabiliser la plus grande propriété privée de France, classée aux monuments historiques. Quelque 300 000 visiteurs se pressent annuellement pour visiter les lieux.

Les valeurs apprises en montagne sont réinterprétées dans l’entreprise familiale: engagement dans l’accueil, qualité dans les travaux de restauration, créativité dans l’offre de prestations, émerveillement pour une nature grandiose et préservée. Ce n’est pourtant pas un retour aux racines familiales et encore moins une fin de carrière, tient-il à préciser. Il sait qu’un jour il quittera Vaux. «Ma vie est faite de tranches de vie.» Celle-ci est sa deuxième, il repartira alors un jour vers une troisième, proche elle aussi de la nature.

«Courage et vigilance», telle est la devise de sa famille. Le courage d’Alexandre et de ses frères est d’entretenir un patrimoine hors du commun, de le partager et de vouloir le transmettre. Mais plus grande encore est la vigilance à ne pas y sacrifier toute sa vie et ses rêves.

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