Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Fatma Samoura: "La FIFA est l’ONU du football. Il y a des problèmes analogues: inégalité, racisme, corruption"

$
0
0
Jeudi, 15 Décembre, 2016 - 05:54

Gerhard Pfeil & Michael Wulzinger

Interview. Première femme à occuper le poste de secrétaire générale de la FIFA, après avoir fait carrière au sein de l’Organisation des Nations unies, la Sénégalaise Fatma Samoura détaille sa vision ambitieuse et rafraîchissante pour réformer le football mondial.

Une femme au sommet de la planète football. Faut-il y voir un symbole?

C’est très encourageant de voir toujours plus de femmes à des postes de direction. La FIFA est une structure qui rassemble 211 associations membres. Dans mon activité, j’ai une vision détaillée de la manière dont les femmes sont perçues dans un milieu tel que le football, dominé par les hommes.

Votre fille joue-t-elle au foot?

Elle joue depuis deux mois au sein de l’équipe de l’Ecole internationale de Zurich. Elle a été contaminée par le virus. Elle m’envoie sans cesse de petites vidéos pour me montrer ce qu’elle a appris. Nous vivons une explosion du football. En Afrique aussi, où l’on voit toujours plus de filles courir balle au pied. Je suis convaincue que cela aura une influence positive sur notre société.

C’est-à-dire?

Les filles qui jouent au football apprennent à respecter leur corps, à le protéger dans les duels. Cela leur procure de la force. Chez moi, au Sénégal, beaucoup de jeunes filles se commettent dès la fin de l’école élémentaire avec des hommes qui leur promettent monts et merveilles. Souvent, elles tombent enceintes, doivent quitter l’école et n’ont plus d’avenir. Celles qui jouent au foot ne s’en laissent pas tant conter parce que le sport leur a permis de gagner de l’assurance. Elles apprennent à dire non et poursuivent leur propre chemin.

Comment avez-vous surmonté les stéréotypes qui collent à votre pays?

Je n’ai jamais considéré comme un handicap d’être une femme, Noire et musulmane. Ma mère a été mariée tôt mais elle a quand même étudié et elle est devenue enseignante. Elle a tout fait pour que je développe une forte personnalité. Mon père était soldat, officier, il a été combattant de la liberté un peu partout en Afrique. Il disait toujours: si tu es trop timide, tu te noieras dans cette société masculine traditionnelle. J’ai appris à nager, j’ai joué au basket, pratiqué le foot avec mes frères. J’étais la seule fille de l’école à avoir une moto.

Et vous êtes tombée sur un mari qui a compris que vous entendiez faire carrière.

Nous avons grandi ensemble, nous avons étudié ensemble à Lyon et c’est là que nous avons décidé: si l’un de nous avait la chance de faire une carrière internationale, l’autre travaillerait depuis la maison et veillerait sur les enfants. J’ai beaucoup de chance d’avoir un mari qui accepte cela.

En 1995, vous avez rallié l’ONU, le Programme alimentaire mondial. Quelles y étaient vos tâches?

J’ai été en mission dans toutes sortes de pays: Liberia, Sierra Leone, Nigeria, Darfour, Afghanistan, Bangladesh, Timor oriental, Kosovo. J’organisais des convois d’aide, négociais pour eux des trajets sécurisés, évacuais des gens des zones de combat, dialoguais avec des milices qui avaient enlevé des travailleurs humanitaires.

Quelle fut votre mission la plus délicate?

Il n’y a pas de hit-parade. En Afghanistan, la situation était tellement critique qu’à Kaboul nous ne pouvions aller dans la rue. En 1996, j’étais au Liberia, en pleine guerre civile. Notre convoi d’aide, qui se dirigeait de Monrovia vers la frontière de la Sierra Leone, a été stoppé par des enfants-soldats, des gamins de 12 à 14 ans armés d’AK-47. Ils voulaient que notre aide alimentaire soit détournée chez eux. J’ai négocié et encore négocié et, pour finir, ils nous ont laissé repartir tout en tirant en l’air.

Qu’apprend-on de telles situations?

Qu’il importe d’avoir une contenance, de ne pas céder trop vite.

Comment négocie-t-on avec des seigneurs de guerre?

Il faut s’en tenir à ses principes. Les positions ont toujours été les mêmes: nous voulions négocier des corridors sûrs afin que l’aide alimentaire arrive aux gens. Les miliciens en voulaient une partie pour eux pour la revendre sur les marchés. La discussion pouvait durer des heures. Sans accord, pas de convoi. Mais quand on vous dit: ou la bouffe ou votre vie, il n’y a plus grand-chose à discuter.

Vous aviez encore des occasions de carrière à l’ONU. Pourquoi êtes-vous passée à la FIFA?

J’ai 54 ans. Je suis heureuse de ne plus entendre des coups de feu autour de moi. 

Quand Gianni Infantino vous a présentée en mai, on a entendu dire: elle n’est qu’une marionnette.

Hum. Et cette faible femme a été capable de travailler pour l’ONU et d’y exercer une activité consistant à sauver des vies en prenant les bonnes décisions?

Après votre emploi précédent, le football n’est-il pas un peu pépère?

La FIFA est l’ONU du football. Il y a des problèmes analogues: égalité des droits pour les femmes, lutte contre le racisme, contre la corruption. Les droits de l’homme nous importent, à l’instar de la situation des travailleurs sur les chantiers du Mondial au Qatar. Le football peut changer tellement de choses! Les filles deviennent plus sûres d’elles, les hommes apprennent à digérer les défaites. C’est une grande école de vie.

Après les scandales de ces dernières décennies, les gens voient en la FIFA une mafia plus qu’une ONU.

Cela s’améliore, nous sommes sur la bonne voie. La réforme est en marche. De nouvelles règles, de nouveaux mécanismes de contrôle ont été introduits, qui rendront impossible ce qui s’est produit par le passé. Il s’agit désormais de mettre en œuvre ces règles au sein des associations membres. Il y a actuellement 23 membres auxquels nous ne versons pas d’aide parce que des procédures judiciaires sont ouvertes contre eux ou qu’ils ne remplissent pas les critères.

A votre poste, vous devez surtout garantir que la FIFA continue de gagner de l’argent. Y compris avec le Mondial en Russie. Pour vous, la Russie est-elle le lieu adéquat, compte tenu de la situation géopolitique, pour organiser un championnat du monde?

Si nous mêlons football et politique, alors c’est la fin du football.

Comment camouflerez-vous le fait que, dans deux ans, la Russie larguera peut-être toujours des bombes sur la Syrie et soutiendra des séparatistes en Ukraine?

Il ne s’agit pas de Russie, de Syrie ou d’Ukraine. Il s’agit de la Coupe du monde, du fait que les gens veulent voir du football indépendamment des développements politiques. Un Mondial peut contribuer à ramener la paix. S’il existe un instrument capable de changer la face du monde, parce qu’il permet de mobiliser et de rassembler tant de monde, c’est bien le football. C’est pourquoi nous ne permettons pas qu’il soit un instrument entre les mains de leaders politiques.

Alors le Mondial ne devrait pas être organisé en Russie car, pour Poutine, c’est exactement comme les JO d’hiver à Sotchi il y a deux ans: un instrument servant à démontrer son pouvoir.

La seule période où il n’y a pas eu de Mondial, c’est durant la Seconde  Guerre mondiale. Depuis lors, il y a eu beaucoup de guerres mais le Mondial a toujours eu lieu. Et c’est bien ainsi. Même en Syrie, quand la situation le permet, nous tentons d’organiser des matchs amicaux. Car, quelle que soit la cruauté de la situation, des gens vivent en Syrie et ils veulent voir du football. Le jeu les distrait, donc nous faisons tout pour leur apporter du jeu.

Sepp Blatter entonnait déjà la même rengaine. L’avez-vous rencontré?

Non, pas à ce jour.

De son temps, la FIFA était surtout une planche à billets. Son successeur, Infantino, veut en tirer encore plus de profit, étendre la participation de 32 à 48 pays. C’est une inflation absurde.

Ce n’est pas une histoire de profit. Si nous entendons continuer de développer le football comme jeu planétaire, 30 à 40% des associations membres de la FIFA doivent avoir l’opportunité de participer à la Coupe du monde. Nous devons veiller à ce que chaque continent soit représenté par davantage d’équipes. Je serais heureuse que d’autres pays que l’Allemagne, le Brésil, l’Espagne, l’Italie, la France ou l’Argentine remportent le tournoi. Ce serait beau qu’un jour un pays africain remporte la Coupe.

Ne misez pas là-dessus.

En 2002, le Sénégal était en quart de finale. Dans le tour préliminaire, nous avions battu la France, championne d’Europe et championne du monde. Nous n’étions pas si éloignés du rêve.

Plus d’équipes, c’est plus de matchs. Il faudra construire plus de stades et le pays organisateur devra dépenser encore plus d’argent.

La durabilité joue bien sûr un rôle central. Aussi le Conseil de la FIFA a-t-il modifié les règles: des candidatures communes sont désormais possibles, on peut imaginer un Mondial dans trois pays, l’Afrique aura elle aussi la possibilité d’organiser une nouvelle fois l’événement.

Où?

Je ne veux pas nommer de pays en particulier. Mais il y en a un qui pourrait organiser une Coupe du monde – avec un partenaire, bien sûr.

© Der Spiegel Traduction et adaptation Gian Pozzy

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Alexander Hassenstein / Getty Images
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination masquée
Gratuit: 
Contenu récent: 
En home: 
no

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles