Pascaline Minet
La permaculture mise sur les équilibres naturels pour produire tout en respectant l’environnement. Plus que des conseils de jardinage, c’est une philosophie, qui séduit de plus en plus en Suisse romande.
Oubliez les potagers propres en ordre et autres platebandes tirées au cordeau. Jetez engrais et désherbants aux orties. Enterrez la hache de guerre avec les insectes et les mauvaises herbes. La permaculture, c’est la loi de la jungle, dans le bon sens du terme: l’objectif est de reproduire la dynamique d’un écosystème naturel dans son jardin.
Vous n’avez pas de terrain à disposition? Qu’à cela ne tienne, vous pouvez tout de même pratiquer la permaculture, car c’est aussi une philosophie de vie. Basée sur la simplification, l’échange et la frugalité, elle était méconnue il y a quelques années encore. Elle intéresse aujourd’hui de plus en plus les citadins en mal de terre, et conquiert doucement le monde agricole.
Sorti fin 2015 sur les écrans, le documentaire Demain de Mélanie Laurent et Cyril Dion a beaucoup contribué à populariser cette pratique dans le monde francophone. On y découvrait notamment la luxuriante ferme française du Bec Hellouin, en Normandie, où Perrine et Charles Hervé-Gruyer cultivent depuis 2006 quelque 700 variétés végétales selon des principes inspirés de la permaculture.
«En Suisse, il existe aussi des pionniers qui ont adopté cette approche depuis un certain temps, notamment en Valais. Mais l’intérêt a surtout pris de l’ampleur ces deux dernières années», note Hélène Bougouin, ingénieure agronome à l’Antenne romande de l’Institut de recherche de l’agriculture biologique (FIBL).
L’agriculture du «non-agir»
Si le concept gagne aujourd’hui en visibilité, le terme de permaculture et ses grands principes ont été cependant formalisés dans les années 70 par des universitaires australiens, Bill Mollison et David Holmgren. Eux-mêmes se sont inspirés des réflexions de l’agriculteur et philosophe japonais Masanobu Fukuoka, chantre de l’agriculture naturelle et du «non-agir», pour imaginer une permanent agriculture, ou permaculture. Celle-ci repose sur trois socles fondamentaux: prendre soin de la terre, prendre soin de l’humain et partager équitablement.
Douze autres principes en découlent: valoriser et utiliser la biodiversité, ne pas produire de déchets, stocker l’énergie, utiliser des solutions petites et lentes plutôt que grosses et rapides, etc. «Le jardin est l’emblème de la permaculture, mais ses principes peuvent être appliqués à de nombreux domaines», relève Hélène Bougouin. Par exemple, une association qui enseigne aux cyclistes à réparer eux-mêmes leur vélo, afin qu’ils soient autonomes et puissent rouler plus souvent, pratique la permaculture!
Mais revenons au jardin, terrain d’expérimentation privilégié du permaculteur en herbe. Aino Adriaens, collaboratrice à l’hebdomadaire Terre & Nature, s’est lancée dans l’aventure il y a une année. «Au début, j’étais sceptique, car j’avais l’impression d’avoir déjà intégré beaucoup de principes écologiques dans ma manière de jardiner. Mais j’ai réalisé qu’il était possible d’aller beaucoup plus loin!» Pour commencer, la journaliste a couché sur le papier les différents éléments de son jardin, afin de les organiser de la manière la plus judicieuse possible.
«En permaculture, on demande à chaque élément, qu’il soit animal, végétal ou minéral, d’interagir positivement avec les autres, en jouant plusieurs rôles: nourrir, recycler, abriter, fournir de l’ombre ou de l’humidité, repousser les prédateurs, abriter des auxiliaires, couvrir le sol ou encore servir de support», explique Aino Adriaens.
Dans son jardin situé au pied du Jura, elle a élevé des buttes, structures typiques de la permaculture. «Elles ont l’avantage d’accroître la surface cultivable, d’éviter le piétinement du sol et de faciliter le travail du jardinier, qui n’a pas besoin de se baisser pour la récolte. Et puis elles donnent aussi un résultat très esthétique», énumère-t-elle. La couverture du sol, que ce soit par un paillis ou par des plantes spécialement choisies, est un autre élément clé. Les associations de plantes et l’intégration d’arbres et d’animaux de la ferme sont également favorisées.
Quant aux pesticides et engrais synthétiques, ils sont bannis, car ils contreviennent à l’idée d’une intervention minimale de l’humain dans le système. La permaculture serait-elle une sorte de «superbio»? «Oui et non, estime Hélène Bougouin. On peut produire bio dans un état d’esprit proche de l’agriculture conventionnelle, reposant sur la monoculture, le désherbage et l’engrais. La permaculture implique de dépasser ce cadre.»
Et si le calendrier lunaire peut être utile au permaculteur, c’est de manière moins dogmatique que dans la biodynamie, l’accent étant mis avant tout sur l’observation de ce qui se passe au jardin.
Facile à dire… peut-être moins à mettre en pratique! Aino Adriaens se dit satisfaite de son expérience: sa famille de quatre est autonome en légumes, «à part les carottes», précise-t-elle. Mais la jardinière expérimentée concède tout de même quelques échecs, comme les «tours à patates» qui n’ont rien donné. Loris, un autre permaculteur qui œuvre sur la Côte, avoue que son potager s’est transformé en «paradis des limaces» à cause du paillage.
«Une butte peut prendre plusieurs années à démarrer, le temps que se mette en place l’équilibre recherché. Je m’attends donc à de meilleurs résultats d’année en année. Quand on cultive en amateur comme moi, on peut se permettre des ratés. C’est plus difficile si on doit vraiment atteindre des résultats…»
Critique du productivisme
Cette incertitude explique-t-elle le peu d’intérêt des agriculteurs pour la permaculture? Toujours est-il qu’elle attire pour l’heure surtout des personnes issues d’autres horizons, à l’image de Loris. Dessinateur de machines dans l’industrie mécanique, il a entamé une formation en permaculture en 2015, après que sa société a mis la clé sous la porte.
«Dès le premier jour, j’ai accroché. J’ai rencontré des gens inspirants, dont l’approche m’a semblé hyperlogique. Je sens que c’est sur ce chemin que je dois aller désormais, même si je ne sais pas encore vraiment comment effectuer ma reconversion. Il faut redonner à la nature ses droits et sa place», considère ce père de deux jeunes enfants.
Pour Hélène Bougouin, la frilosité des agriculteurs vient aussi des critiques dont ils font l’objet: «Beaucoup de personnes qui s’intéressent à la permaculture sont très critiques vis-à-vis de l’agriculture traditionnelle, jugée trop productiviste et pas assez respectueuse de l’environnement. Mais il ne faut pas oublier que pour l’heure, ce sont les agriculteurs qui nous nourrissent!» souligne-t-elle.
La spécialiste du FIBL note cependant que la situation est en train d’évoluer: «Lors de la dernière formation que j’ai organisée, la quasi-totalité des 40 participants étaient issus du monde agricole.» Aujourd’hui, certains permaculteurs suisses vivent de leur production et de leur enseignement, mais on est encore loin des véritables exploitations commerciales. Ce qui est peut-être bon signe: si on en croit la permaculture, mieux vaut privilégier les solutions petites et lentes, car ce sont celles qui durent!