Maturité.Un élève sur sept ne passe pas en deuxième année. Résultat: soit un échec, soit un départ précipité. La transition entre le collège et le gymnase, avec moins de prise en charge, reste compliquée.
MATHIEU SIGNORELL
Mais où sont-ils passés? Dans certains gymnases vaudois, entre la première et la deuxième année de maturité, 20% des élèves disparaissent des statistiques. Dérangeant et inquiétant pour des enseignants, mais aussi pour certains directeurs, qui regrettent de voir autant de leurs gymnasiens échouer. Mais peu s’expriment, car le sujet de l’échec scolaire reste délicat.
D’abord quelques exemples, fondés sur les chiffres de l’Etat de Vaud: le gymnase de Beaulieu, à Lausanne, accueillait 284 étudiants de première année en 2011, dont une partie de redoublants. En 2012, il n’en comptait que 224 en deuxième. Soit une différence de 60 élèves, c’est-à-dire 21% (voir tableau). Dans le même temps, Auguste-Piccard, aussi à Lausanne, n’en «perdait» que 9 sur 228 (3,9%).
Parmi les établissements aux différences les plus élevées de 2005 à 2012, on trouve le gymnase intercantonal de la Broye avec une moyenne de 20,65% et le gymnase de Beaulieu avec 15,46%. A l’inverse, Auguste-Piccard (4,83%) et Chamblandes (7,9%) connaissent les meilleurs taux. Ces résultats peuvent être variables pris d’année en année. Le gymnase du Bugnon, encore à Lausanne, joue au yoyo entre 10,77 et 23,16%. Idem à Burier, dans l’est vaudois: 20 étudiants partis entre 2009 et 2010, contre 65 une année auparavant.
Avec une moyenne de près de 12%, stable d’année en année, le canton de Vaud s’en sort bien. Comme celui de Fribourg. Ce dernier enregistre en 2013 une moyenne de 10,01%, contre 10,52% entre 2011 et 2012, selon le Service de l’enseignement secondaire du deuxième degré.
Les deux régions sont loin derrière Genève. Parmi les 2708 gymnasiens de première année en 2012, 491 ont quitté le gymnase, soit 18%. «Parmi ceux-ci, 391 se sont réorientés vers une autre filière au sein de l’école publique genevoise, 24 ont rejoint une école privée du canton et 76 ne sont plus scolarisés à Genève, certains ayant donc déménagé», explique Pascal Edwards, directeur du Service de la scolarité de l’enseignement secondaire II postobligatoire.
Changements dans les règlements. En étudiant le parcours des gymnasiens vaudois de 1996 à 2008, Eugen Stocker, responsable de recherche à l’Unité de recherche pour le pilotage des systèmes pédagogiques, qui dépend du Département de la formation, de la jeunesse et de la culture, est parvenu à dessiner une carte des mouvements d’élèves dans le canton. Ainsi, sur cette période de douze ans, entre 7,5 et 11,1% redoublent leur première année de maturité. Parmi les autres, de 1,5 à 3% se réorientent vers la première année de l’école de culture générale et de commerce, souvent appelée «voie diplôme». Le reste (entre 4,1 et 9,6%) quitte simplement le gymnase.
«Nous ne savons pas véritablement où vont ces derniers, précise Eugen Stocker. Certains partent en apprentissage, d’autres quittent le canton. Nous les perdons des statistiques.»
Pour lui, les chiffres globaux sont stables depuis quinze ans, «même si nous observons des fluctuations». Celles-ci s’expliquent souvent par des changements dans les règlements: «La double compensation des points négatifs, à la fin des années 90, a ainsi fait augmenter les statistiques.»
Certains estiment que les différences entre gymnases seraient dues à l’origine sociale des étudiants: enfants de parents immigrés dans l’ouest lausannois et classes aisées à Pully, à l’est. Les statistiques cantonales ne permettent pas de relier les résultats des élèves et leur origine, souligne Eugen Stocker. Et personne ne se risque à faire le lien.
En revanche, selon des professeurs et la direction générale de l’enseignement postobligatoire, les branches enseignées ont un impact. Il y a d’un côté le regroupement des classes particulières dans seulement quelques gymnases, comme pour le grec, et de l’autre des élèves au parcours hors de l’ordinaire. C’est le cas des artistes et sportifs d’élite du gymnase Auguste-Piccard.
Une nouvelle vie à appréhender. Alors comment se justifie ces difficultés à passer? Tant au collège qu’au gymnase et au sein de l’administration cantonale, tout le monde pointe du doigt avant tout le changement radical entre le niveau du collège et celui du gymnase: nouvelle vie, nouveaux amis, nouveaux trajets, nouvelle façon de manger à midi, sans les parents, nouvelles méthodes d’apprentissage et, surtout, une certaine liberté accordée à des élèves considérés comme de jeunes adultes.
Pour prévenir l’échec, le gymnase de Nyon organise par exemple des forums pour les classes de première année. «Les élèves peuvent parler des idées qu’ils se faisaient du gymnase et de la réalité qu’il rencontre, explique le directeur, Yves Deluz. Ce qui ressort, c’est notamment l’importance du changement de vie sociale, qu’ils doivent parfois reconstruire, et du bouleversement qu’ils subissent. Cela leur prend une énergie considérable. Jusqu’ici, leur vie sociale était liée à leur environnement très proche, comme le village.»
Dans l’idée de préparer les futurs gymnasiens à ces changements, Jacques Daniélou, président de la Société pédagogique vaudoise, estime que les enseignants du collège ont les moyens de les aider. Mais il milite pour la mise en place de périodes spécifiques. «Certaines classes en secondaire ont des périodes d’approche du monde professionnel. Il en faut du même type pour ceux qui se destinent au gymnase et à des études supérieures. Il n’y aura jamais trop de monde qui en fera. Notre société, de plus en plus tertiaire, en a besoin.»
«Appauvrissement clair et net.» Gros souci pour ces jeunes étudiants: la gestion du temps et du travail à accomplir. Directeur général de l’enseignement obligatoire, Alain Bouquet cite un exemple concret: le carnet journalier. Au collège, les maîtres dictent les devoirs et les parents doivent le signer. «Au gymnase, le travail y est moins mâché. Il appartient à l’élève d’anticiper sur les révisions et le travail personnel, même si les enseignants lui donnent des indications précises. C’est à l’élève de trouver son outil. Le saut est ainsi plus rude.»
Présidente de l’Association vaudoise des maîtres de gymnase, Françoise-Emmanuelle Nicolet est enseignante depuis vingt-cinq ans. Tout en s’étonnant qu’il n’y ait pas davantage de psychologues dans les gymnases pour soutenir les jeunes en difficulté, elle note un «appauvrissement clair et net» du bagage des étudiants. «Ce n’est pas parce qu’ils ont les points pour venir au gymnase qu’ils ont le bagage. Il y a vingt-cinq ans, on comptait deux fois plus d’heures de français en secondaire I qu’aujourd’hui. On le ressent fortement.»
Alain Bouquet se veut rassurant. Si, jusqu’ici, certains points négatifs étaient autorisés pour passer au gymnase, «cela peut donner un sentiment de minimalisme». Il insiste alors sur le fait que la nouvelle loi sur l’enseignement obligatoire (LEO) modifiera justement ces règles.
Le vrai problème: un échec en troisième année.«On ne peut pas aborder la question sous le seul angle de l’insuffisance vraie ou fantasmée des élèves», nuance Gilles Pierrehumbert, président de la Société vaudoise des maîtres secondaires. Pour lui, l’un des problèmes est que «les jeunes de 15 ans ont parfois de la peine à se forger un projet d’études structuré. S’ils pouvaient s’interroger sur leurs aspirations, ils pourraient mieux choisir une voie ou une autre.» Conséquence: le gymnase n’est plus seulement une école qui prépare à l’université, «il est aussi une école de transition».
En cas de difficulté d’adaptation, faut-il alors tout faire pour que ces jeunes restent au gymnase? Non, répond Séverin Bez, directeur général de l’enseignement postobligatoire. «Nous n’y mettons pas toute notre énergie, car l’important est avant tout qu’ils restent dans le système scolaire en général.» Un départ en première année signifie le début d’une nouvelle voie de formation, souvent en apprentissage. Pour lui, «on ne peut pas considérer cela comme un échec, pour autant qu’ils aient un projet de formation». «En revanche, les échecs les plus douloureux et pour lesquels nous devons nous inquiéter sont ceux de la fin du gymnase, définitifs, après trois ou quatre ans d’étude. Ça, c’est un échec du système, car le jeune se trouve alors sans rien et a mis trop de temps à trouver sa vraie voie de formation.» Un domaine pour lequel le canton ne publie pas de chiffres dans le détail.