Le préposé à la surveillance des prix se bat sur tous les fronts pour casser ce stéréotype qui voudrait que l’îlot de cherté suisse est l’inévitable prix à payer pour notre prospérité. Portrait du M. Prix le plus médiatique de l’histoire.
L’image, forte, résume tout: on y voit un détenu en tenue zébrée, menottes aux poignets et boulet aux pieds. Qui est-ce? Un consommateur suisse, client captif par excellence! C’est par cette métaphore que Stefan Meierhans entame souvent ses conférences publiques. Depuis huit ans qu’il est en fonction, le préposé à la surveillance des prix chasse sans relâche les abus de toutes sortes en la matière.
En 2017, son combat sera plus actuel que jamais: des représentants des consommateurs et du milieu des PME ont lancé une initiative populaire «Stop à l’îlot de cherté – pour des prix équitables».
Ah, l’îlot de cherté suisse! «Un scandale permanent», selon Rudolf Strahm, membre du comité d’initiative et ancien M. Prix. On estime que les consommateurs et les PME paient 15 milliards de francs en trop pour des produits importés. Avec des conséquences très fâcheuses à la clé: le tourisme d’achat est plus prospère que jamais, crevant le plafond des 12 milliards cette année, un gros manque à gagner pour le commerce de détail helvétique.
Soumis à un devoir de réserve, Stefan Meierhans n’ose bien sûr pas le dire, mais on sent que cette initiative a tout pour lui plaire. Elle constitue un formidable levier de pression pour appuyer un combat a priori très inégal face à des puissantes multinationales, d’influents lobbys ou encore des professions cartellisées comme celles des notaires ou des ramoneurs.
Au contact des gens
Pour s’imposer, Stefan Meierhans n’a pas le choix. Il doit le plus souvent possible quitter son bureau des bords de l’Aar à Berne pour aller battre villes et campagnes, comme en ce jeudi 17 novembre devant le Business Club Mittelland à Erlinsbach, un petit village argovien.
Le terrain, il aime cela, tout comme les feux des projecteurs: c’est là qu’il y plaide au mieux sa cause. Main gauche dans la poche de son pantalon et main droite sur le cœur, il déroule sa présentation PowerPoint, dans laquelle il évoque les mille sujets sur lesquels il se bat au quotidien. La population ne lui accorde aucun répit: elle adresse chaque année près de 2000 plaintes au Zorro des consommateurs.
«La Suisse est certes un pays avec une solide classe moyenne disposant d’un bon pouvoir d’achat. Mais ce n’est pas une raison pour accepter des prix élevés.» A chaque fois, Stefan Meierhans s’attache à expliquer les enjeux et à casser quelques clichés, comme celui qui veut que l’îlot de cherté soit le prix à payer pour une prospérité basée sur une main-d’œuvre chère. Selon lui, la comparaison des salaires avec les pays voisins est impossible.
«Devons-nous être pénalisés parce que, en Suisse, nous travaillons entre 40 à 45 heures par semaine, soit plus longtemps et souvent de manière plus productive que dans les pays voisins?» interroge-t-il. Bien sûr que non. «Nous devons faire baisser les prix car, sinon, nos entreprises vont finir par délocaliser des emplois!»
Jamais, pourtant, il ne tombe dans un discours simpliste. «Nous sommes tous responsables de l’îlot de cherté», rappelle-t-il à son public. Lors de la période du renouvellement des contrats d’assurance maladie, nombreux sont ceux qui pourraient faire de substantielles économies sans craindre la moindre baisse de qualité des prestations. «Mais seuls 10% des assurés changent de caisse», déplore-t-il.
Le problème, c’est que les Suisses ne sont pas des négociants-nés. Ils rechignent à demander plusieurs offres, et lorsqu’ils en reçoivent une, ils en acceptent trop vite le prix. Lors du repas qui suit l’exposé à Erlinsbach, le patron d’une PME ne peut que confirmer les propos de M. Prix. Marié à une Marocaine, il raconte qu’il a voulu aménager un jour un attique dans sa maison.
Il était prêt à signer un devis de 100 000 francs lorsque sa femme est intervenue: «C’est beaucoup trop cher!» s’est-elle exclamée. Un quart d’heure plus tard, la facture avait déjà baissé à 80 000 francs. Le mari était très content, mais pas sa femme, qui a encore demandé à l’architecte: «Et maintenant, que m’offrez-vous comme cadeau?»
L’arme des médias
Le travail de Stefan Meierhans est à l’image de l’histoire de son officine: les victoires s’obtiennent à l’arraché, après une longue lutte. Le Conseil fédéral n’a d’abord instauré – dans un arrêté urgent – une surveillance des prix que pour lutter contre la surchauffe économique à l’époque des trente glorieuses.
Face à un gouvernement qui refuse d’aller plus loin, les associations de consommateurs lancent une initiative populaire visant à empêcher tous les prix abusifs. Ils gagnent en 1982, mais la loi qui en découle est si inoffensive qu’ils doivent remettre la compresse par une nouvelle initiative pour renforcer la base juridique. Et ils remportent une nouvelle victoire!
Morale de l’histoire: dans ce domaine, rien n’est jamais acquis, le combat est permanent. Stefan Meierhans le sait, lui dont le travail requiert beaucoup de patience et une forte présence médiatique. Ce qui lui est vivement reproché, mais la mobilisation des médias reste parfois la dernière arme de son arsenal.
Un exemple? Dans le domaine de la santé, les prix sont politiques, selon des pratiques totalement incompréhensibles au commun des mortels. En pharmacie, une paire de béquilles coûte ainsi 24 francs au simple consommateur. En revanche, si celui-ci est au bénéfice d’une ordonnance médicale, cette même paire est facturée 81 francs à sa caisse, tout simplement parce que c’est ce prix exorbitant qui figure dans la Liste des moyens et appareils (LIMA) approuvée par le Département fédéral de l’intérieur (DFI).
Stefan Meierhans alerte le Conseil fédéral dès 2011 à ce propos. Comme rien ne se passe, il thématise la question dans une émission de la TV alémanique Kassensturz. Et là, miracle! L’administration et la politique réagissent enfin. «Les assurés paient 110 millions de francs de trop par an en raison de prix surfaits sur cette liste», rappelle M. Prix en se basant sur une estimation de l’association faîtière Santésuisse. Une solution est désormais en vue, mais elle n’entrera pas en vigueur avant 2019.
La tête de Turc des CFF
Durant le dernier trimestre de cette année, le surveillant des prix a tiré la sonnette d’alarme sur l’évolution des tarifs des transports publics. Officiellement, le gouvernement se bat pour favoriser le transfert de la route au rail, qu’il s’agisse des individus ou des marchandises. Mais sa politique tarifaire va dans le sens contraire. En augmentant le prix du sillon des CFF, soit de l’autorisation de circuler, il les oblige à élever leurs tarifs, ce qui pénalise ainsi les passagers.
Pour freiner cette évolution, Stefan Meierhans est intervenu auprès de l’Union des transports publics (UTP), dont les CFF sont l’acteur le plus puissant. C’est ainsi qu’il a obtenu d’eux un lot de «billets dégriffés» – soit de 30 à 50% meilleur marché – aux heures creuses notamment.
Même s’il est devenu la tête de Turc des CFF, son message commence à passer. Dans la dernière édition du magazine de l’association ATE, la responsable du trafic voyageurs des CFF Jeannine Pilloud admet que «les coûts du système de transports publics, en particulier ceux du rail, doivent diminuer». Un aveu en guise de victoire symbolique pour Stefan Meierhans.
Ce dernier n’aime pas cette métaphore. Mais il donne parfois l’impression d’être un don Quichotte combattant des moulins à vent, tant ses adversaires sont aussi invisibles que lointains. Il s’agit surtout de grandes multinationales qui vendent leurs produits parfois bien plus cher en Suisse que dans les pays voisins.
Un jour, il croise un responsable de l’une de ces entreprises globalisées qui lui confie comment elle fixe les prix de ses produits pour chacun des pays. En l’occurrence, elle se basait sur un panier de la ménagère dans lequel, par exemple, le shampoing coûtait trois fois le prix d’une livre de pain. A ce moment-là, Stefan Meierhans a réalisé à quelle sauce le consommateur suisse se faisait dévorer.
«Je me suis rendu compte que nous étions triplement pénalisés. Nous accordons des subventions aux agriculteurs par le biais des paiements directs, nous payons des aliments importés plus cher en raison de tarifs douaniers protégeant nos paysans, et enfin nous sommes victimes des calculs discutables des multinationales.»
La maîtrise du numérique
Le prochain grand défi à relever concerne la révolution numérique. Là, Stefan Meierhans est dans son élément, sa biographie, en partie méconnue, en témoigne. De lui, tout le monde sait qu’après des études de droit, il a travaillé comme rapporteur dans les états-majors des conseillers fédéraux Arnold Koller et Rutz Metzler-Arnold. Mais on ignore généralement qu’il a rejoint le géant Microsoft, pour lequel il a fait du lobbying au Palais fédéral. C’est dire que la digitalisation de la société le stimule autant qu’elle le passionne.
«Le phénomène de la disruption va transformer notre société. Il est d’abord une chance dans la mesure où il va beaucoup faciliter nos vies. Mais il comporte aussi des risques de position dominante de certains acteurs du marché. Ce sera à l’Etat de réguler cela», dit-il.
Pour l’instant, gouvernement et Parlement semblent dépassés par la digitalisation. Dans le domaine du tourisme, les hôteliers se plaignent de plus en plus de la position dominante prise par la plateforme booking.com, par laquelle passent 70% des réservations en ligne. Or, c’est elle qui fixe toutes les règles du jeu, dont les hôteliers se sentent prisonniers. Stefan Meierhans examine en ce moment si la hauteur des commissions exigées par la plateforme peut être qualifiée d’«abusive» et si l’ouverture d’une enquête se justifie.
Il s’est aussi engagé contre le «geo-blocking», ce système qui empêche le citoyen suisse de commander une prestation sur le site étranger d’une entreprise, qui préfère l’offrir uniquement en Suisse à un prix évidemment surfait. Mais jusqu’ici, le Conseil fédéral a préféré ne pas intervenir, au contraire de l’Union européenne qui est en passe de légiférer.
S’il a l’appui des associations de consommateurs, Stefan Meierhans se heurte à de puissants lobbys sous la Coupole fédérale. Certains élus y représentent des groupes d’intérêt, comme Thomas de Courten (UDC/BL), le président de l’association Intergenerika. Celle-ci est l’une des cibles de M. Prix, qui ne cesse de dénoncer le coût trop élevé des médicaments.
Lors de ses conférences, il brandit volontiers l’exemple du Pantoprazol de Sandoz, en moyenne deux fois et demie plus cher que dans neuf autres pays européens, et même dix fois plus cher qu’aux Pays-Bas.
Thomas de Courten ne comprend pas cette croisade, soulignant que son association a contribué à la baisse du coût des médicaments. «Ce différentiel de prix est dû à des conditions-cadres plus strictes et nombreuses en Suisse. Nous l’avons expliqué à M. Meierhans, qui ne veut pas nous écouter. Au lieu d’encourager l’usage des génériques, il les diabolise», déplore-t-il.
«Un excellent communicateur»
Dans une autre catégorie de sceptiques, le chef du groupe UDC Adrian Amstutz estime, quant à lui, que la surveillance des prix est à la fois «superflue et chère». «Nous avons déjà une Commission de la concurrence, cela suffit, observe-t-il. Ce M. Prix ne travaille que pour la galerie.»
Stefan Meierhans a l’habitude des critiques. Lorsque ce membre du PDC a été porté à ce poste par Doris Leuthard, alors ministre de l’Economie, les uns ont parlé de copinage, d’autres se sont gaussés de sa mèche blonde, tout comme de sa propension à se mettre en scène sur les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, pourtant, son travail fait l’unanimité dans les associations de défense des consommateurs. «C’est un excellent communicateur qui utilise la pipolisation pour la cause des consommateurs. Il joue son rôle de mouche du coche avec brio. Il faudrait lui accorder davantage de moyens», note Mathieu Fleury, secrétaire général de la Fédération romande des consommateurs.
Un vœu qui risque fort de rester pieux à l’heure du programme de stabilisation financier du Conseil fédéral. Stefan Meierhans devra continuer à composer avec son équipe actuelle d’une vingtaine de collaborateurs, qui n’est d’ailleurs pas si chère que cela: «La surveillance des prix coûte 3 millions par an, alors qu’elle permet aux consommateurs d’épargner plus de 300 millions au minimum.»
PROFIL
Stefan Meierhans
1968 Naissance à Altstätten (SG).
1994 Etudes de droit à Bâle et Uppsala (Suède), conclues par un doctorat.
1998 Rapporteur du conseiller fédéral Arnold Koller, puis de Ruth Metzler-Arnold.
2003 Chef des Corporate Affairs chez Microsoft.
2008 Préposé à la surveillance des prix.