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La Trump Tower, symbole de toute-puissance

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Jeudi, 22 Décembre, 2016 - 05:57

Valérie de Graffenried

Niché sur la prestigieuse Cinquième Avenue de Manhattan, le gratte-ciel héberge l’empire financier du président élu, Donald Trump, mais aussi son équipe de transition, chargée de former sa future administration. Et ses appartements. Portrait d’un lieu qui cristallise et incarne l’univers Trump.

D’elle, on croit tout savoir. Ou presque. Elle garde pourtant une part de mystère. La Trump Tower, nichée sur la prestigieuse Cinquième Avenue à Manhattan, héberge le siège social de la Trump Organization. C’est aussi là que le président élu habite la plupart du temps, dans un luxueux penthouse qui occupe les trois derniers étages.

Et surtout, c’est l’endroit où se réunit son équipe de transition chargée de former sa nouvelle administration, après avoir été son QG de campagne. Inlassablement, depuis le jour de l’élection, le 8 novembre dernier, badauds et journalistes assistent dans une ambiance fébrile aux va-et-vient de personnalités désireuses d’obtenir un poste. La tour s’est transformée en ruche bourdonnante.

D’ailleurs, plus rien n’est comme avant. L’édifice de 58 étages, 202 mètres de verre noir et d’acier, avec sa célèbre façade en accordéon, est placé sous haute protection. Le jour de l’élection, des camions remplis de sable l’encerclaient, pour parer à d’éventuelles attaques terroristes et contenir de potentiels protestataires en fureur. Les policiers étaient déployés par grappes entières. Et plusieurs rues ont été bloquées.

C’est à peine mieux aujourd’hui. Les boutiques de luxe qui jouxtent la tour en pâtissent. Le maire de New York, le démocrate Bill de Blasio, adversaire déclaré de Donald Trump, n’a pas caché que les problèmes de trafic découlant des mesures de sécurité l’inquiétaient. Sans parler des coûts.

Il en a fait part à Donald Trump. Et vient de calculer la facture: il réclame très exactement 35 millions de dollars pour la période allant du 8 novembre au 20 janvier, jour de l’investiture du nouveau président. Ce sont donc 467 000 dollars par jour pour les forces de police mises à disposition, unités spéciales comprises. Une facture adressée au président sortant, Barack Obama.

«Vous allez à Trump-Gucci?» demande un imposant malabar quand on tente de franchir une barrière de sécurité à quelques mètres de l’entrée principale. D’un pas décidé, on va dire que oui. Pour entrer dans la tour, en principe accessible au public de 8 heures à 22 heures, il faut désormais faire passer ses affaires dans un portique de sécurité, comme dans les aéroports. Quelques jours plus tôt, il suffisait de rapidement montrer le contenu de son sac à un membre de la sécurité plutôt détendu.

Peu importe. On est dans l’univers Trump. Clinquant, brillant, kitsch. Du breccia pernice, ce marbre rosé à veines blanches, à perte de vue dans l’atrium de cinq étages, 24 tonnes en tout.

Un Trump Grill, un Trump Ice Cream Parlor, un Trump Store. Ou encore un Trump Bar, qui sert notamment, pour 15 dollars, le cocktail You’re fired!, la phrase fétiche de Donald Trump, qu’il prononçait dans son émission de téléréalité de la NBC, The Apprentice, d’ailleurs tournée depuis 2004 dans une des suites de l’immeuble. Et une chute d’eau de 18 mètres. Murale.

Il y a aussi des vitrines avec le parfum Trump, Success, les mugs Trump, le chocolat Trump, les casquettes Trump, les boutons de manchette Trump. Ou la boutique de bijoux et de sacs d’Ivanka, fille de son père, au rez-de-chaussée. Impossible de la louper au vu de l’immense portrait de la jeune femme qui y trône. Comme pour rappeler qu’elle prend, avec son mari Jared Kushner, un richissime promoteur immobilier, une influence grandissante au sein de la garde rapprochée du président élu.

Pas question pour les touristes d’embarquer sans raison valable dans l’un des quatre ascenseurs en or qui mènent aux étages supérieurs: ils seront rapidement interceptés par la sécurité. Et encore moins de viser le 5e, qui permet d’accéder directement aux appartements du maître des lieux, en passant par sa société nichée au 26e étage. Ils peuvent en revanche emprunter les escaliers roulants qui montent jusqu’à une petite terrasse, désormais surveillée, quand elle n’est pas carrément fermée.

Un petit jardin public que Donald Trump a consenti à aménager pour pouvoir, en échange, construire vingt étages supplémentaires. Le banc public placé dans le lobby fait aussi partie de l’arrangement passé avec la ville. Pour l’avoir retiré, son équipe de campagne a récemment dû payer une amende.

Des habitants prestigieux: Bruce Willis et Cristiano Ronaldo

C’est sur ces escaliers roulants au centre de l’atrium que Donald Trump a, le 16 juin 2015, déclaré sa candidature aux primaires républicaines, accompagné de sa femme, Melania. Dès cet instant, la tour, où habitent déjà plusieurs proches du magnat de l’immobilier, devient son QG de campagne. C’est aussi à la Trump Tower qu’il a appris, alors qu’il ne semblait pas vraiment y croire, son élection à la tête des Etats-Unis. La tour est plus que jamais étroitement liée à sa toute-puissance.

D’ailleurs, trop New-Yorkais pour vraiment vouloir vivre à Washington, le milliardaire a confirmé qu’il y reviendrait souvent. Sa femme et leur fils de 10 ans, Barron, y resteront en tout cas jusqu’à la fin de l’année scolaire. De quoi inquiéter les services secrets, qui ne pourront pas relâcher leur vigilance de sitôt. De quoi agacer aussi les riverains de cette portion de Manhattan extrêmement animée.

Le chaos et la pagaille devant l’immeuble, apparemment appelés à perdurer, sont devenus l’un des sujets de discussion favoris dans les cocktails. C’est désormais d’annexe de la Maison Blanche qu’il faut parler.

Au rez-de-chaussée, il y a aussi la boutique Gucci, qui a insisté pour que les touristes ne soient pas freinés dans leur élan de fièvre acheteuse à la seule vue du dispositif de sécurité. Et dont des malabars à képi se mettent à prononcer le nom dans la rue. Nike et Starbucks sont aussi représentés dans la tour. La Concacaf, qui regroupe les fédérations de football du continent nord-américain, d’Amérique centrale et des Caraïbes, y a établi son siège. Avec un peu de chance, on peut aussi croiser l’acteur américain Bruce Willis ou le footballeur portugais Cristiano Ronaldo, qui y ont un appartement. Michael Jackson – un étage loué en été 1994 pendant son bref mariage avec la fille d’Elvis Presley – et le dictateur haïtien Jean-Claude Duvalier ont aussi vécu en ces lieux, pour ne citer qu’eux. Cet univers kitsch, sublimé par les décorations de Noël loin d’être discrètes, est plus que jamais une attraction touristique, presque un passage obligé quand on fait une escapade à New York.

Ses appartements de 3000 mètres carrés

Dessinée par l’architecte américain Der Scutt, du cabinet d’architectes international Swanke Hayden Connell Architects, la tour a été inaugurée le 30 novembre 1983, après quatre ans de travaux. Mégalomane assumé qui n’a jamais nié sa folie des grandeurs, Donald Trump voulait en faire le premier gratte-ciel «super-deluxe» de la ville, avec bureaux, boutiques et copropriétés.

Pour cela, il a fallu raser un édifice Art déco qui abritait une célèbre enseigne, le Bonwit Teller, pour laquelle l’artiste Andy Warhol avait d’ailleurs dessiné plusieurs vitrines. Une destruction qui a déclenché une vive polémique, car rien n’a été préservé. Le grand musée d’art de New York, le MET, avait pourtant signalé son intérêt à récupérer des sculptures. Mais Donald Trump n’est pas entré en matière: il a préféré tout raser. Et rapidement.

Le plus important pour lui était de penser à la décoration, celle de ses appartements de 3000 mètres carrés, avec une vue inouïe sur tout Manhattan et Central Park, qu’il avait confiée au designer d’intérieur Angelo Donghia. Là encore, il n’a pas fait dans la demi-mesure, comme le prouvent les photos parues dans divers magazines.

Fresques mythologiques, immense statue d’Eros et Psyché, lustres de cristal, candélabres majestueux, moulures, dorures et diamants incrustés, tout y est. Une sorte de petit Versailles sans le moindre centimètre carré d’espace vierge. Il s’y installe à l’âge de 37 ans, avec sa première épouse, Ivana, ses deux aînés, Donald Junior et Ivanka. Leur troisième enfant, Eric, naîtra quelques mois plus tard.

Sur son site internet, Donald Trump, qui voue une véritable passion à sa tour – «J’y vis, j’y ai élevé ma famille, j’y travaille» –, raconte avoir à l’époque longuement arpenté la Cinquième Avenue en lorgnant sur l’immeuble de onze étages qui hébergeait le Bonwit Teller, dans l’espoir de pouvoir l’acquérir un jour. Et ce que Donald Trump veut, Donald Trump l’obtient.

En l’occurrence en 1979, à l’âge de 33 ans. Pour ériger une tour à son image, avec ce côté too much si new-yorkais, m’as-tu-vu, clinquant et tape-à-l’œil. «Think big», écrira-t-il en 1987 dans son best-seller The Art of the Deal (L’art de la négociation).

Deux ans avant l’inauguration de la Trump Tower, il a toutefois dû faire face à un échec. Bloqué par des locataires bien décidés à se battre, il ne parvient pas à construire un gratte-ciel à la place de deux immeubles mitoyens sur la Sixième Avenue. Donald Trump se vengera en décidant de ne plus entretenir l’immeuble, dont il était devenu propriétaire. Plus sournois: il invite des SDF à s’installer dans des appartements vides pour effrayer les résidents. C’est sa manière à lui de se faire justice quand on le bloque dans son élan.

A l’époque, il avait de toute manière déjà les yeux rivés sur son chantier de la Cinquième Avenue. Une autre polémique a entaché la construction, ou plutôt la démolition de l’immeuble Art déco pour lui faire place: 200 ouvriers polonais en situation illégale y auraient travaillé pour 4 à 5 dollars de l’heure, dans des conditions misérables. Poursuivi en justice, Donald Trump a déclaré en 1990 devant un tribunal qu’il n’était pas au courant de leur situation: ces Polonais avaient été embauchés par un sous-traitant.

Un juge fédéral l’a reconnu coupable d’avoir comploté pour éviter de payer cotisations sociales et fonds de pension des syndicats. Condamné à payer 325 000 dollars, il a fait recours. L’affaire s’est conclue par un arrangement privé en 1999, seize ans après avoir été déclenchée. Mais elle a rebondi pendant la campagne présidentielle, brandie par son adversaire Hillary Clinton et le sénateur Marco Rubio.

Un spectacle permanent

En plus de l’entrée principale, majestueuse, sur la Cinquième Avenue, le bâtiment dispose de portes latérales, plus discrètes, pour les habitants qui vivent entre le 30e et le dernier étage. C’est aussi là que se faufilent les invités qui préfèrent ne pas se voir assaillir de caméras de télévision ou de micros. Car depuis l’élection, les journalistes sont tous les jours présents dans le hall principal et installés sur le trottoir d’en face.

Pour assister au bal des prétendants, aux allées et venues d’hommes d’affaires prêts à signer des contrats, pour scruter les moindres mouvements de l’équipe de transition, décortiquer leurs gestes. Donald Trump a également accueilli des leaders étrangers dans sa tour, comme le premier ministre japonais, Shinzo Abe, ou le Britannique Nigel Farage, fondateur du Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP). Un peu comme un roi qui reçoit dans sa tour.

Une trentaine d’appartements sont actuellement vacants. D’autres pourraient bientôt le devenir. S’ils ne sont pas des fans absolus de Donald Trump ou des amis proches, les locataires commencent à trouver toute cette agitation permanente difficile à vivre. «J’ai l’impression d’assister à un cirque chaque fois que je rentre chez moi. C’était marrant au début, mais là, ça commence à devenir vraiment pénible», glisse un homme d’affaires en se dirigeant d’un pas pressé vers un ascenseur.

C’est probablement ici, dans cette petite entrée qui donne sur la 56e Rue, que l’acteur Leonardo DiCaprio a dû passer début décembre pour rencontrer en toute discrétion Donald Trump et sa fille Ivanka, afin de leur parler du climat. Aucune photo de la rencontre n’a été divulguée. Et l’entrevue n’a été confirmée qu’après coup. Leonardo DiCaprio a su échapper aux journalistes.

A l’inverse, il y a ceux qui aiment se donner en spectacle, ou du moins qui cherchent à capter l’attention, comme aimantés au gratte-ciel. Le 9 août, Stephen Rogata, 19 ans, s’est mis à escalader le building entre le 5e et le 21e étage à l’aide de grosses ventouses. Il voulait, dit-il, apporter un message personnel à Donald Trump.

Pendant 2 heures 45, il a pu poursuivre son ascension avant d’être finalement appréhendé par des officiers de police et momentanément placé dans un hôpital psychiatrique. La tour n’était à ce moment-là pas encore en ébullition, mais l’événement avait été jugé suffisamment insolite pour que des chaînes de télévision retransmettent en direct sa curieuse escalade.

Un autre personnage a profité des projecteurs braqués sur la Trump Tower: le fameux Naked Cowboy de Times Square. L’artiste Robert John Burck a délaissé son lieu d’exhibition favori pour aller se montrer, dans sa tenue d’apparat – un slip, un chapeau, des bottes blanches et une guitare –, dans le clinquant lobby.

Avec un «TRUMP» écrit en majuscules sur son seul vêtement. Il partage avec le milliardaire une certaine excentricité et la folie des grandeurs: le Naked Cowboy s’était déclaré candidat à l’élection présidentielle américaine en 2012. Surtout, il ne cache pas être totalement fasciné par le milliardaire, qui incarne à ses yeux la réussite américaine.

Le 13 décembre, c’est le rappeur américain Kanye West, mari de Kim Kardashian, qui est passé par là. Une première apparition publique après une hospitalisation pour surmenage qui a logiquement alimenté des spéculations. «Nous avons parlé de la vie», a déclaré Donald Trump, volontairement évasif, aux journalistes présents.

Voilà ce qu’est la Trump Tower aujourd’hui: une ruche en pleine agitation, un condensé de pouvoir et d’argent, où l’on a autant de chances de croiser le Naked Cowboy, un futur ministre de l’administration Trump, une riche héritière qui noie son chagrin dans un Billionaire Martini pour 20 dollars – vodka, Noilly Prat et cornichon – ou un membre des forces spéciales en tenue d’assaut caché derrière une colonne de marbre, prêt à bondir.

Une tour qui fascine et intrigue autant qu’elle crispe. Une tour où le président de la plus grande puissance mondiale vend des casquettes et chocolats portant son nom.

58 ou 68 étages?

Et il y a cette drôle histoire d’étages. Selon Donald Trump, son joyau new-yorkais en a 68. C’est bien le numéro du dernier étage, où il vit. Mais le Conseil urbain de l’habitat, le service de la mairie qui tient le registre des gratte-ciel de New York, n’en a officiellement inscrit que 58. Qu’elle en ait 68 ou 58, la Trump Tower a en tout cas su s’imposer, de force, dans le paysage. Et bien d’autres gratte-ciel portent le nom du président élu.

A New York – la Trump World Tower, le Trump Palace Condos, le Trump Plaza ou le complexe du Trump Park Avenue, pour ne citer qu’eux – et dans d’autres villes ou pays. Donald Trump est propriétaire d’une vingtaine de biens immobiliers. C’est grâce à son père, Fred Trump, qui faisait essentiellement des affaires du côté de Brooklyn et du Queens, que le jeune Donald se lance dans l’immobilier à l’âge de 25 ans.

Son but: étendre son empire à Manhattan. Sa première acquisition a été le Commodore Hotel, sur la 42e Rue, à côté de la gare Grand Central, qui deviendra le Grand Hyatt Hotel. C’est à peine à 1 kilomètre de là qu’il fera sa deuxième acquisition, celle qui permettra à la Trump Tower de s’ériger.

Un nom inscrit en grosses lettres sur ses édifices, c’est sa façon à lui de rendre sa puissance visible aux yeux de tous. Beaucoup d’immeubles arborent son nom, mais tous ne lui appartiennent pas. Donald Trump a notamment vendu des appartements à des investisseurs de Hong Kong dans les années 90, avec une exigence: garder les lettres dorées sur le fronton. Récemment, il vient de perdre une manche.

A la demande de locataires qui ont lancé une pétition avant même son élection à la tête des Etats-Unis, trois luxueux immeubles de l’Upper West Side viennent de s’en débarrasser. La société Equity Residential, qui les gère, est entrée en matière.
La Trump Tower, elle, peut se rassurer. Les lettres Trump devraient encore y briller un bon moment. Même si un petit malin est parvenu à rebaptiser pendant quelques heures la mythique tour en «Dump Tower» dans sa localisation de Google Maps. «Dump», pour décharge. 

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