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La machine à écrire vintage, nouvel objet de désir

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Jeudi, 5 Janvier, 2017 - 05:54

Rencontre. La machine à écrire connaît un regain d’intérêt chez les espions et les hipsters. A Lausanne, le musée qui lui est consacré fête ses 30  ans, et continue de célébrer la mémoire de la marque suisse Hermès, fleuron de l’industrie du siècle dernier.

Elle reprend du service. A la suite du scandale des écoutes de l’Agence nationale de sécurité américaine (NSA), qui avait espionné jusqu’au portable de la chancelière allemande, Angela Merkel, l’antique instrument séduit à nouveau les services secrets. Le rapporteur de la commission parlementaire allemande qui enquête sur l’affaire des écoutes, Patrick Sensburg, a affirmé qu’il envisageait de rédiger son rapport sur… une machine à écrire.

De son côté, le FSO, service fédéral de protection russe, a lancé un appel d’offres pour vingt machines. «Du point de vue de la sécurité, les télécommunications électroniques sont vulnérables», a expliqué le député Nikolaï Kovalev dans la presse russe. Et le service issu de l’ancien KGB de conclure qu’il privilégierait désormais «la machine à écrire».

La bonne vieille mécanique a un autre avantage: elle accompagne son propriétaire toute sa vie durant. L’écrivain américain Paul Auster parle de son Olympia avec une grande émotion (Histoire de ma machine à écrire, publié chez Actes Sud). Dans les années 80, il refusait de se mettre à l’ordinateur, comme ses amis. On le traitait de grippe-sou, de misonéiste ou de vieux bouc entêté? Qu’importe, c’est à l’arrivée massive de l’infomatique qu’il a réalisé combien il tenait à la mécanique.

«Jusqu’à cette époque, je n’avais pas éprouvé pour ma machine à écrire un attachement particulier. C’était un simple outil qui me permettait de faire mon travail, mais dès lors qu’elle était devenue une espèce en danger, l’un des derniers artefacts survivants de l’homo scriptorus du XXe siècle, je me mis à nourrir pour elle une certaine affection. Bon gré, mal gré, je me rendais compte que nous avions le même passé. Avec le temps, je finis par comprendre que nous avions aussi le même avenir.»

Un lieu unique

L’auteur de la Trilogie new-yorkaise a donc fait, depuis, une réserve conséquente de rubans encreurs, pour tenir le plus longtemps possible. Il n’est pas le seul. L’écrivain Cormac McCarthy a travaillé cinquante ans durant sur une Olivetti Lettera 32, qui a fini par rendre l’âme en 2009, avant d’être vendue aux enchères pour 254 500 dollars.

Il y a trois ans, la salle de rédaction du Times, à Londres, a commencé à diffuser le fameux cliquetis mécanique vintage par haut-parleurs, pour stimuler la productivité de ses journalistes. Plus l’heure du bouclage approchait, plus le fond sonore devenait présent. On n’avait plus entendu cette douce musique depuis les années 80…

Si les professionnels ont déserté les machines à écrire, les hipsters de New York, Berlin, Londres, Tokyo ou Paris ont repris le flambeau. Ils font vivre la mémoire de l’engin, et le fétichisent, en bons «méca­scriptophiles». Les vieilles touches sont montées en pendentifs, leur typographie orne des t-shirts. On peut, sur son téléphone portable, rédiger ses textos avec le son des antiques barres à caractères. Ou brancher sa tablette à un clavier Qwerkywriter, qui vous donnera l’impression de travailler sur une Remington.

Quelques jeunes trentenaires reviennent, eux, carrément à l’écriture mécanique, par snobisme ou antimodernisme assumé.

Un lieu, à Lausanne, est fait pour eux. Le Musée de la machine à écrire, unique en Suisse, y a ouvert ses portes il y a trente ans. Il se trouve au numéro 20 de l’avenue de France, dans un sous-sol où, pendant des années, la firme Grandjean teignait les œufs de Pâques…

Dès la porte, l’odeur des bandes d’encre et de la graisse des mécaniques rappelle les bureaux d’antan. Elles sont silencieuses, les pièces patiemment réunies par le maître des lieux, Jacques Perrier, mais il les fait fonctionner pour nous. Les touches cliquettent, les caractères frappent, les chariots coulissent, jusqu’au tintement des sonnettes au retour à la ligne.

Jacques Perrier a repris en 1987 l’entreprise de réparation que son père avait ouverte en 1958. Aujourd’hui spécialisé dans les imprimantes, il continue de réparer, et de vendre, des machines à écrire. En 2011, le cinéma français a fait appel à lui comme expert, sur le tournage du film Populaire de Régis Roinsard, avec Romain Duris. Ce long métrage raconte une compétition dactylographique de 1958 (et une histoire d’amour). A l’écran, ce sont les machines de la collection Perrier que l’on voit à l’œuvre.

Que recèle le musée? Plus de 400 machines à écrire (et 200 calculatrices). Avec ses réserves, le musée en comptabilise un millier. C’est tout un pan de l’histoire mécanographique qui s’écrit sous nos yeux, depuis une Remington de 1887, jusqu’aux productions japonaises électroniques des années 80.

Surprise, l’arobase utilisée aujour­d’hui dans les adresses de courriels, le fameux @, est déjà présente sur les claviers américains du XIXe siècle. D’autres signes, eux, ont disparu. Ainsi, on retrouve la double Sieg Rune utilisée comme symbole de la SS sur une Olympia des années 40… Les belles carrosseries sont celles des machines suisses de la marque Hermès, et surtout du modèle portatif Hermès Baby, fabriqué dès 1935 à Yverdon. «Ils avaient des usines immenses, et nourrissaient la moitié du Nord vaudois! Neuf millions d’exemplaires de l’Hermès Baby ont été vendus, sans compter les licences, partout dans le monde», rappelle Jacques Perrier.

D’autres modèles comportent des touches plus exotiques. Un clavier coréen, fabriqué aux Etats-Unis en 1957. Un exemplaire russe, fabriqué aux Etats-Unis en 1932… Et, entre claviers grecs, hindis et arabes, une machine japonaise comprenant 2450 caractères. Plus surprenant, une Erika allemande, datée de 1947, a été fabriquée avec un clavier en hébreu. La visite se termine par un modèle pour enfant en plastique rose de la marque Barbie, commercialisé dans les années 90.

Slam et écriture sauvage

Jacques Perrier vend toujours des machines d’occasion. Pour un exemplaire des années 50, il faut compter 200 à 300 francs. En état de marche, bien sûr. Et 400 à 500 francs pour les modèles plus anciens. En décembre, un couple est venu en acquérir un pour leur fils de 20 ans, en guise de cadeau de Noël.

«Beaucoup de clients veulent écrire de la littérature à la machine. Ils en ont besoin pour le rythme qu’elle implique, pour sa musique, et parce que l’esprit travaille différemment. Les phrases doivent être prêtes, dans la tête, avant de se lancer. Pas question de faire du copier-coller, ni de tout balancer en vrac!»

Jacques Perrier a même réussi à adapter un système américain complexe avec des capteurs, qui permet de connecter une clé USB sur une ancienne machine mécanique. «J’ai fait des démos, ça marche très bien! Mais, pour le moment, je n’en ai pas vendu.»

Ce musée, qu’il finance lui-même et auquel il consacre son temps libre, il aime le faire vivre davantage. Les visites ou des réunions pour les entreprises s’organisent sur rendez-vous. Des concours de dactylo également, si vous souhaitez vous lancer dans ce sport d’agilité et de vitesse. Un groupe de musiciens est déjà venu jouer ici la Typewriter Piece de John Cage (morceau composé pour machines à écrire, bien sûr). Des sessions de lecture ont été mises sur pied par la SLAAM (Société lausannoise des amatrices et amateurs de mots).

Enfin, des ateliers d’écriture sauvage ont lieu ici. «Nous mettons des claviers à disposition et chacun compose ses textes et les lit.» Même Jacques Perrier chatouille le clavier. «Ces ambiances frappadingues m’ont aidé à m’extérioriser. Les mauvaises fréquentations ont du bon!» L’antique mécanique permettrait au cœur de mieux s’épancher… 

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