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Les défis de la haute horlogerie en basse conjoncture

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Jeudi, 12 Janvier, 2017 - 05:54

Décryptage. Le Salon international de la haute horlogerie (SIHH), qui débute le 16  janvier prochain à Genève, doit s’adapter à un environnement économique mondial difficile. Sans pour autant perdre de sa vitalité face au géant et toujours rival Baselworld.

Fabienne Lupo, présidente du Salon international de la haute horlogerie (SIHH), a toujours tenu un discours mesuré, consciente que le luxe authentique ne s’embarrasse pas de superlatifs ostentatoires. Mais cette fois, plus qu’à l’accoutumée, le ton est à la prudence. «Nous sommes devenus plus raisonnables, nous ne rêvons plus à des sommets. Il convient d’offrir des produits à des prix plus accessibles, des collections plus sobres.»

Et pour cause. De janvier à novembre 2015, les exportations horlogères suisses de produits à partir de 3000 francs (8000 francs chez les détaillants) ont chuté de 12% en valeur et de 7% en volume. «C’est le segment de prix le plus touché. Les métaux précieux sont particulièrement concernés par cette baisse», constate Jean-Daniel Pasche, président de la Fédération de l’industrie horlogère suisse (FH).

Dès lors, savoir s’adapter à une conjoncture aussi peu visible que fragile, c’est une nécessité. Les horlogers en ont l’habitude. Ils ont appris à vérifier la pertinence de la pensée du philosophe grec Héraclite: «Rien n’est permanent, sauf le changement.»

Certes, les exposants du prochain SIHH, qui ouvre ses portes lundi 16 janvier à Genève-Palexpo, continueront à présenter des merveilles à des prix déraisonnables pour le commun des mortels. Mais, à l’image de Girard-Perregaux qui, pour la première fois, propose une famille de produits en acier dans un segment de prix entre 7000 et 10 000 francs, ils veilleront davantage à ne pas négliger tous ces nouveaux consommateurs aisés dont les budgets sont cependant limités.

Watches & Wonders entre parenthèses

La prudence se constate par ailleurs dans l’abandon provisoire de Watches & Wonders. Cette édition hongkongaise du SIHH inaugurée en 2013 devait avoir lieu cette année. Elle a été suspendue jusqu’à nouvel ordre. La baisse du yuan et le renforcement du dollar de Hong Kong ainsi que la politique anticorruption menée par Beijing ont dissuadé maints Chinois de faire leurs emplettes dans l’ancienne colonie britannique.

Du coup, le premier débouché des montres suisses a fortement chuté. Avant de prendre cette décision de retrait, les représentants des marques ont largement débattu, les uns estimant qu’une présence de la haute horlogerie helvétique en Asie devait malgré tout s’imposer, les autres faisant prévaloir le coût trop élevé de l’opération en regard des résultats escomptés.

«Nous attendons de voir comment va évoluer le marché hongkongais», déclare Fabienne Lupo. Quant à la perspective d’un nouveau salon à Miami sur le modèle de celui de Hong Kong, elle est aussi remise à des jours meilleurs.

Modération, donc, mais plus que jamais esprit combatif. «On se serre les coudes pour être plus forts ensemble», souligne la présidente du SIHH, avec une sereine détermination. La force vient notamment du nombre. Cette année, le salon accueille 30 exposants, un chiffre record depuis sa création en 1991. Parmi les grandes marques, deux appartenant au groupe Kering ont rejoint le SIHH: Ulysse Nardin et Girard-Perregaux. Cette dernière l’avait quitté en 2012.

Son patron, Antonio Calce (via Sowind Group qui appartient à Kering), justifie ce retour par «l’écrin très luxueux du SIHH qui correspond au positionnement de la marque». Pour le salon genevois, ces deux arrivées font grimper à six le nombre de grandes sociétés ne faisant pas partie du groupe Richemont, représenté quant à lui par onze maisons.

Adoubé par les autres marques

En accueillant par ailleurs cinq nouvelles marques indépendantes dans son Carré des horlogers qui en compte désormais treize, le SIHH cherche sans doute à se détacher de son image de «salon de Cartier et du groupe Richemont» entretenue à souhait depuis plus d’un quart de siècle par les exposants du très grand frère bâlois, le salon mondial de l’horlogerie et de la bijouterie Baselworld, avec ses 1500 exposants.

A la question de savoir si des maisons de haute horlogerie comme Patek Philippe ou Omega, poids lourds de Baselworld, auraient leur place au SIHH, Fabienne Lupo répond que «cela aurait du sens», avant d’ajouter que «si l’on vient dans ce salon, on ne vend pas son âme à Richemont».

Les horlogers indépendants qui rejoignent le SIHH après plusieurs années passées à Baselworld ne craignent pas, quant à eux, d’être happés par le groupe Richemont. Benoît Mintiens, responsable des montres Ressence, apprécie le fait d’être «adoubé par les autres marques» du salon genevois.

N’entre pas qui veut dans le Carré des horlogers. Tout candidat doit satisfaire à une trentaine de critères dans sept domaines d’expertise, de la fabrication à la distribution en passant par l’histoire et l’image de la marque. Si celle-ci récolte une note moyenne supérieure à 6 sur 10, elle est acceptée par le jury composé des 17 principales sociétés formant le comité des exposants.

Plus de 60 horlogers pourraient potentiellement rejoindre le SIHH. Mais cela reste théorique car Palexpo n’est pas extensible à l’infini. «Nous ne sommes pas loin de la limite», reconnaît Fabienne Lupo. Par ailleurs, en prenant trop d’ampleur, le salon perdrait son identité.

«Le SIHH demeure un endroit plus exclusif que Baselworld», relève Peter Speake-Marin, qui a donné son nom à sa marque horlogère; «on ne disparaît pas dans la masse comme à Bâle», ajoute Benoît Mintiens, de Ressence. Quant à Manuel Emch, CEO de RJ-Romain Jerome, il apprécie comme ses collègues le fait que ce salon se tienne en janvier – «ce qui permet de planifier une stratégie pour l’ensemble de l’année» – et qu’il se concentre sur cinq jours au lieu de huit à Baselworld.

Pour la première fois cette année, le SIHH s’ouvre aussi au public, mais seulement le vendredi 20 janvier et sur inscription préalable. «Démocratiser, c’est bien, mais provoquer un flux massif de visiteurs serait une erreur, souligne Antonio Calce de Girard-Perregaux. Le SIHH est un salon de professionnels, on y va pour travailler.»

Avec des maisons aussi prestigieuses que Cartier, Jaeger-LeCoultre, Piaget ou Vacheron Constantin, le SIHH a vocation à devenir la référence de la haute horlogerie. Mais de l’aspiration à la réalité, il y a tout un monde. Jean-Claude Biver, président de la division montres du groupe LVMH, estime que le salon genevois «ne risque pas de devenir le principal salon du haut de gamme».

Et de constater qu’avec seulement Rolex, Omega, Patek Philippe, Breguet, Bulgari et Hublot, «on arrive à Baselworld à plus de 10 milliards de chiffre d’affaires et on dépasse déjà tout le chiffre d’affaires du SIHH de Genève».

Venez à Bâle, venez à Genève!

Logiquement, Baselworld, qui accueille non seulement des marques de toutes les gammes mais aussi des fournisseurs de pierres précieuses, d’outils, d’emballages, etc., ne devrait pas vraiment faire concurrence au SIHH, qui ne rassemble qu’une trentaine de marques horlogères. Les deux salons pourraient même superbement s’ignorer.

Pourtant, François Thiébaud, président de Tissot et du comité des exposants de Baselworld, ainsi que Fabienne Lupo, qui s’apprécient mutuellement, se font des appels révélateurs quand on les y incite. Le premier cité dit à la seconde:

«Venez à Bâle, ville neutre sans implantation horlogère, au carrefour de la France et de l’Allemagne, non loin de Zurich et de Lucerne, et experte dans l’organisation des expositions les plus prestigieuses. Dans les temps difficiles, mieux vaut être ensemble que chacun dans son coin!» Et Fabienne Lupo de lui répondre: «Où nous logeriez-vous à Bâle? Avec nos 45 000 m2 de surface d’exposition, c’est physiquement impossible. Que la haute horlogerie vienne plutôt à Genève, son berceau historique, qui donne le la des dernières tendances!»

L’heure de la fusion des deux salons ne semble donc pas près de sonner. En revanche, leur fonctionnement pourrait bien se voir bouleversé par les changements de comportement des détaillants et des consommateurs finaux, à la faveur des achats en ligne. Ceux-ci, en croissance continue, s’étalent dans le temps et l’espace. Sans pour autant supprimer les rendez-vous physiques des salons, ils leur donneront une nouvelle vocation, encore à découvrir. 

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Fabrice Coffrini / AFP Photo
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