Frédéric Koller
Analyse. Le nouveau président américain veut faire plier la Chine, son principal concurrent. La reconfiguration de la relation entre les deux premières puissances économiques mondiales sera au cœur de la géopolitique de ces prochaines années.
Un peu plus d’un mois après la victoire électorale de Donald Trump, mi-décembre, la marine chinoise interceptait un drone sous-marin américain en mer de Chine du Sud. Alors que la Maison Blanche restait discrète sur l’affaire, le président élu, dans l’un de ses tweets, dénonçait un «vol» qui ne serait pas sans conséquence. Rapidement, Pékin rend l’engin de surveillance en expliquant l’«avoir trouvé» et souligne la qualité des «canaux de communication» entre les deux pays.
L’incident ne devait évidemment rien au hasard. Avant même la prise de pouvoir de Donald Trump, Pékin voulait tester les intentions de la nouvelle administration en train de se mettre en place dans une phase délicate de transition à Washington. Après une certaine stabilité dans les relations bilatérales sous l’ère du président Barack Obama, l’incertitude plane en effet sur l’avenir du plus important couple de la diplomatie mondiale.
«S’il fallait choisir un pays pour la première grande crise de politique étrangère de l’ère Trump, ce serait la Chine», écrivait en début de semaine Ian Bremmer, analyste politique américain et fondateur d’Eurasia Group. Cette crise a failli avoir lieu avant même sa prise de pouvoir le 20 janvier prochain.
Quelques jours après son élection, le magnat de l’immobilier parlait en effet au téléphone avec la présidente de Taïwan, Tsai Ing-wen, un geste calculé pour signifier à Pékin que l’on entrait dans une ère nouvelle. Depuis la reconnaissance de la Chine populaire par les Etats-Unis à la fin des années 1970, aucun président américain n’avait été en contact avec les dirigeants d’une île considérée comme faisant partie du territoire chinois au nom du principe d’«une seule Chine» reconnu par Washington.
Si Donald Trump affiche volontiers sa sympathie pour la Russie et son président, il a, à l’inverse, identifié la Chine comme son principal concurrent. «L’entrée de la Chine à l’OMC a permis le plus grand vol de postes de travail de l’histoire», déclarait-il lors d’un discours en juin dernier.
Le président élu s’est déclaré prêt à utiliser la force pour imposer à la Chine de nouvelles règles du jeu dans les échanges commerciaux, mais aussi pour limiter sa puissance militaire qui menacerait les pays d’Asie de l’Est. La confrontation entre les deux premières économies du monde semble ainsi programmée.
Une question de jours
Une crainte qui ne s’est pas apaisée avec la nomination de la nouvelle équipe gouvernementale. Plusieurs des ministres de Donald Trump sont ouvertement critiques envers la Chine. Son conseiller économique, Peter Navarro, est l’auteur d’un livre qui a inspiré la politique économique du président: La mort par la Chine: comment l’Amérique a perdu sa base industrielle. Et la veille de la victoire de Donald Trump, il a également rédigé un article publié par la revue Foreign Policy, prônant un vaste programme militaire pour contrer les ambitions navales de la Chine.
Après le 20 janvier, ce ne pourrait être qu’une question de jours avant que la confrontation entre les deux pays prenne une tournure très concrète. Le déclencheur pourrait en être un tir de missile nord-coréen, programmé par Pyongyang, un allié de Pékin que Donald Trump promet de remettre au pas.
L’armée chinoise pourrait aussi prendre les devants en provoquant un accrochage en mer de Chine du Sud, comme ce fut le cas début 2001, au lendemain de la victoire de George W. Bush, un président qui lui aussi avait fait de la Chine son ennemi numéro un. C’était avant le 11 septembre.
Le scénario du pire n’est toutefois pas inéluctable. «La Chine est aujourd’hui suffisamment puissante pour faire comprendre à Trump que l’Amérique pourrait le payer cher s’il provoquait Pékin, écrit Ian Bremmer. Le pouvoir chinois est par ailleurs soucieux de maintenir l’ordre actuel. Il est peu probable qu’il s’engage dans une escalade.»
Avant l’élection de Donald Trump, les analystes chinois ne s’inquiétaient pas de l’arrivée à la Maison Blanche d’un homme d’affaires. Le pouvoir chinois comprend bien le langage du business. «La différence avec Trump est qu’il est d’un suprême narcissisme. Il peine à voir le monde comme il est», expliquait toutefois John Micklethwait, rédacteur en chef de Bloomberg News et bon connaisseur des milieux dirigeants chinois.