Laurence Lemaire* Bordeaux
Eclairage. Près de 140 châteaux ont été acquis au cours de ces dernières années par des investisseurs de l’Empire du Milieu. Parmi eux: des milliardaires comme Jak Ma, fondateur d’Alibaba, ou encore l’actrice Zhao Wei.
Les grosses fortunes chinoises raffolent des vins du Bordelais. Et le montrent: l’investisseuse Yingzhi Huang a, par exemple, acquis trois belles propriétés qui ont appartenu à une certaine époque à la famille Lafite-Rothschild. L’actrice Zhao Wei possède aujourd’hui quatre domaines. Et Jack Ma, fondateur et président du géant du commerce en ligne Alibaba, a acheté deux nouveaux châteaux au printemps dernier. Un milliardaire qui siège par ailleurs au conseil de fondation du World Economic Forum aux côtés de Peter Brabeck, président de Nestlé, ou encore de Christine Lagarde, présidente du Fonds monétaire international.
Ces superriches chinois aiment tant cette région française qu’ils ont ainsi repris près de 140 vignobles au cours de ces dernières années. Pour la majorité d’entre eux, Bordeaux représente à lui seul un nom de marque fort, symbolisant le luxe et l’art de vivre à la française. Cette envie de prestige a incité Haiyan Cheng à jeter son dévolu sur le château Latour-Laguens, un petit bijou que la fille du patron du groupe immobilier Longhai International Trading a acheté 2,7 millions d’euros et qui se restaure depuis à hauteur de 1 million d’euros. La propriété, dotée d’un donjon médiéval, dispose de 30 hectares de vignes en appellation bordeaux, pourtant la moins chic.
Peu importe, car ce vin sera vendu à un prix acceptable pour la classe moyenne chinoise. Pour 60% des propriétaires de l’Empire du Milieu, la beauté du château constitue un atout, ils peuvent inviter leurs clients, et l’étiquette de son vin est significative.
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Conserver un savoir-faire
Nombre de propriétaires chinois se montrent intéressés par une amélioration de la qualité. Ils achètent en groupe pour diversifier les appellations, du médoc au saint-émilion, créent des maisons de négoce pour vendre en Chine qualité et quantité. Parmi ces dernières, Cellar Privilège. Une société fondée en 2016 dans le but de commercialiser les vins de quinze châteaux bordelais dans le monde. A sa tête, quatre partenaires: Zhao Wei et ses quatre domaines, dont château Monlot aux huit hectares de vignes en appellation saint-émilion grand cru. L’entrepreneur milliardaire Yuzhu Shi et ses quatre vignobles qui totalisent 70 hectares en appellation fronsac.
L’investisseur Gen-Xiong Li, avec ses propriétés qui se situent en fronsac, canon-fronsac, cadillac et cru bourgeois du médoc. Enfin Jack Ma. Il a acquis le château de Sours, 80 hectares en bordeaux et un rosé reconnu, puis le château Pérenne, 64 hectares en côtes-de-blaye, ainsi que le château Guerry, 19 hectares en côtes-de-bourg. Pour ces deux dernières exploitations, le fondateur d’Alibaba aurait payé près de 12 millions d’euros.
Ces investissements se distinguent encore par un souci de conserver un savoir-faire. Ainsi, de Loudenne (acheté pour 20 millions par l’industriel Huaili Zhong) à Lezongars (acquis pour 4,2 millions par le groupe Dashang), une même évidence: l’équipe française reste la mémoire du château et un assistant bilingue doit être le lien avec le propriétaire, rarement en France.
Pourquoi les Français vendent-ils? Par incapacité financière de racheter ou de reprendre le domaine familial. «Si, demain, un Chinois ou un autre me fait un chèque pour ma propriété, je pars, raconte un vigneron. On est tous vendeurs, ce n’est pas avec le régime actuel qu’on va pouvoir transmettre nos biens. Mes trois enfants et mes dix petits-enfants ne peuvent pas payer les droits de succession, ce n’est pas envisageable. C’est dramatique.» Désormais, ce sont 139 châteaux bordelais qui sont en mains chinoises sur 7400 vignobles, c’est peu. Néanmoins, les recherches de propriétés à la vente ont augmenté depuis les acquisitions de Jack Ma.
L’attractivité de la région remonte au XVIIe siècle, quand les premiers négociants venaient d’Europe du Nord pour s’installer dans la banlieue de Bordeaux, pour y bâtir des châteaux remarquables. Ces vagues d’étrangers dynamisent toujours les terroirs et l’export. Aujourd’hui, les Chinois représentent une énorme force de distribution. Et c’est un atout pour le vin français.
* Laurence Lemaire est l’auteur du livre «Le vin, le rouge, la Chine».