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Mariage, le nouvel âge d'or

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Jeudi, 19 Janvier, 2017 - 05:52

Interview. Les fêtes de mariage deviennent de plus en plus somptueuses et grandiloquentes. Avant l’ouverture, le 20 janvier, du Salon du mariage, à Lausanne, la sociologue
Florence Maillochon analyse la pression sociale qui pèse sur le plus beau jour de la vie.

Les cérémonies et fêtes de mariage sont de plus en plus somptueuses et dispendieuses, même si, paradoxalement, le mariage recule dans les statistiques. En Suisse, entre 1980 et 2011, le nombre de ménages en union libre est passé de 3 à 12%. Quant au divorce, il reste très élevé: en 2015, 16 960 ruptures ont été enregistrées pour 41 437 mariages. Soit près de 40%. A quoi sert le mariage aujourd’hui, et pourquoi fait-il encore rêver certains couples?

La sociologue Florence Maillochon étudie le phénomène depuis plus de quinze ans. Elle publie un passionnant essai, La passion du mariage, après avoir suivi 49 époux pendant et après leur union. Conversation en marge du Salon du mariage et des amoureux de Lausanne, qui se tiendra au Palais de Beaulieu du 20 au 22 janvier.

- Est-ce que nous assistons à un nouvel âge d’or du mariage?

- Le mariage n’est plus le passage obligé pour vivre en couple ou fonder une famille. Mais moins on se marie et plus les personnes qui font ce choix en rajoutent dans la surenchère. Les mariages dont je parle dans mon livre représentent environ un tiers des moins de 35 ans. Ils forment en quelque sorte une poche de résistance.

- A quoi servent ces mariages spectaculaires?

- On essaie de se définir par son mariage. La liste de ses invités, le menu, le lieu choisi, tout contribue à exprimer ses goûts et sa personnalité. La fête de mariage fonctionne un peu comme une marque pour une entreprise. C’est une action de com. On communique sur le fait qu’on est un couple merveilleux, tout en essayant de se différencier des autres.

- Se marie-t-on pour soi ou pour les autres?

- C’est un moment rassembleur pour tous ceux qui viennent le jour de la fête. Mais le choix des invités est une opération de tri très importante. Il réunit les proches, mais il correspond aussi à l’image que l’on veut renvoyer de soi, de ses relations familiales et amicales. Le mariage peut apparaître comme un lieu d’expression narcissique, pour rassembler les autres autour de soi et occuper le devant de la scène. S’il n’est plus sous la coupe de l’autorité religieuse ou familiale, il subit la pression du jugement social. Il doit être exceptionnel et unique. Le mariage est aussi un lieu où s’exposent les richesses, et donc où se creusent les inégalités sociales…

- Vous montrez que l’organisation du mariage repose essentiellement sur les épaules de la femme, l’homme se contentant de donner son accord…

- Désormais, passer un an à organiser sa fête est considéré comme un minimum. C’est une entreprise qui peut se révéler très complexe et chronophage. Le mariage, choisi et pensé conjugalement, est pourtant presque entièrement pris en charge par les femmes. On assiste, chez des jeunes qui ont été élevés dans un idéal d’égalité entre les sexes, au retour à des modèles plus stéréotypés et inégalitaires du partage des tâches. Mais ce n’est pas formulé consciemment.

- Nouveau rituel, la demande en mariage a refait son apparition. L’homme se met à genoux devant sa bien-aimée, parfois en public…

- La demande en mariage est apparue en France au début des années 2000. Elle rétablit une division sexiste de la décision matrimoniale, qui était prise conjointement auparavant. L’homme serait le seul à pouvoir prendre l’initiative de la demande en mariage, même si les futurs époux se sont déjà implicitement mis d’accord sur l’envie de se marier. Très organisée, la demande en mariage doit mimer la spontanéité romantique et apparaître comme une spectaculaire surprise, véhiculant souvent une idée de luxe. Il s’agit d’en mettre plein la vue ou de faire parler de soi grâce au récit de sa mise en scène originale…

- Les enterrements de vie de jeune fille ou de vie de garçon connaissent-ils un boom?

- Ce sont d’autres rituels encore, qui intensifient et prolongent les préparatifs du mariage lui-même. La vie conjugale existe déjà avant le mariage, ces fêtes n’ont donc plus le sens d’adieu à la vie de célibataire. Elles permettent de rassembler des amis du couple qui ne se connaissent pas, pour faire la fête avant la fête de mariage. Les mélanges des invités se feront ainsi plus facilement le jour J. Les préparatifs de ces enterrements sont portés par les témoins ou les amis, mais certains mariés fournissent des cahiers des charges très précis du type de surprise qu’ils souhaitent avoir…

- Beaucoup des femmes que vous avez interrogées évoquent des rêves de princesse. On ne dépassera donc jamais le modèle du conte de fées?

- L’imagerie du mariage romantique, de la princesse et du prince charmant, est omniprésente dans la culture littéraire et cinématographique occidentale, en particulier dans celle destinée aux enfants. A l’heure du développement personnel, on nous enjoint de vivre dans l’instant et de réaliser nos rêves, en particulier ceux de l’enfant que nous avons été. Cette enfance comme source d’émerveillement, de fraîcheur, d’intensité et de liberté, on cherche à la recréer dans la fête du mariage. Ce qui est troublant, c’est que cette culture soit portée par les femmes, et non par les hommes.

- Le mariage, qui représentait le passage à l’âge adulte, serait devenu le moyen de réaliser ses rêves d’enfant?

- Oui. Un détail me vient à l’esprit. Regardez, dans ces fêtes, l’apparition de candy bars, l’invasion de sucres d’orge, de fontaines de chocolat, de bonbons, autant de choses régressives. Cela a une utilité, et pas seulement pour faire plaisir aux enfants invités au mariage! D’ailleurs, je pense que ces douceurs sont destinées aux adultes. Je les ai même observées dans des mariages interdits aux enfants! Réaliser ses rêves d’enfant impose parfois de refuser la présence de vrais enfants, qui font trop de bruit…

- Après le mariage, certains couples connaissent une sorte de dépression. Vers quoi déplacent-ils leurs attentes?

- Des femmes qui se sont beaucoup investies dans leur mariage reportent souvent leur savoir-faire et leur investissement en matière de fête sur les anniversaires de leurs enfants. Mais je pense qu’à l’avenir les anniversaires de mariage, les renouvellements de vœux, seront de plus en plus à la mode. Quitte à réorganiser une cérémonie laïque pour marquer l’événement.

- Dans votre essai, vous n’avez pas interrogé de couples de même sexe. Pourquoi?

- J’ai commencé mon étude dans les années 2000, avant que le mariage gay ne soit mis en place en France. D’après moi, l’attention donnée à la fête, l’exacerbation de la personnalisation et la recherche d’intensité qui se jouent dans les mariages hétéros valent tout autant en ce qui concerne les homos.

- Cette émotion utilise souvent l’anglais pour s’épancher, dans les faire-part notamment. Cherchons-nous à copier les fêtes anglo-saxonnes?

- L’influence américaine est transmise par des films, des séries ou des réseaux comme Instagram. Mais beaucoup d’Américains s’inspirent des modèles français. Je pense au mariage romantique parisien, avec des macarons et des dragées… Ce que l’on a emprunté aux Américains, c’est surtout le côté formel du mariage, de plus en plus minuté. Pas seulement de la cérémonie, mais de la fête qui lui succède. Il y a toujours eu des codes dans les mariages. Mais aujourd’hui on est dans l’exagérément planifié.

- Sommes-nous encore libres, au milieu de tant de contraintes?

- Les personnes que j’ai rencontrées se disent libres, mais subissent une pression incroyable. Pour exister, à l’heure actuelle, en tant qu’individu social, il faut être original, être un battant, réussir dans tous les domaines, se distinguer, se démarquer… Etre l’auteur de sa vie. Cela vaut pour le travail, le sport, etc., mais les contraintes sociales s’exercent aussi dans le domaine privé, dans la conjugalité, la sexualité ou la manière d’élever ses enfants… Ce que je voulais montrer dans mon étude, c’est combien les gens, notamment en se répétant qu’ils sont libres, qu’ils décident par eux-mêmes de leur cérémonie de mariage, s’aliènent. Pour répondre à l’injonction de l’originalité, de l’intensité, ils sont obligés de passer sous un rouleau compresseur, notamment commercial, très contraignant.


À la recherche de «l’effet waouh» pour impressionner

Visite des bureaux de Nocturnologie en Valais, un professionnel du mariage.

Chaque fois que la mariée entre dans l’église, il ne peut s’empêcher de pleurer. Parmi les organisateurs de mariages professionnels, on compte très peu d’hommes. Martin Charles, créateur de l’entreprise Nocturnologie, en Valais, fait donc figure d’exception. Il met sur pied entre 40 et 50 mariages par an, avec le même soin et la même passion. Il sera présent au Salon du mariage et des amoureux de Lausanne. Union au sommet d’une montagne avec voyage en hélicoptère, ou fête manouche dans des roulottes? Il peut (presque) tout arranger.

Les clients l’engagent également pour superviser des demandes en mariage.«Nous avons dû écrire «Marry me» avec des bougies allumées, dans la cour intérieure d’un château. La fiancée a découvert l’inscription au moment où son futur époux lui a ôté le bandeau qui lui masquait les yeux.»

Pour un mariage, en Valais, il faut compter en moyenne entre 30 000 et 50 000 francs, tout compris. Et Martin Charles facture ses services entre 2000 et 3000 francs pour une organisation intégrale. Le jour J, il passe une douzaine d’heures d’affilée avec les mariés, puis s’éclipse au moment de la première danse. Il revient au petit matin pour les nettoyages.

La tendance en Valais, c’est le «champêtre chic», avec des fêtes dans des granges, des bars à bonbons et, pourquoi pas, quelques chèvres en décor. Cette saison, les thèmes Winter Wonderland (Alice au pays des merveilles, version hiver) ou Reine des neiges ont la cote. «On est encore dans une histoire de prince et princesse, et c’est toujours «l’effet waouh» qui est recherché, il s’agit d’impressionner ses invités», commente le spécialiste.

«Le boulot du wedding planner, c’est de tout faire pour que les mariés profitent de leur fête, en étant plus détendus!» Et qu’ils évitent le danger numéro un pour les invités: l’ennui. Les mariages les moins chers, dans le métier, on les surnomme les «bicolores», parce que leur déco de table ne compte «que» deux couleurs. Mais chez Martin Charles, la fête doit être belle pour tous les budgets.

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Kevin Tachman / trunkarchive.com
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