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Les sept revanches de Cristiano Ronaldo

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:51

Ballon d’or.Arrogant, puéril et prétentieux. Mais aussi bosseur, génial et ambitieux: la star portugaise n’a jamais su se faire aimer. Ronaldo est pourtant le meilleur joueur du monde.

Lorsque que son nom fut prononcé, lundi soir, il eut sur le visage un soulagement. Il serra à peine la main de Joseph Blatter, président de la FIFA, en montant sur scène. Il passa derrière lui pour étreindre Pelé. Il serra à peine la main de Michel Platini, à la tête de l’Union des associations européennes de football. Il se pencha pour prendre son fils de 3 ans dans ses bras, né d’une mère demeurée inconnue à laquelle il paya des millions pour disparaître. Et puis il balbutia, et se mit à pleurer ses remerciements.

Cristiano Ronaldo, 28 ans, de nouveau Ballon d’or (il le fut une première fois en 2008, avant quatre années d’hégémonie de Lionel Messi), pleure facilement. De rage, de désespoir, de déception et parfois de bonheur. Ce Ballon d’or, récompensant le meilleur joueur de l’année, était devenu autre chose qu’un trophée à (re)conquérir: un symbole, une obsession presque. Quatre fois, il était resté assis sur sa chaise, à regarder Messi sourire. Il n’en pouvait plus. Il trouvait cela injuste, il se voyait en victime d’un complot international. Il marquait pourtant de plus en plus de buts. Il voulait sa revanche. Il la voulait comme il avait voulu toutes les autres.

La première revanche de Cristiano Ronaldo, c’est de s’être extirpé de là d’où il vient. Quartier de Santo António, à quelques kilomètres du centre de Funchal, île de Madère, Portugal. Pas la misère, non, il ne faut pas exagérer, racontent ses amis. Mais «la classe moyenne basse», autrement dit pas grand-chose. Père jardinier et picoleur, qui aime le foot. Mère cuisinière.

Le gamin commence à jouer pour le tout petit club d’Andorinha, dont son père est l’homme à tout faire. Il apprend en pleurant. Cité par l’excellent magazine spécialisé So Foot, l’un de ses premiers entraîneurs, Pedro Telhinhas, témoigne: «Il ne savait déjà pas perdre. C’est quelque chose qu’il ne supportait pas, que ce soit en match ou à l’entraînement. Quand il perdait, il pleurait.» Et déjà, il le dit alentour: il veut être le champion et rien d’autre. Il quitte Madère.

La deuxième revanche est à Lisbonne. Il a 11 ans quand il y arrive, déjà repéré par le Sporting. Il fait ses classes mais rien n’est simple. Il doit subir une opération au cœur. On se moque de son accent madérois, cela le met dans des colères terribles: il lance une chaise sur l’un de ses professeurs. Sur le terrain, il impressionne de plus en plus. A 17 ans, le 29 septembre 2002, il joue enfin avec les pros du Sporting. Il marque deux buts. Lisbonne est à ses pieds.

Devenir le meilleur. En 2003, il quitte alors Lisbonne, direction le Manchester United d’Alex Ferguson. Quinton Fortune, qui le croisa à l’époque, se souvient: «A 18 ans, il disait à tout le monde qu’il deviendrait le meilleur footballeur du monde. Les autres joueurs de l’équipe le trouvaient plus amusant qu’arrogant. Ryan Giggs lui a dit de ne jamais dire ça en public, car il se mettrait une pression inutile; Ronaldo a rigolé.»

A Manchester, il apprend tout, la dureté, la résistance, la constance. Et aussi à marquer des buts qui ne sont pas tous les plus beaux: jaillir, récupérer, se jeter en avant. Et surtout, il gagne le respect. Parce que le seul secret de Cristiano Ronaldo, c’est qu’il travaille beaucoup plus que les autres. Mike Clegg, l’un des responsables physiques de Manchester United, le dit aussi à So Foot: «Sa vie est dédiée au football. Il avait recruté un chef pour s’assurer de bien manger tout le temps. Chaque jour, il arrivait en avance à l’entraînement. Après l’entraînement, il revenait dans la salle pour travailler encore ses cuisses. Ensuite, il rentrait chez lui, mangeait, faisait une sieste, puis il nageait. Pour récupérer et se développer. Tout ça pendant cinq ans. Il paraît qu’il faut dix mille heures de pratique pour être très bon dans une discipline, que ce soit la peinture, le piano ou le football. Cristiano a largement dépassé ce total. A Manchester, personne ne s’entraînait aussi bien que lui.»

Il fonctionne au défi: dès qu’il voit un joueur réussir un geste qu’il ne sait pas faire, il lui demande de lui montrer. Deux jours plus tard, il le fait mieux et plus vite.

La troisième revanche de Cristiano est une tristesse et un hommage. A son père qu’il adorait, et qui n’eut jamais d’autre ambition pour son fils que de le laisser libre de ses choix. Mais papa aimait trop le vin blanc de Madère et était alcoolique. Son fils lui paiera les plus fantastiques cliniques, au Portugal comme en Angleterre, pour l’aider à s’en sortir. En vain. Son père meurt fin 2005 à 52 ans, à Londres, tumeur au foie due à ses abus. Depuis, Ronaldo ne boit plus une goutte d’alcool, marche au Red Bull dans les soirées. Il s’occupera aussi des addictions à la drogue de son frère Hugo, le nommant ensuite à la tête du musée à sa gloire ouvert désormais à Madère.

Match avec Mourinho. La quatrième revanche de Ronaldo, c’est face à José Mourinho. Ronaldo est arrivé en star (94 millions d’euros, un record) au Real Madrid en 2009, après un premier Ballon d’or l’année précédente. A l’automne 2010, son association avec le nouvel entraîneur, Mourinho, Portugais lui aussi, est supposée magique. Mais les deux hommes ne s’apprécient pas, c’est un euphémisme. Ils se mènent une guerre.

Entre le petit gars de Funchal la pauvre et le seigneur de bonne famille de Setúbal, l’ambiance est électrique, tourne à la quasi-lutte de classes. Mourinho: «Ronaldo est un enfant immature et irrespectueux. Cela vient sans doute d’une enfance difficile lors de laquelle il n’a pas eu la meilleure des éducations.» Il le colle parfois sur le banc des remplaçants. Ils ne se parlent bientôt que par l’entremise de l’adjoint de l’entraîneur.

Mais Ronaldo lutte, tient, résiste, marque encore plus de goals, et dit son désaccord avec la tactique qu’il juge trop défensive. Après l’élimination contre Barcelone en demi-finale de la Ligue des champions, en 2011, les deux hommes manquent d’en venir aux mains. Le Real, cependant, est devenu de plus en plus Ronaldo-dépendant: 60 buts en 2011, 63 en 2012. C’est Mourinho qui craque, et repart pour l’Angleterre.

La cinquième revanche de Ronaldo, c’est Florentino Pérez, l’ombrageux président du Real, qui lui aussi est agacé par sa vedette. Mais il doit plier lorsque, le 16 septembre 2013, après avoir engagé à prix d’or le Gallois Gareth Bale, il signe à Ronaldo un contrat à 21 millions d’euros annuels jusqu’en 2018. Cristiano a un principe logique. Il bosse plus que les autres pour être le meilleur du monde. Alors il a droit au meilleur salaire de la planète football.

Ensuite, il y a Sepp Blatter à aplatir. En octobre 2013, à Oxford, le président suisse de la FIFA se moque stupidement en public de Ronaldo, disant aussi qu’il préfère Messi. Buzz mondial et courroux du joueur, qui y voit la preuve de l’ostracisme dont il est l’objet. Alors oui, ils se sont salués mardi soir à Zurich. Mais Blatter avait l’air très petit, et au bord de faire la gueule, à l’instant du triomphe du Portugais.

La dernière revanche, c’est contre Messi. Ronaldo est un travailleur acharné, on l’a répété à l’envi. Messi est un talent génialement naturel. Ils sont tous les deux extraordinaires, et leur duel à distance est l’un des plus beaux de l’histoire du jeu.

Showman. C’est son tour, cependant, c’est l’année du Portugais. De ses 69 buts en 2013. De ses accélérations géniales à presque 34 kilomètres à l’heure. De ses passements de jambes et de sa puissance. De ses provocations aussi, de son mauvais goût bling-bling siglé CR7, de ses pectoraux publicitaires, du mannequin russe Irina Shayk à son bras. C’est un showman en blanc royal dans un monde de shows. Et il faut l’aimer paradoxalement pour cela: cette incapacité à se faire aimer vraiment des foules, cette solitude étrange de l’idole égocentrique qui se met à pleurer de joie puérile en recevant son Ballon d’or. Mais quel joueur, quel spectacle que Sa Majesté Cristiano Ronaldo.

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Juanjo Martin / Keystone
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