Analyse.Les Etats-Unis devraient apporter un appui à Bachar al-Assad pour faire cesser les combats, préparer les conditions de son départ et opérer une transition démocratique. Une solution que défend un ancien diplomate américain au Moyen-Orient.
Le 22 janvier s’ouvre à Montreux la Conférence de paix sur la Syrie. A ce jour, une trentaine de pays et diverses organisations politiques ont été invités, sauf l’Iran, pourtant puissance régionale et allié indéfectible de la Syrie. Et, sur le terrain, la situation se fait toujours plus confuse: les extrémistes de l’EIIL (Etat islamique en Irak et au Levant) ont menacé de mort les membres de la Coalition de l’opposition syrienne et les combattants de l’Armée syrienne libre. Le but de l’EIIL, une sorte de dissidence d’al-Qaida en Irak, consiste à instaurer un califat islamique dans la région.
Face à l’imbroglio meurtrier qui saigne la Syrie, où l’on ne sait plus guère qui est l’ennemi de qui, l’ancien diplomate américain Gary Grappo propose sa solution, seule à même, selon lui, de pacifier le pays: soutenir le président Bachar al-Assad le temps de faire le ménage.
Gary Grappo
Il existe, en politique, une maxime bien connue: «Un mauvais plan vaut mieux que pas de plan du tout.» Cela a été clairement démontré dans le cas de la Syrie. Dans un article qui donne à réfléchir, Anne Barnard écrivait le 8 novembre dernier dans le New York Times que les Syriens étaient toujours plus nombreux à se réconcilier avec leur président Bachar al-Assad. C’est aussi le cas de membres et ex-membres des groupes d’opposition armés et même de l’Armée syrienne libre (ASL).
On en est là car aucun de leurs soutiens extérieurs, en particulier le gouvernement américain, n’a jamais eu de plan effectif pour renverser le tenace dictateur. Assad et sa coterie d’alliés – la Russie, l’Iran, le Hezbollah et les milices chiites irakiennes – avaient un plan, eux: recourir à tous les moyens, y compris les armes chimiques à l’encontre des non-combattants, pour tenter de bloquer, éventuellement de vaincre, les éléments d’opposition susceptibles de bénéficier du soutien des Etats-Unis et des pays du Golfe.
Terrain pour les extrémistes. Il n’y a pas eu de contre-plan. Et l’incapacité à former une opposition cohérente et unie a signifié l’abandon du champ de bataille et de l’espace politique soit à Assad, soit aux extrémistes. Les professions de foi du genre «Assad doit partir» ou les allusions à une «ligne rouge» évoquent, avec le recul, des disputes de petits caïds de cour d’école. On ne vire pas de cruels dictateurs avec des mots, très rarement par des menaces. Nous avons répondu à la situation par l’indécision et des phrases creuses. L’opposition démocratique syrienne et l’Armée syrienne libre nous ont crus. Pas Assad.
Pris depuis près de trois ans dans la nasse sanglante de leur guerre civile, les Syriens ne supportent plus de voir leur pays se réduire à un champ de bataille pour extrémistes violents, farouchement déterminés à détruire un pays pour y construire un Etat islamique illusoire, un Etat dans lequel les Syriens n’auraient ni liberté politique ni liberté personnelle. Ce serait le retour à une existence primitive du genre de ce que promettent les talibans. A ce point, ils préfèrent Assad, ils le connaissent.
Un chemin vers la démocratie. Du coup, si les Syriens sont prêts à partager leur sort avec le dictateur de Damas, que devraient faire les Etats-Unis et leurs alliés? Les options ne manquent pas. Assad veut de la légitimité, il en a même besoin. D’abord de la part des Syriens, puis de la communauté internationale. Les Etats-Unis peuvent jouer un rôle déterminant pour s’assurer que cette légitimité soit assortie de conditions. En voici quelques-unes.
Premièrement, Assad doit consentir à des élections libres et justes, assistées et surveillées, tant à la présidence qu’au Parlement, dans un délai de deux ou trois ans. Ce délai permettrait à la Syrie de se préparer et d’éviter les erreurs commises en Egypte et en Libye.
Puis, durant la période transitoire, les partis doivent être libres de s’organiser et de faire campagne. Aucun parti prônant la violence ou opposé à la démocratie, aucun groupe tribal, ethnique ou religieux ne serait autorisé à concourir. Les médias seront soumis aux mêmes règles et jouiront de la liberté d’expression. Ensuite, Assad ne devra pas être candidat et ne pourra se représenter qu’au terme d’une période convenue de, disons, dix ans. Avant les élections, les Syriens éliront leurs députés à une assemblée constitutante qui élaborera une nouvelle Constitution soumise au vote du peuple syrien.
Une cour pour juger les crimes graves. Il s’impose que des juristes syriens, choisis avec le blanc-seing international, se penchent sur les comportements criminels tant au sein de l’actuel gouvernement Assad que parmi les groupes d’opposition. Aucun Syrien coupable de crime violent ne pourra aspirer à participer à un futur gouvernement syrien. L’armée et la police syrienne resteront en place mais sous des commandements renouvelés. Le Moukhabarat, la sécurité intérieure et militaire, sera dissous. Les officiers accusés de crimes graves seront destitués avant d’être jugés par des juges syriens. La communauté internationale veillera de près sur le nouveau commandement de l’armée.
Finalement, si toutes ces mesures sont mises en œuvre, la communauté internationale devra songer à lever les sanctions. Une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU confirmant la promesse d’Assad de respecter ces conditions serait le levier lui permettant de gagner cette légitimité qu’il veut à tout prix.
Le nécessaire engagement de la communauté internationale. Il se peut que les Etats-Unis et d’autres membres de la communauté internationale répugnent à s’accommoder de Bachar al-Assad. Mais, pour les Syriens, l’espoir de lui faire prendre la porte est une option qui comporte la certitude d’une violence atroce, de la faim, du désordre et d’une souffrance sans fin qu’ils ne peuvent plus tolérer.
Les Etats-Unis et la communauté internationale doivent s’engager à mettre fin à la guerre civile en Syrie. A la différence de ce que nous avons fait depuis qu’elle a débuté, nous devons désormais confirmer nos paroles par une action vigoureuse et concertée. Nous pouvons le faire. Nous pouvons mettre un terme à la détresse des Syriens. Et nous pouvons répondre à leurs aspirations à la paix, à la stabilité, à la liberté et à la démocratie. Un tel effort commence par un plan immédiatement suivi d’action.
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Traduction et adaptation Gian Pozzy
Gary Grappo
Titulaire d’un diplôme de mathématicien, d’un diplôme de géodésie et d’un MBA effectué à Stanford, Gary Grappo, 64 ans, a notamment été chef de mission adjoint à l’ambassade américaine de Riyad (Arabie saoudite) et ambassadeur à Oman de 2006 à 2009.