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Dis-moi comment tu aimes, je te dirai comment tu gouvernes...

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Jeudi, 16 Janvier, 2014 - 05:55

People et politique.Il y a bien une affaire François Hollande-Julie Gayet: celle d’un président français qui laisse faire les événements, rouler les scooters et courir courtisans, journalistes et conseilleurs. On jurerait du Feydeau.

 

Christophe Passer, avec Isabelle Falconnier et Chantal tauxe

Le début, c’est juste avant, dans le foyer du théâtre à l’ancienne, avant même la pièce. Une coupe de champagne, un verre de vin rouge, ou de l’eau plate trop tiède, c’est selon les goûts et les humeurs aux morosités changeantes comme l’opinion et les sondages. Le public patiente un peu, parlant de tout et de rien. La politique est évoquée, évidemment. Il n’y a pas mieux que le peuple de France pour faire du french bashing à l’encontre de son propre gouvernement.

Une fin d’année 2013 catastrophique. Jusqu’ici, tout va mal, dit la couverture d’un livre qui sort cette semaine. Il y a eu le numéro délirant de l’affaire Leonarda: cette jeune fille interpellée en pleine sortie scolaire et aussitôt expulsée au Kosovo. Une cata de com. Ensuite, la fronde fiscale, et l’écotaxe attaquée à grandes claques molles de bonnets rouges. Et puis ce chômage, dont on n’arrive guère à convaincre qu’il baisse vraiment, batailles de chiffres, querelles de courbes. Et alors Dieudonné, un os à ronger pour Manuel Valls, ministre de l’Intérieur qui adore qu’on le voie faire l’actif et le beau à l’extérieur. Ça compense un peu ce premier ministre gris comme un ministre suisse. Et ce président si normalement décevant. Il fait ce qu’il peut. Flanby un jour, Flanby… Il affecte de tenir la baraque avec calme. Il colmate. Sa Valérie Trierweiler s’est un peu calmée après son tweet freudien de l’été dernier à l’encontre de Ségolène Royal. Valérie a fait un régime pour mieux porter du Dior. Les Français ne l’aiment pas beaucoup, pour autant. Dure. Donneuse de leçons. Agressive. Elle s’essaie à faire sa Bernadette de naguère en allant dans les hôpitaux, en jouant au Noël de l’Elysée avec des enfants, mais rien n’y fait. On en est là. Les personnages sont en place.

 

Acte I
Monsieur chasse!

Créée en 1892 à Paris par Georges Feydeau, lui-même l’enfant d’un adultère (sa mère lui racontait qu’il était le fils de Napoléon III, qui avait ses maîtresses rue du Cirque, on n’invente rien…). Chez Feydeau, il y a presque toujours une indication simple, genre: décor bourgeois. Décor élyséen, pour le coup. Dans Monsieur chasse!, le mari raconte à sa femme qu’il va tirer du gibier. On imagine sans peine François Hollande disant des craques à Valérie: «Ma chère amie, cette présidence, quelle terrible affaire. Je suis éreinté toujours. Je dois partir encore. L’Etat d’abord. Ma maîtresse, c’est la France, qu’y puis-je? A demain.» Madame sort, porte droite de la scène, c’est plus élégant, ça donne du mouvement. Madame a des doutes sur la nature de la chasse, mais ne veut pas y croire.

Scène suivante, même endroit. Hollande est resté là et cause avec son garde du corps. Discussion chuchotée sur la couleur du casque, l’opacité de la visière, la fluidité merveilleusement discrète du scooter dans la circulation. C’est beau une ville la nuit, quand on va rejoindre Julie. Le public rit déjà. Une autre femme, évidemment. Une aventure. Du romanesque qui fait illico passer François Hollande du président normal au président si banal. Car les dirigeants français et les électeurs voient dans l’adultère petit-bourgeois autre chose qu’une faiblesse: une habitude, un attribut de fonction. Félix Faure, forcément, mort dans les bras d’une maîtresse en 1899. Plus près de nous, Giscard se prenait pour un play-boy. Mitterrand faisait dans la bigamie, les mystères vénitiens et la fille naturelle au premier rang des funérailles. Chirac donnait force aux plaisanteries style «Monsieur 10 minutes, douche comprise». Sarkozy affectait l’attitude napoléonienne: désertion de Cécilia, court exil intérieur, conquête et revanche Carla avec une femme-trophée, mariage express puis enfant, en avant toute! Hollande n’est pas Bonaparte, lui. Il croit faire moderne en n’épousant jamais. Avec son garde, ils quittent la scène comme deux étudiants qui vont faire des bêtises.

Scène trois. Feydeau ne se casse pas trop la tête: le décor ne change pratiquement jamais. On voit revenir Valérie, lasse un peu, qui s’affale sur un canapé. Un domestique entre, côté gauche. Il apporte un journal sur un plateau. C’est Closer. Valérie regarde. Elle ouvre grande la bouche effarée pour que les spectateurs du dernier rang voient comme elle fait bien la bafouée. Elle tombe au sol. Le rideau tombe.

 

Acte II
Un fil à la patte

Créée en 1894 par Feydeau. Gros succès à l’époque. Des maîtresses qui sont actrices et des amants dans le placard. Ça virevolte de partout. Des journaux annoncent des mariages, et la maîtresse ne savait rien: vie privée, vie publique, vie cachée, le génie de Feydeau avait déjà tout compris. Dans les rédactions d’aujourd’hui, comme celle de L’Hebdo, mêmes questionnements. Est-ce seulement du people, la révélation d’une liaison? Les chefs d’Etat sont-ils victimes de la transparence, de la vitesse, de l’époque, Facebook et paparazzis? A quel moment leur vie personnelle influe-t-elle sur leur travail de gouvernants? Doit-on toujours s’arrêter, doctrine Pompidou, à l’entrée de la chambre à coucher? La nuance, c’est que ce que l’on racontait sur l’épouse de Pompidou était faux et odieux, mais là? Une majorité de Français dit aujourd’hui ne pas trouver problème aux amours de François Hollande avec l’actrice Julie Gayet: c’est une affaire privée, voilà tout. Pour autant, l’histoire les passionne absolument: Closer a plus que doublé ses ventes.

Retour sur scène. Valérie est au lit, seule et en larmes. Elle passait pour voleuse d’homme auprès de Ségolène Royal, voilà l’arroseuse arrosée. Journaliste qui était – un comble – l’une des seules Parisiennes à ne pas savoir, si l’on en croit l’addition des rumeurs et allusions médiatiques depuis des mois.

Astuce de mise en scène, scène tournante, décor plus bohème, artiste un peu, rue du Cirque, un autre lit, heureux celui-là: Hollande et Julie babillent comme des étourneaux étourdis. Mais ils se demandent surtout quoi faire. Tenir salon, conférence, tout dire? Mais au nom de quoi, de quelle transparence vaguement totalitaire? Hollande aime laisser dire, faire les événements.
Dans la vraie vie, le président aurait tout avoué à Valérie Trier­weiler la veille de la parution du magazine. Mais ça ne change guère les questions: que choisir? Répudier ou pas la concubine officielle? Et comment va-t-elle réagir, après son passage en cure de repos à l’hôpital? Comment éviter que l’affaire n’éclipse les questions sérieuses de la vie des Français et ne finisse par rapidement les agacer?

 

Acte III
Le système Ribadier

Créée par Feydeau en 1892. Une histoire extraordinaire. Pour s’en sortir face à une femme à la jalousie paranoïaque, le mari utilise son don d’hypnotisme afin d’endormir sa légitime pour aller ensuite tranquillement faire ses escapades amoureuses.

Voici donc l’heure venant des possibles dénouements. Hollande en hypnotiseur de la France entière? Pas tout à fait.

Premier dénouement possible: retour à Valérie. Face à la fronde, aux féministes qui crient à la femme bafouée, il s’incline et revient au bercail. Il ne s’excuse pas. Il regrette un peu. Adieu Julie, qui reste chère, mais qui était une «erreur de jugement», une «passade». Hollande demande carrément Valérie Trierweiler en mariage. Evidemment, c’est aussi la solution du malheur, de l’ordre contre le désir, du devoir contre la passion romanesque. Avec un risque de catastrophe si Valérie, cocue traumatisée désormais, lui fait payer cette histoire en privé durant les vingt ans qui viennent. Pauvre François!

Deuxième fin possible: François Hollande choisit, pour une fois. Il veut Julie et répudie Valérie. Enfin l’homme d’action. Enfin l’amour. Las, las, voyez comme en peu d’espace, tout peut changer: Julie Gayet, terriblement échaudée par toute l’affaire, refuse son statut de Pompadour du moment, ne se voit pas une minute en dame du palais et le laisse froidement tomber. Catastrophe encore, Monsieur Hollande se retrouve tout seul, Calimero à l’Elysée.

Troisième piste: il choisit Julie, mais il comprend son époque. Avec Valérie Trierweiler, François Hollande a déjà raté une occasion unique de faire avancer de façon exemplaire l’idée d’un couple d’aujourd’hui en France, débarrassé des obligations maritales et protocolaires. Or, ils n’étaient pas mariés, mais ils faisaient tout comme s’ils étaient mariés. Valérie en première dame avec appartement et cabinet, chauffeur et bonnes œuvres, grands couturiers et position très officielle aux dîners d’Etat. Les ors de la République et la poussière postmonarchique.

Avec Julie Gayet, il peut comprendre, et décider de la laisser en paix, ailleurs dans Paris, vivre sa vie et sa carrière en complice et en femme amoureuse de lui. Elle est belle et enjouée, elle sera à son bras quand elle le voudra, sans caprice aucun, seulement par tendresse, les Français l’adoreraient, la popularité du président prendrait l’ascenseur. Parce que, alors, elle deviendrait autre chose qu’une liaison, qu’une pièce de Feydeau, portes qui claquent, photographes planqués. Et Hollande quitterait enfin ses moues d’éternel étudiant en poussée d’hormones, ou de vieux pas très beau chef d’Etat tombé pour tromperie petite-bourgeoise et compensatoire.

Il y aurait juste un homme et une femme d’aujourd’hui, tombés amoureux, marchant main dans la main dans le Jardin du Luxembourg en sifflotant du Stromae, sans qu’on l’oblige, elle, à surjouer faussement la première dame (lire encadré): elle est trop bonne actrice pour ça. Elle serait plutôt la dernière femme, une bienveillante, belle dansante à son seigneur qui saurait la légèreté de la vie et lui apporterait du courage. Oui, ce serait romantique, et alors? Un président confiant en lui, qui donnerait confiance à son gouvernement et aux Français. Hollande passerait d’un «dis-moi comment tu trompes…», désuète tradition du pouvoir, à un «dis-moi comment tu aimes…» qui illustrerait l’époque qui avance.

Dès lors, people ou politique? Les deux, mon capitaine. La vie privée donnerait naturellement son énergie à la vie publique. Les Français rêvent d’une histoire d’amour. Les foules feraient triomphe à cette pièce-là, parce qu’elle serait enfin moderne. On l’appellerait Julie et François, créée à Paris, en 2014.

 


PROTOCOLE
Ras-le-bol des premières dames

C’est une curieuse nostalgie qui étreint nos républiques modernes. A côté des présidents, il faudrait des présidentes, des premières dames, comme jadis les reines flanquaient les rois. Pour faire joli, pour la touche de glamour, pour humaniser la fonction suprême, pour qu’un peu de rose, de vert, de bleu, de rouge ou de jaune égaie les photos officielles.

Cette vanité héritée des royautés confine au plus haut ridicule, et nous devrions désencombrer nos démocraties de ces prétendues nécessités protocolaires. C’était bien la peine de couper la tête de Marie-Antoinette pour se retrouver avec des Valérie ou des Julie, au gré des foucades amoureuses d’un monarque républicain velléitaire!

Evitons tout malentendu: derrière chaque chef d’Etat, homme ou femme, il est vital et heureux qu’existe un cercle d’intimes d’une loyauté totale, d’une bienveillance infinie, famille et/ou amis, qui soutient de manière inconditionnelle l’élu(e). Mais il n’y a aucune nécessité à leur donner un rôle public.

La Suisse a vécu il y a quelques jours un emballement médiatique pour Friedrun Sabine Burkhalter qui témoigne bien de cette envie contemporaine de pouvoir exhiber ou contempler une «first lady». C’est devenu une question de standing international, semble-t-il: à chaque pays sa réplique de Jackie Kennedy, même si, dans le cas suisse, le pouvoir d’un président de la Confédération est éphémère, et n’a absolument rien à voir dans sa substance avec celui d’un président des Etats-Unis. On tient un «couple présidentiel» pour un an: quelle aubaine! Mais cela va changer quoi, au juste?

Cet engouement un peu niais obéit plus aux lois du people, à une envie de jouer à la poupée avec les puissants qu’à des impératifs institutionnels ou politiques. Il n’y a nul besoin de potiches et de dames patronnesses, pas plus que de pseudo-princes consorts, pour que nos politiques gouvernent (si possible bien). Ceux-ci disposent de staffs de conseillers pour leur prodiguer toutes sortes de recommandations de fond ou de style sur les affaires en cours. Les poètes et les créateurs ont parfois des muses. Les présidents ont surtout besoin de courage et d’esprit de décision.

Le succès de l’Allemagne d’Angela Merkel démontre la vacuité de l’hystérie autour des «first ladies». Tout comme nos présidentes de la Confédération qui ont ringardisé l’habitude protocolaire en affichant peu ou pas du tout leur époux.

Les reines de jadis avaient au moins une fonction cruciale: engendrer un héritier. Nos démocraties ne gagnent rien à mettre en scène les épouses des élus en sympathiques coquettes muettes, sauf à réduire les femmes actuelles à une anachronique insignifiance.

Chantal tauxe

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