Films. Depuis janvier 2013, une commission nationale fixe l’admission dans les cinémas suisses. Problèmes: les âges varient encore d’un canton à l’autre et les exploitants dénoncent les effets négatifs de cette nouvelle pratique.
«Quelles sont les andouilles qui fixent l’âge d’admission au cinéma?» Voilà la question que s’est posée la mère de deux adolescentes romandes de 12 et 14 ans, après avoir vu Les garçons et Guillaume, à table! Age légal: 12 ans. Le problème? Deux scènes de sexe assez crues. En lisant le programme cette semaine-là, les deux jeunes filles auraient préféré voir Tel père, tel fils qui raconte l’échange, à la maternité, de deux bébés entre une famille aisée et une autre plus modeste. Le hic? Le film est réservé aux 16 ans et plus.
La mère est donc allée le voir seule. Violent et truffé de scènes de sexe, cette histoire japonaise qui a reçu le prix du jury à Cannes en 2013? Au contraire: les images ne choqueraient pas un enfant de 6 ans. Alors comment expliquer cette incohérence? Qui sont ceux qui, depuis une année, fixent un âge légal pour les films diffusés dans tous les cinémas suisses?
Röstigraben cinématographique. Soixante-cinq personnes de la Commission nationale du film et de la protection des mineurs s’occupent de cette tâche. L’une d’elles, Umberto Tedeschi, également directeur de la programmation chez Pathé Suisse, explique: «Ce sont des gens de tous bords, de tous âges et de toutes les régions linguistiques. Pour chaque film, trois personnes donnent leur opinion. Mais nous remarquons qu’entre les Alémaniques et les Romands, les résultats sont assez différents. Nous n’avons pas la même sensibilité. Les Alémaniques sont beaucoup moins permissifs. De même, les éducateurs et les enseignants veulent protéger les plus faibles, alors que d’autres veulent tout mettre à 8 ans. C’est parfois le jour et la nuit entre des personnes d’un même canton. Au bout d’un moment, une heure parfois, nous tranchons.» Et le Vaudois de citer les discussions au sujet de Nymphomaniac: certains ont trouvé ce film poétique, d’autres pornographique. «Alors essayez de mettre un âge entre les deux…»
Exceptions cantonales. A ces trois personnes se joint une quatrième pour les cantons de Vaud et de Genève uniquement. Sa mission? Donner un âge recommandé, qui n’est pas le même que l’âge légal. Quant aux exploitants alémaniques, ils ajoutent un âge accompagné à l’âge légal. Un exemple? Pour Les garçons et Guillaume, à table!, en Suisse, l’âge varie de 10 ans (âge accompagné) à 14 ans (âge recommandé), avec des mentions obscures comme 10/12 sur des sites internet comme Cineman. Bonjour la confusion!
Vice-président de la commission nationale, le Vaudois Fabrice Wulliamoz commente: «Les membres alémaniques de la commission estiment qu’un enfant a le droit de voir un film s’il est capable de le comprendre. Il y a vraiment un diktat de la Suisse alémanique qui refuse d’introduire un âge suggéré.» A cela s’ajoute le fait que deux cantons ne suivent pas toujours les directives de cette commission nationale: Zurich et le Tessin.
Frais importants. Du côté des exploitants, la grogne monte depuis l’introduction de cet âge unifié. Parmi eux, Yves Moser, à la tête de Cinérive (Vevey, Montreux, Aigle). «Age conseillé, accompagné et légal: c’est le capharnaüm. J’ai également l’impression que l’on nous prend pour des irresponsables et que l’on veut nous protéger de tout. Aujourd’hui, le sexe passe assez bien, ce sont la drogue, l’alcool et la violence gratuite qui sont les critères importants pour fixer un âge.»
Le Vaudois explique qu’il n’y a pas un jour sans problèmes aux caisses. «Les gens ne comprennent pas que l’on impose un âge.» De l’avis général, cette unification a provoqué une hausse de l’âge légal. Umberto Tedeschi: «Certains adultes qui voient “16 ans” se disent qu’il y a trop de violence et de sexe, donc ils ne viennent pas. Cela fait vite des milliers d’entrées en moins au niveau national.»
Dans les cas où un distributeur – pour des raisons financières – refuse de payer 640 francs pour que la commission nationale visionne l’un de ses films, ce dernier recevra automatiquement la mention «âge légal 16 ans», sans avoir fait l’objet d’aucun jugement. C’est ce qui est arrivé à Tel père, tel fils.