Ecoute.Le bureau des doléances du CHUV s’inscrit dans un mouvement général, explique sa créatrice Béatrice Schaad. Cap sur la réhumanisation de la médecine.
Recueillir les réactions de ses clients est devenu un passage obligé pour tout manager qui se respecte. Mais il y a manière et manière. Quel a été votre modèle pour l’Espace Patients & Proches du CHUV?
L’idée de l’EPP est née le jour où j’ai rencontré le responsable qualité du Massachusetts General Hospital (MGH) de Boston. Sa conviction est que les enquêtes de satisfaction ne suffisent pas à améliorer la qualité de la prise en charge. Sa méthode est à l’opposé d’une démarche standardisée: il choisit un patient au hasard parmi ceux qui sont sortis de l’hôpital. Il lui demande de venir raconter son séjour, accompagné des personnes de son choix, proches ou amis, également touchées par la prise en charge. Il écoute et récolte des données qui n’auraient eu aucune chance de ressortir dans un questionnaire à choix multiples. Grâce à lui, j’ai compris que c’est la liberté du récit qui fait la différence.
Votre manière de faire est pourtant bien différente de celle de l’hôpital bostonien.
Effectivement, puisque nous recevons des personnes qui frappent à notre porte quand elles ont un problème. Mais, comme au MGH, notre priorité est de préserver la liberté de la narration, y compris dans la manière que nous avons de restituer le résultat de notre activité: les tableaux standardisés par types de doléances, c’est bien, mais ça ne dit pas tout. Il y a des expériences, résumables en un mot anodin, qui représentent des drames absolus dans la vie d’une personne. Le pari que nous faisons, c’est de donner la priorité à la subjectivité. On est à l’opposé de l’esprit qui a longtemps dominé dans la médecine. Qu’un hôpital accepte cette démarche est en soi une nouvelle formidable.
Ne nous dites pas que les médecins ont accueilli votre projet les bras ouverts! Leur difficulté à admettre la critique est une doléance des patients.
Bien sûr, il y a eu des inquiétudes. On nous a dit: vous allez donner la parole à des perceptions, pas à des faits. Nous avons mis un grand soin à nous présenter et à expliquer notre démarche dans les différents services. Un an plus tard, je peux dire que le personnel médical a fait preuve à notre égard d’une acceptation et d’une plasticité qui m’émerveillent. Je n’ai reçu aucune critique sur l’EPP, et le dialogue avec les services a déjà permis de régler bien des problèmes.
Les patients souffrent de la déshumanisation des soins, votre travail le montre. La médecine peut-elle se «réhumaniser»?
Elle a misé, ces dernières décennies, sur la haute technicité, et elle a fait des progrès spectaculaires. Mais, aujourd’hui, même aux Etats-Unis qui en sont le haut lieu, on touche aux limites de cette technicité. On prend conscience que la relation entre médecin et malade n’est pas un luxe inutile, qu’elle fait partie intégrante du traitement: un patient compris et entendu guérit mieux et plus vite. La multiplication des espaces de médiation dans les hôpitaux est un indice de cette prise de conscience. Le directeur du CHUV, Pierre-François Leyvraz, est le premier à exprimer cette conviction: l’enjeu d’avenir est de conserver une dimension d’humanité à la médecine.
Dans la formation, cette dimension est négligée…
Il faut revaloriser la dimension relationnelle dans la formation. C’est ce qui s’est passé aux Etats-Unis. Ici aussi, il me semble que, d’année en année, on progresse dans ce sens. Par exemple, les futurs médecins suivent un cours sur la manière d’annoncer un diagnostic. Je suis persuadée que la clé du problème est dans un changement du cursus d’études.
La spécialisation, la technicité, c’est une tendance lourde…
Oui. Mais n’oublions pas les bénéfices que nous tirons de cette évolution. Soyons honnêtes: qui choisirait d’être soigné dans un hôpital d’il y a cinquante ans? Et aussi, gardons-nous d’idéaliser le passé. La relation entre médecin et patient était-elle tellement meilleure que ça, avant?
Béatrice Schaad
Elle a été journaliste et cadre dans plusieurs titres de la presse romande, dont L’Hebdo. Après un master en santé publique à la Harvard School of Public Health, elle est devenue, à son retour de Boston, directrice de la communication du CHUV, où elle a conçu l’Espace Patients & Proches. Elle prépare une thèse sur la communication entre médecin et patient.
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