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Hypnose: êtes-vous un «bon sujet»?

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Jeudi, 30 Janvier, 2014 - 05:51

Transe.Il y a des gens plus hypnotisables que d’autres, affirme le «fascinateur» Messmer, bientôt en spectacle à Genève. Il y a surtout des hypnotiseurs plus aptes à vous captiver, rétorque le psychiatre Eric Bonvin, expert en hypnose médicale. Ses éclaircissements sur un phénomène qui conserve sa part de mystère.

«Vos mains sont de plus en plus serrées, collées, soudées. Je compte jusqu’à trois et vous ne pourrez plus les séparer…» Messmer, le «fascinateur», est à l’œuvre: voix de velours, léger accent de son Québec natal, yeux bleu métal du plus magnétisant effet.

Ça marche et ça ne traîne pas. Les gens tombent comme des mouches, oublient le chiffre 7 ou se mettent à quatre pattes à une vitesse sidérante. Et, pour sûr, ça marchera aussi à Genève, où l’hypnotiseur canadien fait halte le 6 février avec son spectacle en tournée européenne*.

Ça marche et non, il n’y a pas de truc. Les hypnothérapeutes de la famille scientifique en conviennent eux-mêmes, les transes récréatives ne sont pas nécessairement bidon. Simplement, elles visent un autre but que celles qui, depuis quelques années, retrouvent leurs lettres de noblesse dans les hôpitaux.

Née de la médecine, puis marginalisée après l’invention des anesthésiants chimiques, l’hypnose bénéficie en effet d’un regain d’intérêt auprès des soignants. Dans la plupart des hôpitaux suisses, elle est aujourd’hui utilisée, notamment dans les centres de la douleur, de soins palliatifs ou des grands brûlés. Et la formation en hypnose médicale progresse, également pour les professionnels paramédicaux.

Ça marche, mais pas sur tout le monde, explique volontiers Messmer. S’il peut mener son show tambour battant, c’est qu’il s’arrange pour choisir (par exemple avec le tour des mains levées-soudées) les élus qui monteront sur scène: les «bons sujets», plus aptes que les autres à «vivre l’expérience». «Seuls 10% des gens sont très réceptifs à l’hypnose», a-t-il précisé à une journaliste de L’Actualité de Montréal, qui résistait à ses injonctions d’endormissement. Mais alors les autres, les «mauvais sujets»? S’ils sont perdus pour le théâtre, le sont-ils aussi pour le thérapeute désireux de les soulager?

Eric Bonvin fait autorité en Suisse romande dans le domaine de l’hypnose médicale. Formateur prisé, il a intégré l’hypnose dans sa pratique de psychiatre et psychothérapeute. Nous lui avons soumis notre angoissante question. Et sa réponse nous a fait du bien. Ça marche, on vous dit. Mais comment, au fait?

Dans ses spectacles, Messmer choisit, dans le public, les «bons sujets» à faire monter sur scène. En hypnose thérapeutique aussi, il y a les bons clients, et les autres?
Non. Je dirai plutôt qu’il n’y a pas de bons ou de mauvais «clients», seulement des hypnotiseurs plus ou moins capables de s’adapter à eux. Toute personne est hypnotisable à partir du moment où elle est en mesure de focaliser son attention. Mais chacun a sa manière de l’être et toute la difficulté pour le thérapeute consiste à la trouver. Sur scène, Messmer utilise des trucs standards, il n’est pas étonnant que cela ne fonctionne que sur une partie du public.

Qu’y a-t-il de commun entre l’hypnose théâtrale et thérapeutique?
L’hypnose est une expérience par laquelle, en focalisant l’attention d’une personne, on parvient à transformer ce qu’elle ressent. A partir de là, le résultat dépend du contexte et des intentions des partenaires de la rencontre. Dans un théâtre, le but visé est le divertissement. Des centaines de personnes sont réunies pour s’amuser en se laissant impressionner, et celles qui montent sur scène sont d’accord pour s’en remettre complètement aux propositions de l’hypnotiseur, y compris en acceptant de se retrouver dans des situations ridicules. Ça marche parce que les gens sont d’accord de jouer le jeu, dans une atmosphère qui relève de la suggestion collective. L’hypnose médicale, elle, vise le soulagement, dans une rencontre à deux. Elle travaille sur la dimension subjective du ressenti du patient, notamment en cas de douleur.

Comment ça? Si vous me faites mal, j’aurai objectivement mal!
Pas si simple. Prenez les douleurs chroniques. Les analyses médicales arrivent à la conclusion que vous «n’avez rien» et, pourtant, vous avez mal. A l’inverse, dans certaines circonstances, je peux vous transpercer la joue sans que vous
ne sentiez rien. L’hypnose est une invention médicale: au XIXe siècle, alors que l’anesthésie n’existait pas encore, tous les médecins se formaient à cette pratique. Et ce n’est pas un hasard si, actuellement, c’est par les centres de la douleur et des grands brûlés qu’elle regagne de la place dans les hôpitaux: la médecine objectivante bute, avec ces malades, sur le fait que les produits anesthésiants ont des limites. En alliant les produits et le
travail sur la perception, on devient plus efficace.

Mais comment ça marche?
En fait, on ne sait pas grand-chose sur la nature du phénomène lui-même. Il n’y a pas une zone particulière du cerveau concernée ni un «fluide» spécial, comme le croyait Franz-Anton Mesmer: rien de spécifique en somme. On sait seulement que, par la focalisation de l’attention, on peut provoquer un état hypnotique et transformer l’expérience perceptive.

Mais comment fait-on pour détourner l’attention d’un grand brûlé qui crie de douleur quand on lui change son pansement?
On n’essaie pas nécessairement de le distraire; souvent, c’est exactement l’inverse. On l’accompagne dans son expérience, on l’invite à explorer sa sensation, on fait en sorte qu’il se l’approprie pour pouvoir la transformer. Le cliché de l’hypnotisé-marionnette, dominé par une force supérieure, est vraiment très loin de la réalité.

Mais la tactique de la distraction, ça marche aussi?
C’est une autre manière de faire: inviter la personne à porter attention à d’autres choses que celles qu’elle est en train de vivre. Tout dépend de ce qui mobilise son attention, ce qui est important pour elle. Certains patients ont besoin de plonger dans la sensation, d’autres de s’en détacher. Encore une fois, il n’y a pas de procédure standard, toute la difficulté consiste à trouver la manière adaptée.

Se détacher de la sensation en pensant à des choses agréables, par exemple?
Oui. Il existe une vidéo très impressionnante, filmée à l’hôpital universitaire de Liège, d’une opération de la thyroïde. En guise de narcose, le patient évoque, en compagnie de l’anesthésiste-hypnotiseur, sa dernière course en montagne. Quand on voit ce film, on est frappé par la simplicité du procédé – ce n’est que ça! –, mais aussi par l’intensité du travail de l’anesthésiste: son attention ne lâche pas le patient une seconde durant toute l’intervention. Il y a, entre les deux, un climat relationnel de grande qualité. C’est la clé de l’affaire.

Tout de même: si j’ai un esprit très rationnel, ne serai-je pas moins perméable à vos invitations, moins apte à me laisser accompagner en confiance?
Avec une personne très rationnelle, je miserai sur la rationalité. On peut entrer en hypnose par la pensée réflexive. C’est ainsi que Blaise Pascal a fait avancer l’histoire des mathématiques: il expliquait que se plonger dans le travail soulageait ses douleurs. Il avait eu un accident de carrosse et souffrait de violentes migraines. J’ai des patients qui ont besoin de continuer à parler pour focaliser leur attention, d’autres qui ne doivent surtout pas fermer les yeux…

Ah, bon? On ne doit pas nécessairement fermer les yeux?
Non, les yeux qui se ferment, le compte à rebours, toute cette imagerie, il faut commencer par l’oublier. Ce que je dis dans mes formations, c’est: «Observez la personne et adaptez-vous.»

Tout de même, il y a de temps en temps un patient qui vous résiste…
Quand cela arrive, c’est parce que je n’ai pas trouvé la manière de mobiliser son attention. Ou alors c’est qu’il vient me voir avec d’autres intentions que celles d’être soulagé. Par exemple, il veut remonter dans ses souvenirs comme un détective. Je lui réponds qu’il n’a pas frappé à la bonne porte.

L’hypnose ne permet pas de retrouver des souvenirs?
On l’a cru, mais c’est une illusion. On sait aujourd’hui qu’il n’y a pas un lieu dans notre tête où les souvenirs seraient stockés, intacts. La mémoire est instable, elle est seulement l’expérience présente des faits du passé.

Si je peux entrer en hypnose les yeux ouverts, en parlant avec vous, quelle différence avec une bonne conversation entre amis?
Au fond, rien. Comme je disais, l’état hypnotique n’a rien de spécifique. Il arrive que mes patients me disent: «Mais on n’a pas fait d’hypnose.» Je réponds: «Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si vous vous sentez mieux.» C’est le but: redonner de l’importance à la dimension relationnelle du soin, pour mieux soulager.

En somme, l’hypnose est soluble dans la qualité de la relation.
C’est mon expérience. Elle m’a permis de m’ouvrir à la dimension perceptive de mes patients. Si l’hypnose se dissout dans l’attention qui soulage, tant mieux.

* «Messmer, le fascinateur». 6 février, 20 h 30, Théâtre du Léman, Genève.


Eric Bonvin
Né en 1961 à Crans-Montana, le professeur Eric Bonvin, psychiatre et psychothérapeute, est l’un des grands spécialistes romands de l’hypnose médicale. Il a fondé en 2006 l’Institut médical d’hypnose suisse, dispensateur reconnu de formations dans le domaine. Après avoir dirigé les Institutions psychiatriques du Valais romand, il est, depuis 2012, directeur général de l’Hôpital du Valais.

Eric Normandin, alias Messmer
Né en 1971 au Québec, Eric Normandin, alias Messmer, est un homme de spectacle qui pratique l’hypnose sur scène et sur les plateaux TV depuis 1990. Il a emprunté son pseudonyme à Franz-Anton Mesmer, fondateur, au XVIIIe siècle, de la théorie du magnétisme animal. Son spectacle Messmer, le fascinateur sera à Genève le 6 février.

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Wernimont Michel ethnophoto.ch // DR
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