Paparazzi.En publiant «Voyeur», étonnant livre de Mémoires sur une carrière de photographe passée à traquer les célébrités, Rostain dit des vérités, laisse filtrer une intimité et règle quelques comptes. Entretien cigare en bouche, Nikon en main.
Il est légèrement en retard, alors on se balade un peu dans le grand appartement que nous a ouvert sa fille, rue Lincoln, à Paris. C’est un endroit où vécut Daniel Filipacchi, citizen Dan lui-même, l’homme de Salut les Copains et de la réinvention de Paris Match. Deux étages, des piles de livres et de souvenirs un peu partout, photos fameuses, un désordre heureux. Gainsbourg avec Bambou nue, Soljenitsyne au tennis. Ou alors lui, assis dans le fauteuil du président de la République, avec sa copine Carla à ses côtés: oui, c’est Nicolas Sarkozy qui a pris cette photo. «Ah, tu l’as vue, celle-là, merde!» rigole-t-il en arrivant.
Pascal Rostain, 55 ans, plus fameux des paparazzis. L’homme qui a «shooté» Mazarine avec son père et fait découvrir la fille de Mitterrand à la France. L’homme qui, le premier, a surpris Cécilia Sarkozy en train de choisir un appartement avec Richard Attias à New York. Mais aussi Bardot ou Romy, Johnny ou Benoît XVI. Un culot énorme, une attitude de bandit fier de ses blagues. Il cultive une gueule d’ancien ado baroudeur qui aime la fête, tutoiement immédiat, gouaille, cigare perpétuel aux lèvres, téléphone à l’oreille, pantalon rose et Nikon toujours à disposition.
François et Valoche. Il a prêté cet appartement, il y a quelques années. Durant un mois, à un couple encore secret qui ne savait pas où aller cacher ses amours: il s’agissait de Valérie Trierweiler (qu’il côtoya beaucoup à Match) et de François Hollande, qui était encore le compagnon de Ségolène Royal, alors candidate à la présidentielle. «Au bout d’un mois, mon ex-femme revient, elle m’appelle au téléphone: “Pascal, on a été cambriolés.”» Il explique. «Tu n’imagines pas le bordel qu’ils avaient laissé, même pour un type comme moi, qui n’est pas précisément ordonné. La vaisselle d’un mois entier dans l’évier, les draps de bain par terre, la couette n’importe où…» Une fois le couple devenu officiel, il a raconté cette histoire partout. Et Valérie lui fait la gueule. «Pourquoi? Je ne suis pas fréquentable? Alors fallait pas venir dormir ici. Ou bien, ça leur rappelle une période de leur vie pas très facile.»
Il publie un livre inhabituel, Voyeur, volume de Mémoires et anecdotes dont seules quelques-unes étaient déjà connues. D’autres livres, une BD, des expositions, les interviews: Rostain adore raconter. Mais ce qui étonne avec Voyeur, c’est le ton, une gouaille et une façon de se livrer: «J’ai vraiment raconté ça moi-même, avec mes mots. Je souhaitais me livrer plus. Après avoir passé tellement de temps à voler un peu l’intimité des autres, il semblait légitime et amusant que je m’y mette aussi.»
Aucune photo, dans son livre, mais des aventures. Traques cocasses derrière Mitterrand, le prince Albert, Orson Welles ou… Yasser Arafat. Une charge aussi, parfois, contre les collègues de la «presse sérieuse», qui savent tout mais ne révèlent rien. «C’est chronique d’une mort annoncée. Quand tu vois comme ils sont dirigés par des communicants et des marketeurs, ils s’étonnent d’aller dans le mur.» Il a donné dans le reportage pur et dur, en Afrique, au Moyen-Orient, réussissant quelques coups. «J’ai fréquenté les “nobles” journalistes. Et je ne suis pas sûr que ce soit plus digne de photographier un petit Rwandais en train de mourir de faim, ou un Tchétchène coupé en rondelles, sans demander d’autorisation, que de shooter Deneuve ou Adjani à Saint-
Tropez.» Le people l’a toujours rattrapé.
Nostalgie. Rostain conserve pourtant le sentiment d’une très belle carrière, notes de frais no limit, presque un âge d’or: «Dans les années 70, on faisait partie de l’environnement des célébrités. C’était d’une élégance folle et incroyable, magnifiée en plus par le noir et blanc. Il n’y avait pas d’agressivité. Alors oui, quand je vois les héroïnes de la téléréalité montrer leurs seins, ou les joueurs de foot à trois neurones, j’ai de la nostalgie.»
On parle un peu de Julie Gayet. Le photographe de Closer est un pote à lui. Et lui aussi connaissait l’adresse de la rue du Cirque. «C’est ambigu et schizophrène. Mais je les connaissais, et je n’ai pas voulu me mettre dessus. Au printemps dernier, je suis même passé voir Hollande à l’Elysée. Je lui ai dit: “Je ne veux même pas demander si c’est vrai ou faux. Mais si moi je sais, c’est que ça va sortir…”» Il sera interrompu par Valérie Trierweiler venant l’engueuler.
Aujourd’hui, il rêve plutôt d’un cliché avec Julie et François ensemble. «Oui, il fallait faire cette image, et la publier. Mais on voit quoi? Un Daft Punk sur une mobylette. Autrefois, nous racontions des histoires d’amour, un peu avant qu’elles ne deviennent officielles. Aujourd’hui, on est plus dans le constat d’adultère.» Il doit s’en aller, discuter de prochaines expositions. Fin février, le Centre Pompidou de Metz consacrera une exposition aux paparazzis. Il a aussi un projet avec la Maison européenne de la photo, à Paris. «Je suis à un quart d’heure du musée», dit-il en partant. C’est ça: Rostain est déjà un classique.
«Voyeur». De Pascal Rostain. Grasset, 236 p.