100 jours.Jean-Frédéric Jauslin, nouvel ambassadeur helvète auprès de l’Unesco, joue sur les qualités de médiation reconnues à la Suisse, au sein d’une institution en crise.
Le mardi 3 septembre dernier, un jour après avoir pris ses fonctions à Paris, Jean-Frédéric Jauslin se rendait à son premier rendez-vous de nouveau diplomate: une réunion du Comité politique de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Le nouvel ambassadeur suisse auprès de l’Unesco est en effet aussi le représentant de Berne à l’OIF. La Suisse assure une des vice-présidences de ce comité. Or, ce mardi-là, ni le président ni l’autre vice-président ne sont présents. «On m’a demandé de présider la séance qui commençait cinq minutes plus tard, devant des dizaines de délégués. Une assemblée qui devait durer trois heures et dont je connaissais seulement l’ordre du jour. J’ai pris une grande inspiration et je me suis dit qu’au moins, comme ça, les présentations seraient faites. Ça s’est bien passé.»
Le Neuchâtelois Jean-Frédéric Jauslin, depuis cent jours en fonction, apparaît aussi joyeux que motivé à l’heure de partager un moment au sommet de l’immeuble de l’Unesco, avec vue sur les sculptures de Moore ou Calder. Il a découvert dans ce grand et élégant bâtiment des années 50 un lieu où les enjeux sont loin d’être négligeables, et la parole suisse très écoutée.
Poste supprimé. Ce poste à Paris devait pourtant être supprimé, avant qu’Alain Berset et Didier Burkhalter ne ressentent la piqûre d’un gros doute: était-ce vraiment le bon timing pour diminuer la présence suisse dans de pareils sérails? Surtout – on est à la fin de l’hiver dernier – les deux ministres voient une solution avec Jauslin. L’homme n’est pas issu des rangs habituels de la diplomatie. Mathématicien de formation, il est passé par la Bibliothèque nationale avant de diriger l’Office fédéral de la culture durant huit ans. Il a déjà travaillé avec l’Unesco et l’OIF.
Il accepte le défi. «Je crois que le multilatéralisme est plutôt une valeur en hausse, à Berne», sourit-il. Et à l’Unesco, la Suisse, membre depuis 1949, a une belle carte à jouer. Car l’institution, fondée juste à la sortie de la Seconde Guerre mondiale, est en crise grave. En 2011, l’accueil de la Palestine (107 voix pour, 14 contre et 52 abstentions) a eu comme conséquence le gel des contributions israélienne et surtout américaine. Or, l’argent de Washington représente 22% du budget de l’institution, environ 150 millions de dollars sur 650. «L’Unesco se retrouve contrainte à une sorte de double comptabilité. Un budget qui tient compte de la contribution américaine, qui demeure due. Mais aussi, parallèlement, une sorte de décompte des dépenses, qui se base sur la réalité de l’argent à disposition.» S’ils ne s’acquittent pas de leur dette, les Etats-Unis et Israël pourraient-ils être exclus? «Rien n’est vraiment prévu dans les statuts pour cela.»
Exposition suspendue. Surtout, ce n’est guère le but. Cela tendrait encore les rapports dans cette Unesco rattrapée rudement par la politique. «C’est ennuyeux, explique l’ambassadeur. Car l’Unesco était précisément depuis sa fondation un lieu moins directement politisé. On y mettait en avant l’éducation, la culture, la science.» Mais, désormais, l’institution est peu à peu prise en otage par le conflit israélo-palestinien.
La dernière bataille en date a eu lieu la semaine dernière. Quelques jours avant son inauguration, l’exposition Les gens, le Livre, la Terre: la relation de 3500 ans du peuple juif avec la Terre sainte, proposée à l’Unesco et parrainée notamment par le Centre Simon-Wiesenthal, a été «suspendue» par un simple communiqué d’Irina Bokova, la directrice générale. La responsable de l’agence onusienne cédait, après la lettre de 22 pays arabes se disant préoccupés par le «possible impact négatif» de l’exposition sur «le processus de paix et les négociations en cours au Proche-Orient».
Pareille affaire est inédite. Le Département d’Etat américain s’est dit «profondément déçu». Robert Wistrich, professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem, l’un des concepteurs de l’événement, a parlé d’«insulte à l’ensemble du peuple juif». Evidemment, dans l’autre camp, certains remarquent aussi que l’exposition suspendue pouvait apparaître comme une réponse ambiguë d’Israël à l’entrée de la Palestine au sein de l’Unesco. Les passions sont donc à leur comble. Plusieurs résolutions hostiles à Israël avaient déjà été votées l’automne dernier et l’on n’est pas près, semble-t-il, de revoir l’argent des Américains.
Ce d’autant que la directrice Irina Bokova marche elle-même un peu sur des œufs. Elle avait été élue de très peu en 2009, face au favori égyptien Farouk Hosni, rattrapé à l’époque par des propos aux relents lourdement antisémites. En 2013, sa réélection s’est passée plus facilement, mais l’équilibre du rapport de force à l’Unesco demeure précaire.
Alors, la Suisse peut-elle ressortir son expérience et son petit missel des bons offices? «Certainement, poursuit Jauslin. La réputation de notre pays reste formidable au sein de ces organisations. On reconnaît à notre pays un haut degré de démocratie, un art du compromis, celui aussi de la parole loyale, et du respect des minorités. Evidemment que tout cela a du sens dans pareilles circonstances.»
Elu par acclamation. Jean-Frédéric Jauslin vient d’ailleurs de le constater encore. Jeudi dernier, il a été élu par acclamation pour prendre la présidence du Groupe de réflexion sur la répartition des sièges au Comité du patrimoine mondial (CPM). «S’il y a 195 pays membres à l’Unesco, seuls 21 ont un siège dans cette importante instance.» Avec quel tournus, quelle répartition géographique? Cela fait l’objet d’âpres négociations où le rôle fédérateur de la Suisse est encore une fois mis en avant.
Jauslin est nommé à Paris pour quatre ans. Les chantiers ne manquent pas afin de multiplier les contacts et d’asseoir la présence de la Confédération. Il doit présenter bientôt une liste d’objectifs à Berne. Et verrait par exemple en 2015 une bonne occasion pour la Suisse de réintégrer le Comité exécutif de l’Unesco. «La Suisse n’y est plus depuis six ans», regrette-t-il. Et devant les tensions rudes qui attendent l’Unesco, il aimerait que la Suisse soit plus qu’une voix: un partenaire utile.