Autriche.A 27 ans, Sebastian Kurz est le plus jeune ministre des Affaires étrangères d’Europe. Il n’a pas terminé ses études et n’a aucune expérience de la fonction.
Jonathan Stock
D’un goût douteux, sa vidéo de campagne restera dans les annales. Sebastian Kurz y dit: «Le noir est sexy.» (Le noir est la couleur de l’ÖVP, le Parti conservateur autrichien dont il préside l’organisation de jeunesse, ndlr.) La vidéo le montre sortant d’un 4x4 Hummer de 3 tonnes, son «Sexy-Mobile». Une blonde en mini-short noir se vautre sur le capot. La caméra zoome sur les seins d’une candidate, des jeunes femmes sourient. Et c’est tout pour le message électoral. Puis on verra encore Sebastian Kurz distribuer des préservatifs. Quelques mois plus tard, à la surprise générale, Sebastian Kurz est nommé secrétaire d’Etat à l’Intégration. «C’est du foutage de gueule», écrivent alors les journaux.
L’âge, pas un handicap. C’était il y a plus de deux ans et demi. Depuis le 16 décembre dernier, Sebastian Kurz est ministre autrichien des Affaires étrangères. Il dirige 1200 collaborateurs et gagne plus de 16 000 euros par mois. Il est censé décider de questions telles que les intrusions de la NSA, la conduite à adopter en Syrie et l’éventuelle adhésion de la Turquie à l’UE. Il n’a aucune expérience diplomatique et n’a jamais dirigé un ministère. Il a 27 ans.
Sebastian Kurz reçoit au premier étage du ministère. «Monsieur le ministre…» dit le photographe. «Sebastian, ça ira très bien», coupe le jeune homme qui passe pour courtois et modeste. Il a fait son premier voyage officiel en Croatie à bord d’Austrian Airlines, en classe économique, et habite toujours son petit appartement d’un quartier ouvrier de Vienne.
Le ministre Kurz raconte que, récemment, Ban Ki-moon l’a appelé; qu’il a aussi eu un entretien avec le ministre des Affaires étrangères israélien Avigdor Lieberman; qu’il entend rencontrer le secrétaire général de l’ONU lors de la conférence de l’OSCE; qu’il verra ensuite son homologue allemand Frank-Walter Steinmeier à Berlin, qui assure que «l’âge n’est pas un handicap. Je crois que dans le cercle des ministres européens, il est bon d’avoir un regard plus jeune.»
«Il faut être réaliste, admet Sebastian Kurz. L’Autriche n’est pas une grande puissance.» Et la fonction? «Un immense défi.» Il a l’intention d’écouter ceux qui, dans son ministère, en savent plus que lui.
Ces erreurs à corriger. Même ses contempteurs le décrivent comme doué et désireux d’apprendre. Le fait est qu’après la vidéo de la «Sexy-Mobile», il ne s’est plus autorisé d’erreur. Secrétaire d’Etat à l’Intégration, il a soutenu les enfants et les jeunes, renforcé l’aide à l’apprentissage de la langue pour la petite enfance et appuyé le regroupement familial.
Il a soigneusement contourné les questions épineuses de l’asile mais a obtenu ce que l’on n’aurait guère cru possible en Autriche avant lui: un débat concret sur l’immigration. Si, au début, sa cote était misérable, il est désormais un des politiciens les plus populaires du pays. C’est peut-être précisément pour ses talents de touche-à-tout que Michael Spindelegger, leader de l’ÖVP et vice-chancelier, l’a proposé à ce poste. Car la grande coalition qui préside aux destinées de l’Autriche sort des plus mauvais résultats électoraux de l’histoire. Elle a besoin de succès, de popularité.
La politique étrangère de ces dernières années passait pour inexistante. La délégation autrichienne avait même réussi à arriver un jour en retard aux obsèques de Nelson Mandela. Et Vienne avait accueilli avec les honneurs militaires le contesté président ukrainien Viktor Ianoukovitch le jour même où Kiev rejetait l’accord d’association avec l’Union européenne.
Sebastian Kurz s’efforce désormais de corriger les erreurs.
© Der Spiegel
Traduction et adaptation Gian Pozzy