France.Le ministre français de l’Economie et des Finances s’explique sur les réformes économiques annoncées par le président François Hollande, témoigne de son amitié pour son homologue allemand Wolfgang Schäuble et juge injustes les critiques adressées à son pays.
Propos recueillis par Britta Sandberg ET Mathieu von Rohr
Ce jour-là, Pierre Moscovici, 56 ans, revient d’un entretien avec François Hollande portant sur les mesures de réforme et s’apprête à partir pour le Forum économique mondial de Davos. Le ministre passait jusqu’ici pour un réformateur incapable de faire valoir ses idées. Mais depuis la conférence de presse très remarquée du président le 14 janvier, où il a annoncé son intention de réduire les dépenses et les coûts salariaux indirects, c’est Pierre Moscovici qui fait figure de vainqueur.
Monsieur le ministre, expliquez-nous la différence entre un socialiste et un social-démocrate.
Un social-démocrate accepte de vraies réformes. Il parie sur le dialogue social et les compromis. Mais il fait quand même partie de la famille socialiste parce qu’il vise l’égalité et la justice.
Dans son programme de réformes, François Hollande s’est décrit pour la première fois comme social-démocrate, ce qui a été perçu comme une sorte de coming out. Pourquoi cela suscite-t-il tant d’intérêt?
Tout pays entend préserver ses traditions, son identité. Si, en Allemagne, un ministre du SPD se disait tout à coup socialiste, ce serait un peu comme s’il revenait sur le programme historique de Bad Godesberg (ndlr: le programme adopté au congrès de Bad Godesberg a servi de bible au SPD jusqu’en 1989, excluant notamment les idées d’inspiration marxiste et reconnaissant l’économie de marché. Pour l’essentiel, il sous-tend toujours la politique du SPD). En France, nous avons une tradition socialiste. Et si nous nous revendiquons maintenant de la social-démocratie, c’est que nous reconnaissons l’importance des réformes et du partenariat social. Ce ne sont pas que des mots, c’est une détermination politique et idéologique.
Vous vous êtes toujours décrit comme social-démocrate. Avez-vous retourné le président?
Je connais François Hollande depuis trente ans, quand nous enseignions l’économie à Sciences-po. Il a toujours été un réformateur, un Européen et un social-démocrate. Mais, c’est vrai, il est utile de désigner les choses par leur nom. Il l’a fait, il est fidèle à ses convictions.
Est-ce à dire que la France devient un peu plus allemande? Et l’Allemagne, avec sa grande coalition, un peu plus française?
Il n’y a pas de modèle allemand pour la France ni de modèle français pour l’Allemagne. Mais nous pouvons nous inspirer mutuellement sur bien des sujets. Nous avons par exemple un besoin urgent de réformes structurelles. L’Allemagne, de son côté, devrait stimuler sa demande intérieure.
La grande coalition entend le faire par le biais du salaire minimum.
Nous pouvons nous faire des propositions réciproques sans nous forcer à quoi que ce soit. Il est utile que nous nous voyions régulièrement pour dialoguer. Je reçois ces jours (ndlr: lundi 27 janvier) le ministre allemand des Finances Wolfgang Schäuble et, pour la première fois, son collègue à l’Economie Sigmar Gabriel pour le Conseil économique et financier franco-allemand. Et je pense que Gabriel aura dans sa fonction plus de poids que son prédécesseur Philipp Rösler.
Il y a eu des divergences entre Angela Merkel et François Hollande. Quels sont vos rapports avec Wolfgang Schäuble?
Je le vois peut-être plus souvent que la plupart de mes collègues du gouvernement. Je suis vraiment lié d’amitié avec lui, bien qu’il dise qu’en tant que Français il ne voterait pas pour mon parti. Et c’est pareil pour moi. Nous nous comprenons parce que nous partageons les mêmes convictions européennes. Il m’a soutenu quand, à Bruxelles, j’ai demandé un délai pour mettre de l’ordre dans notre déficit.
La confiance a régné dès le début?
Entre Schäuble et moi, le déclic a été immédiat. Lors de ma première visite à Berlin, nous avons eu un tête-à-tête de trois quarts d’heure. Je lui ai dit: primo, il nous faut un fil direct; secundo, ce nouveau gouvernement français est européen et veut des réformes. Nous avons échangé nos numéros de mobile et nous nous sommes tutoyés.
Après des débuts difficiles, va-t-on vers des rapports plus cléments entre la France et l’Allemagne?
Oui et non. Nous nous sommes toujours bien entendus mais cela pourrait aller encore mieux. Peut-être pourrons-nous réaliser davantage avec le nouveau gouvernement allemand maintenant que la zone euro est stabilisée. Il nous faut réfléchir à la manière de renforcer la croissance européenne et de concrétiser le compromis franco-allemand de décembre sur l’union bancaire.
Le président du Parlement européen, Martin Schulz, veut laisser échouer l’union bancaire car elle est inaboutie.
Nous avons un accord des ministres européens des Finances qui a été négocié point par point. Il est possible de l’améliorer au gré du Parlement, du Conseil et de la Commission, mais le Parlement doit savoir qu’il ne peut tout simplement envoyer valser un tel accord. Il peut être adapté mais doit être mis en œuvre.
Pendant la crise de l’euro, on a beaucoup taxé l’Allemagne d’égoïsme, y compris en France.
Il y a, en Allemagne, des soucis que je peux comprendre. Je n’appelle pas cela de l’égoïsme. Je comprends que les Allemands veuillent protéger leurs finances publiques et les avoirs de leurs citoyens. Mais ils doivent reconnaître que des instruments de mutualisation courageux sont aussi dans leur intérêt. Car plus les partenaires seront forts, plus l’Allemagne sera forte.
Vous vous défendez comme un lion contre les critiques venues de l’étranger, vous les jugez injustes.
Je ne suis pas un «Monsieur Tout-va-Bien», je connais les problèmes de notre économie. Mais elle reste forte, nous sommes toujours la cinquième économie mondiale. Je me défends quand on nous décrit comme un pays en déclin, une nation paralysée qui ne se réforme pas.
Pourquoi les réformes de François Hollande et le changement de cap ne viennent-ils que maintenant?
Mais il n’y a pas de changement de cap! Nous poursuivons notre politique. Simplement, nous le faisons désormais de façon plus rapide et plus résolue.
Si ce n’est pas un tournant, pourquoi l’opposition applaudit-elle, pourquoi des gens de gauche vous reprochent-ils une politique de droite. Le Prix Nobel d’économie Paul Krugman pense qu’avec vos réductions budgétaires vous êtes sortis du droit chemin.
Paul Krugman nous a longtemps soutenus et je crois qu’il continuera de reconnaître nos efforts à l’avenir. A droite, où on aimerait souvent nous voir échouer, nous sommes toujours critiqués. Mais d’autres, à l’instar des anciens premiers ministres Alain Juppé et Jean-Pierre Raffarin, voient que nous agissons dans l’intérêt du pays.
A mi-2012, vous avez dit vous-même vouloir réduire les coûts salariaux indirects. Mais François Hollande n’avait pas réagi.
En politique, il y a des moments où l’on peut ou non concrétiser des projets. Il est facile de demander aujourd’hui pourquoi telle chose n’a pas été réalisée en 2012, ou par nos prédécesseurs en 2010 ou 2005. Nous avons perdu de la compétitivité depuis dix ans. Pour compenser cette perte, nous devons désormais agir.
Quelles mesures concrètes suivront les annonces?
D’abord, nous économisons de manière résolue sur les dépenses publiques. En cinq ans, nous épargnerons 75 milliards d’euros et nous diminuerons la part des dépenses de l’Etat au PIB des 57% actuels à 53%. Ensuite, nous réduisons les coûts salariaux indirects pour les entreprises plus fortement que jamais auparavant. Troisièmement, nous réformons la fiscalité des entreprises afin de créer des emplois et de favoriser l’investissement. Pour finir, nous supprimons une quantité de dispositions qui compliquent la vie des entreprises.
Craignez-vous ces manifestations de masse dont les Français sont coutumiers?
On sous-estime souvent à quel point les Français sont conscients que des changements sont nécessaires. Tout dépend de la façon de s’y prendre: nous avons par exemple réalisé une réforme des retraites et il n’y a presque pas eu de protestations.
Notamment parce que bien des experts jugent votre réforme des retraites maigrichonne.
Ce n’est pas vrai! Ces vingt derniers mois, nous avons engagé plus de réformes que nos prédécesseurs. Sur le marché du travail, notamment, et sur la formation. Les syndicats et les employeurs les ont approuvées, ce qui est nouveau en France.
Votre programme de réformes ne risque-t-il pas d’apporter des voix au Front national aux élections européennes, vu qu’elles renforcent l’impression que tout est de la faute de l’Europe?
Je connais les gens qui votent pour le Front national. Pourquoi le font-ils? Parce que leur peur est que notre pays régresse, que notre industrie automobile tombe en ruine, que les emplois s’évaporent. Remettre l’économie en ordre de marche est notre meilleure réponse à ce parti.
© Der Spiegel
Traduction et adaptation GianPozzy
RELATIONS
Suisse-France: les sujets qui fâchent
Pierre Moscovici est attendu le 6 mars à Berne par la conseillère fédérale Eveline Widmer-Schlumpf. Une dizaine de dossiers font partie du contentieux, dont un au moins a créé un véritable tumulte au sein de l’opinion publique et du Parlement: la nouvelle convention de double imposition en matière de successions. Ce texte prévoit que les héritiers domiciliés en France d’un résident suisse soient taxés par la France sur l’ensemble de la succession. Balayée en décembre par le Conseil national et au menu des Etats à la session de mars, la convention risque de sombrer. Si c’est le cas, la France résilierait l’accord de 1952. Ce qui créerait en matière de successions un vide juridique néfaste aux résidents suisses. Car, pour Pierre Moscovici, «c’est cet accord ou pas d’accord» (à noter que 180 000 Suisses sont domiciliés en France).
De l’acceptation ou du rejet de cette convention litigieuse dépendent d’autres dossiers chauds, parmi lesquels l’échange automatique d’informations en matière fiscale, les forfaits fiscaux dont bénéficient en Suisse les riches Français s’ils n’y exercent pas d’activité lucrative et le régime fiscal de l’aéroport de Bâle-Mulhouse. Sans parler du serpent de mer de l’imposition des frontaliers.
Pierre Moscovici
Né en 1957 à Paris, diplômé en sciences économiques, en philosophie, en études politiques et de l’ENA, Pierre Moscovici a été ministre des Affaires européennes sous le gouvernement Lionel Jospin de 1997 à 2002 et député du Doubs. Directeur de campagne de François Hollande lors de la campagne présidentielle de 2012, il est devenu ministre de l’Economie et des Finances. Il partage depuis six ans la vie de Marie-Charline Pacquot, une jeune doctorante en philosophie de trente ans sa cadette.