Raoul Weil.Ancien chef de la gestion de fortune offshore chez UBS, il maintient qu’il n’était pas au courant du schéma d’évasion fiscale mis en place par la banque. Les preuves à son encontre paraissent pourtant accablantes. La justice tranchera en octobre.
Raoul Weil tient bon. L’ex-homme fort d’UBS continue de clamer son innocence. Chef de l’offshore banking auprès de la grande banque helvétique entre 2002 et 2007, puis CEO de la gestion de fortune globale, il affirme qu’il ne savait rien de l’ambitieux programme d’évasion fiscale mis en place par son ex-employeur et exécuté par une soixantaine de banquiers sous ses ordres.
Arrêté fin octobre en Italie avant d’être extradé aux Etats-Unis, il a plaidé non coupable début janvier devant un tribunal de Floride. «Raoul Weil maintient depuis le début de l’investigation qu’il n’a jamais rien fait de mal, relève son avocat Aaron Marcu. Il se réjouit du procès: cela lui donnera l’occasion de démontrer que les charges à son encontre sont sans fondement et de laver son honneur.» Prévu initialement à la mi-février, le procès débutera le 14 octobre.
Quatre millions de documents. Mais qu’en est-il réellement? Raoul Weil était-il au courant du gigantesque schéma d’évasion fiscale mis en place par UBS? Les Américains en sont convaincus. Ils ont produit 4,13 millions de pages de documents pour l’établir. «Le Département de la justice ne se lance dans ce genre de procès que lorsqu’il est sûr à 90% de l’emporter, commente Martin Press, un avocat de Floride qui a défendu de nombreux ex-clients d’UBS. Les preuves contre Raoul Weil sont très solides.»
Cette gigantesque masse d’informations provient de trois sources. Premièrement, les enquêteurs américains se sont appuyés sur les témoignages de Renzo Gadola, Christos Bagios et Martin Lack, trois ex-collègues et subordonnés de Raoul Weil. Ils ont collaboré avec la justice américaine en échange d’une réduction de peine.
Mark Daly, procureur chargé de l’affaire, l’a confirmé lors d’une audience préliminaire tenue le 16 décembre dernier, dont L’Hebdo a pu se procurer une retranscription. Le gouvernement pourra aussi solliciter les témoins qui lui avaient permis d’obtenir la capitulation d’UBS en 2009 et le paiement d’une amende de 780 millions de dollars, a-t-il précisé. Il s’agit notamment de l’ex-banquier Bradley Birkenfeld et de son supérieur Martin Liechti.
La deuxième source d’informations est la banque elle-même. Dans le cadre de l’accord conclu en 2009, elle a dû livrer des milliers de pages sur son fonctionnement interne et ses employés. Enfin, le Département de la justice a exploité les renseignements très précis récoltés auprès des 40 000 fraudeurs américains qui se sont autodénoncés auprès du fisc ces dernières années.
Mis bout à bout, ces documents font émerger l’image d’un homme qui tirait les ficelles dans l’ombre.
«Raoul Weil se trouvait à la tête d’une conspiration pyramidale», a dit Mark Daly lors de l’audience préliminaire. Sous ses ordres directs se trouvaient des «managers», dont Martin Liechti. Ces derniers géraient des «chefs de bureau» basés à Zurich, Genève et Lugano, eux-mêmes responsables d’une soixantaine de «banquiers». En tant que chef de cette fusée à trois étages, Raoul Weil avait le pouvoir «d’autoriser, d’encourager et d’étendre» le programme de gestion de fortune offshore de la clientèle américaine, souligne son acte d’inculpation.
En septembre 2002, il a par exemple décidé de ne pas prendre de mesures, à la suite d’un audit interne qui relevait des «déficiences» dans le respect par la banque de ses obligations de rapporter et de taxer à la source les avoirs de citoyens américains. Il avait pourtant été averti 17 mois plus tôt des velléités américaines de lutte contre l’évasion fiscale. Dans un e-mail daté du 2 mai 2001, un banquier du bureau zurichois, Gian Rossetti, prévenait ses supérieurs – dont Raoul Weil – qu’il avait eu connaissance d’une opération «undercover» du fisc américain en Suisse pour vérifier si les banques suisses acceptaient toujours des fonds non déclarés en provenance des Etats-Unis.
Rien n’y fait. Alerté une nouvelle fois en août 2006 par Martin Liechti et un autre manager des risques pour la banque de continuer à accepter de l’argent illégal, il a de nouveau décidé de ne rien faire. Il pensait que renoncer à l’off-shore américain serait trop coûteux et causerait un dégât d’image à la banque, précise son acte d’inculpation.
Pis, en avril 2005, Raoul Weil continuait à exiger de ses subordonnés qu’ils accroissent ce segment. «Il avait mis en place des incitations financières pour récompenser les chefs de bureau et les banquiers» qui y parvenaient, spécifie l’acte d’accusation. Les plus méritants se verraient même décerner une montre de luxe Breitling «customisée avec le logo d’UBS», selon une communication de Martin Liechti.
Il a fallu attendre fin 2007 pour que Raoul Weil prenne l’initiative de mettre un terme à ce qui avait pris, selon ses propres dires, l’apparence d’un «déchet toxique». Dans un mémo interne «strictement confidentiel» daté du 15 novembre 2007, il annonce à ses collaborateurs que les nouveaux comptes de citoyens américains ne pourront à l’avenir être ouverts qu’au sein des unités de la banque autorisées à prospecter sur sol américain et dont les fonds sont déclarés. Des instructions accompagnant ce mémo précisent que si le client refuse de transférer son compte dans l’une de ces unités, son banquier ne pourra «plus voyager hors de Suisse pour le rencontrer» et qu’UBS ne pourra communiquer avec lui que lorsqu’il ne se trouve pas aux Etats-Unis.
Peter Kurer et Marcel Rohner. Mais les documents aux mains de la justice américaine ne se contentent pas de décrire comment Raoul Weil a orchestré de loin le schéma d’évasion fiscale de sa banque. Ils montrent aussi qu’il a mis les mains dans le cambouis. «Le Département de la justice possède la preuve qu’il a été en contact direct avec certains clients, notamment lors de leurs visites en Suisse», note un avocat qui a eu accès au dossier dressé par l’accusation. «J’ai au moins un client qui m’a dit avoir été en relation avec Raoul Weil au sujet des montants – considérables – qu’il maintenait chez UBS», relève de son côté un avocat de Chicago qui a défendu quelque 275 détenteurs d’avoirs non déclarés. «Les dossiers des clients les plus importants nécessitaient toujours son approbation, confirme Stephen Kohn, l’avocat de Bradley Birkenfeld. Cela faisait partie des procédures standard internes à la banque.»
Au vu du poids de ces preuves, la plupart des bons connaisseurs du dossier pensent que Raoul Weil finira par plaider coupable et collaborer avec la justice américaine. Il pourrait alors lui livrer des informations sur l’implication de ses supérieurs; elle semble s’intéresser tout particulièrement à l’ex-juriste en chef de la banque Peter Kurer. L’acte d’inculpation de Raoul Weil le mentionne de façon à peine voilée en évoquant «des coconspirateurs situés au plus haut niveau de la hiérarchie chez UBS» chargés de «superviser les affaires légales» de la banque.
Les enquêteurs pourraient aussi s’intéresser à Marcel Rohner, le prédécesseur de Raoul Weil à la tête de la gestion de fortune globale (jusqu’en 2007), devenu par la suite CEO de la banque. Son nom apparaît à au moins deux reprises, en 2001 et 2002, parmi les destinataires d’e-mails ou de lettres internes à la banque qui évoquent le programme offshore d’UBS aux Etats-Unis.
Implacable. Raoul Weil a jusqu’au 14 octobre pour changer d’avis et plaider coupable. Mais même dans ce cas-là, il n’est pas sûr qu’il échappe entièrement à la prison. Sa peine sera en effet fixée en prenant en compte à la fois le maximum prévu pour ce genre de délit (5 ans) et le montant du dommage causé (20 milliards de dollars).
Or, l’accusation ne va pas lui faire de cadeau. Mark Daly a fait remarquer le 16 décembre dernier que, sans cette limite de cinq ans, le Département de la justice aurait requis 240 mois (20 ans) de prison à son encontre!