Publicité.Réputée avant-gardiste, la luxueuse maison Prada présente une campagne incarnant l’«optimisme agressif». Au risque de toucher à ses propres limites.
Elle trouve les pantalons si inconfortables qu’elle ne porte que des jupes. Elle est comme ça, Miuccia Prada: radicale. Et quand la styliste milanaise dessine des vêtements pour sa maison éponyme, elle les façonne à son image: sobre, chic et décalée. Avec toujours ce pas d’avance sur les tendances, cet instinct avant-gardiste. Et populaire. Chaque saison, «la Prada» réussit ce tour de force: faire de son anticonformisme une mode, que s’arrachent (à prix d’or) les fashion-addicts mondialisés. Tous adulent Miuccia, cette ex-soixante-huitarde communiste et docteure ès sciences politiques. Cette indécrottable féministe qui a toujours rêvé de changer le monde. A l’évidence, ses morceaux de tissus ont un parfum d’idéologie.
Pour ce printemps, celle que les journalistes italiens surnomment l’Impératrice propose aux femmes un nouveau concept intello-vestimentaire: «l’optimisme agressif». Cette mystérieuse notion apparaît sur prada.com, en accompagnement de la dernière campagne publicitaire de la marque. Et, comme on s’en doute, cela n’a rien à voir avec le marxisme-léninisme.
Battantes. Les règles pour devenir une optimiste agressive sont simples. 1) Porter des couleurs criardes. Tout l’arc-en-ciel. Des robes, des jupes, des manteaux en vison rasé, où des soutiens-gorges en trompe-l’œil côtoient des visages d’héroïnes fifties. 2) Piquer des détails aux footballeurs. Sandales à bout en caoutchouc, bords-côtes tricolores et jambières en laine rayées. Très moches, les jambières. Car, comme dirait Miuccia, «la laideur est séduisante». Et puis, il reste les sacs à main en croco pour compenser. 3) Faire la moue. Comme les égéries de la pub Prada: on creuse les joues et on fait son regard glaçant. Surtout, pas de sourire.
Pas ouvertement sexy, l’optimiste agressive poursuit un but: s’imposer face aux hommes. Lors de son défilé printemps-été 2014, l’Impératrice déclarait même vouloir «aider les femmes à lutter». Grâce à son look excentrique, la femme Prada parvient à se faire remarquer, à combattre les inégalités avec audace. C’est cela, l’optimisme agressif: croire mordicus que demain sera meilleur qu’aujourd’hui, sans se soucier du qu’en-dira-t-on. Une valeur sociétale à la hausse car, comme l’explique Henri Balladur, directeur de l’antenne genevoise de l’agence publicitaire Havas Worldwide, «les gens réalisent qu’il vaut mieux compter sur soi-même plutôt que d’attendre des bonnes actions de sa communauté». Tout de même: transposé au domaine du luxe, le terme d’optimisme «agressif» ne serait-il pas un peu… agressif? «C’est fait pour choquer, sinon c’est de l’eau tiède.»
Souriez! Question: pour s’imposer, faut-il tirer la gueule? A en croire la pub Prada, la réponse est oui. «Peut-être que la marque souhaite ainsi rester inaccessible», avance Henri Balladur. En 2014, le pouvoir serait donc toujours réservé aux garces. Exit l’optimisme décomplexé. Miuccia, papesse du luxe avant-gardiste, aurait-elle pris un coup de vieux? Quelle déception. «Cette publicité reste plus “punchy” et intrigante que celles de ses concurrents, qui se contentent souvent d’une seule égérie sur la photo», estime Henri Balladur.
Nombreuses, les mannequins Prada n’en sont pas moins statiques. Limite ennuyeuses. «Cette marque n’a pas besoin de dire grand-chose pour exister, déplore Jan Van Mol, fondateur du think tank créatif Addict Lab. Elle se contente de mettre ses produits en évidence sans raconter d’histoire.» Bon, sur son site, Prada propose une vidéo où les mannequins sautillent, dansent. Et sourient. Mais comment savoir que ce minifilm existe? Pourquoi nous as-tu abandonnées, Miuccia?