Funeste.Décembre, janvier et mars sont les mois qui comptabilisent le plus de morts selon les chiffres de l’Office fédéral de la statistique. Enquête et explications.
Les premières primevères fleurissent dans les jardins et des parfums de printemps flottent dans l’air. Mais attention: ceux qui pensent que les pires mois de l’année sont passés se trompent. Mars est en effet le troisième mois qui comptabilise le plus de morts, après janvier et décembre.
Selon les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS) – disponibles de 1969 à 2012 – janvier détient 25 fois la première place – avec un record de 7748 morts en 1990 – 9 fois la deuxième et 10 fois la troisième. Décembre occupe 10 fois le premier rang, 19 fois le deuxième et 6 fois le troisième. Quant à mars, il prend 7 fois la première place, 11 fois la deuxième et 19 fois la troisième place. Février et novembre essaient de faire la course, mais font pâle figure. Pas de doute: sous ses airs printaniers, mars est bien le dernier mois de tous les dangers.
Air froid tueur. Cheffe des Pompes funèbres de Lausanne, Chantal Montandon n’est pas étonnée par ces chiffres. Cette ancienne infirmière constate un regain de travail lors des mois d’hiver. «J’observe également l’influence de la pression atmosphérique: les gens meurent plus facilement lors des dépressions. Un jour de beau temps suivi par un jour de mauvais temps augmente le nombre de décès.» Pourquoi le mois de mars est-il dans le trio de tête? «La montée de sève arrive, les gens se relâchent, se disant "Ah j’arrive au printemps" et la mort survient.»
De fait, comme le confirme Fred Paccaud, directeur de l’Institut universitaire de médecine sociale et préventive à Lausanne, «le phénomène est bien connu en santé publique». Il existe en moyenne une différence de 20% entre le pic de mortalité hivernal et le creux du mois d’août. Il constate que la saisonnalité est faible autour de l’équateur. «Elle augmente au fur et à mesure que l’on s’en éloigne. Les composantes essentielles sont les maladies cardiovasculaires, probablement via une vasoconstriction, une hypertension artérielle et une accélération du rythme cardiaque.»
La qualité de l’habitat est aussi un élément majeur dans la protection contre le froid. Coauteur d’une étude sur la variation des décès et des hospitalisations selon les saisons, le jour de la semaine et l’heure de la journée*, le professeur vaudois évoque encore d’autres facteurs comme la pollution aux particules fines qui a «un impact assez important sur les maladies cardiorespiratoires», une moindre exposition au soleil (elle permet la fabrication de la vitamine D importante pour les fonctions cardiaques), la grippe qui débouche sur des complications, mais également les allergies aux acariens et aux produits divers auxquelles les personnes sont plus exposées, car elles séjournent plus fréquemment entre quatre murs.
Autres mystères. Certes, toutes ces explications scientifiques sont convaincantes. Mais quel est le rôle de l’âme dans tout ça? Infirmière, psychothérapeute et chroniqueuse bien connue, Rosette Poletti a son idée sur la question. «Cette mortalité hivernale est liée à quelque chose de très profond, au rythme des saisons, à la météorologie, à des choses impalpables. Nous sommes bien plus en phase avec le cycle de la nature que nous ne voulons bien l’imaginer.»
Pasteur vaudois, Serge Molla, lui, en est persuadé: «La vie est en lien avec les fonctions vitales, mais ce qui nous tient en vie ce sont les relations. En fin d’année, lors des grands rassemblements, les gens qui sont seuls ressentent encore plus leur solitude. Et le corps lâche plus vite lorsque l’on se sent mal.» Mais pourquoi le mois de mars, juste à l’entrée du printemps? «Après l’hiver, on arrive en fin de course…»
A la tête de sa propre entreprise de pompes funèbres depuis vingt-quatre ans, Bernard Monbaron est bien placé pour constater ces variations: comme les autres années, il a travaillé non-stop en décembre et janvier. Mais une autre interrogation le laisse perplexe. Lui qui lit les annonces mortuaires au quotidien observe très souvent des séries de décès dans une même région et rien dans une autre. Avec humour il commente: «C’est comme si une soucoupe volante attendait ses passagers au-dessus d’un même territoire…»
*«Switzerland: Variation in Death and Hospitalization Across Seasons, Day of the Week and Hour of the Day. International Journal of Cardiology, 2013.»