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Génération 9/2: jusqu’où ira-t-elle?

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Jeudi, 27 Février, 2014 - 06:00

Mobilisation. Les réseaux sociaux ont révélé l’ampleur du désarroi des jeunes, soudain menacés d’être privés d’Erasmus. Ils font émerger une nouvelle génération qui s’essaie à l’action politique, sur les traces de celle née le 7 décembre 1992.

Sou’al Hemma berne

Le 20 février 2014. Palais fédéral, Berne. A l’heure des derniers rayons de soleil, une dizaine de jeunes s’installent à la terrasse de Chez Edy. Réunis autour d’une cause commune: la défense des accords Erasmus+ et Horizon 2020. Dont la Suisse a été exclue le 16 février 2014. Ils se préparent. Répètent leur texte. Débattent. Génération Y oblige, ces «digital natives» ont d’abord squatté les réseaux sociaux pour exprimer leur désarroi face au vote serré du 9 février «contre l’immigration de masse» et ses conséquences funestes sur la mobilité estudiantine et l’avenir de la recherche. Mais rien ne vaut une manifestation, une vraie, sur la place Fédérale. La Toile virtuelle n’est pas que bonne à partager l’indignation, elle sert aussi à rameuter les troupes concrètement.

Iván Ordás Criado est le président de la Fédération des étudiants de Neuchâtel (FEN). C’est lui le fer de lance de l’enterrement symbolique d’Erasme, prévu ce soir-là.

Ce binational suisso-espagnol de 26 ans regrette que la Suisse ait raté le coche en 1992. Mais il n’est pas là pour parler du passé. «Traditionnellement, la FEN a toujours été areligieuse et apolitique. Même si ce dernier trait de caractère s’estompe avec les années, nous sommes ici aujourd’hui pour donner un visage au monde académique.»

Après le deuil, l’engagement. Alice Genoud a 22 ans. Elle préside les Jeunes Verts vaudois et veut porter le débat au-delà des intérêts menacés dans l’immédiat. «La plupart de nos membres sont des étudiants. Mais nos objectifs dépassent la récupération des accords Erasmus et de recherche.» Quant à Maxime Mellina, 22 ans lui aussi, il est le représentant de l’Union des étudiants suisses (UNES). Il refuse de se positionner politiquement. «L’UNES est apartisane. Elle ne veut pas être transformée en pion, prise en otage par la politique. Tout ce que nous visons, c’est le bien de la recherche.»

18 heures sonnent. La discussion sur la nature, la couleur ou la durée de leur engagement reprendra plus tard. L’heure est au happening: le comité d’organisation installe le cercueil d’Erasme. Face à lui, quelque trois cents étudiants, romands pour la plupart, venus le rejoindre pour réveiller la population. Montrer l’urgence du besoin de réanimer Erasmus. Et assister à la pièce que la FEN a concoctée. Une pièce qui se joue en trois actes. La mise en terre d’Erasme, d’abord. «Erasme avait 20 ans. Il est mort. Cet humaniste qui a permis à tant de jeunes de découvrir le monde n’est plus.» Surgit ensuite un étudiant révolté. «Engagez-vous! Engagez-vous! Ne baissez pas les bras!» Enfin, Erasme ressuscite. Les cris fusent. Les applaudissements résonnent. Et la voix d’Iván Ordás Criado reprend: «Engagez-vous! Auprès d’une association d’étudiants. Ou dans n’importe quelle structure. D’une manière ou d’une autre, participez aux décisions.»

Cet appel suffira-t-il à mobiliser les jeunes et à éclaircir l’horizon post-9 février? Dans la foule, la conseillère nationale Cesla Amarelle (PS/VD), seule politicienne «adulte» rencontrée sur la place, le reconnaît. «Ce n’est pas la ferveur d’alors.» Alors? C’était le 7 décembre 1992. Au lendemain du vote négatif sur l’Espace économique européen, lorsque s’était constitué un vaste mouvement de jeunes dans toute la Suisse, qui récolta ensuite 100 000 signatures pour revoter sur l’EEE. Démarche louée, avant d’être sacrifiée par un Parlement passé à d’autres considérations stratégico-diplomatiques.

Quoi qu’il en soit, le Mouvement né le 7 décembre fut un révélateur de talents: certains sont devenus conseillers d’Etat,  comme Pierre-Yves Maillard (lire en page 18), d’autres ont fait de belles carrières dans l’ombre, tel Damien Cottier, actuel conseiller personnel de Didier Burkhalter, d’autres encore ont disparu des radars médiatiques.

Mais ce qui marqua les esprits, ce fut la mobilisation d’une génération qui voulait prendre son destin en main, toutes tendances partisanes confondues.

Cesla Amarelle se souvient de la ferveur et de l’agitation qui suivirent le «dimanche noir», selon l’expression de Jean-Pascal Delamuraz qui la dédia d’ailleurs aux jeunes «privés d’avenir». Le lundi 7 décembre, ce fut aussi Suzette Sandoz, professeure en droit à l’Université de Lausanne et politicienne libérale en campagne contre l’EEE, se retrouvant dans l’impossibilité de donner son cours. «Les portes claquaient ce jour-là, raconte l’ancienne étudiante devenue professeure et parlementaire à son tour. L’un après l’autre, nous sommes sortis de sa classe en fermant la porte d’un coup sec. Le lendemain, je m’engageais en politique.»

C’est incontestable, en ce 20 février sur la place Fédérale, ils étaient loin des rassemblements mythiques de l’après-­­6 décembre 1992, dont leurs aînés leur rabattent les oreilles depuis quelques jours. Peu importe. A la lueur des bougies,  la foule, joyeuse, affiche sa fierté d’être là, d’avoir réussi son coup. Il est 20 heures, elle se disperse. D’aucuns vont prolonger le débat autour d’une chope,  d’autres dans le wagon deuxième classe les ramenant chez eux.

Certains sont sceptiques sur leur capacité à influencer le dossier. Aucun ne veut, cependant, s’avouer vaincu. Les candidatures Erasmus ont été déposées à temps, et les universités répètent qu’un budget octroyé par la Confédération leur permettrait sans doute de convaincre quelques universités étrangères de collaborer pour les semestres à venir. Foin d’états d’âme, le travail de fond continue.

Ilias Panchard, président des Jeunes Verts suisses, reçoit soudain un appel. Le Comité des jeunes pour la Suisse, qui regroupe les sections jeunes des libéraux-radicaux, démocrates-chrétiens, socialistes, lui propose de rallier son parti à LA cause. Et de secouer la classe politique en lançant une nouvelle initiative. Ilias Panchard promet de réfléchir. Les choses bougent dans le bon sens, mais, dans l’immédiat, il a un autre défi à relever: une nouvelle manifestation «Pour une Suisse solidaire et ouverte» est prévue à Berne le 1er mars. Une occasion supplémentaire de voir si l’indignation monte en puissance. Ou pas.

Collaboration Chantal Tauxe


Collective
«Nous devons nous rassembler et lutter pour une Suisse prospère et ouverte»

Nadège Salzmann, 27 ans.
Enseignante de latin et français.
Elle a été choquée par le résultat du 9 février. Elle s’attendait à ce que le score du oui soit élevé. Mais pas à ce qu’il l’emporte. Elle, Nadège Salzmann, présidente des Jeunes libéraux-radicaux, a alors suivi la proposition de son collègue de parti, Matthias Lanzoni, et participé à la création du Comité des jeunes pour la Suisse. Dont le but n’est pas de revoter. Mais d’instaurer des mesures d’accompagnement tout en garantissant la libre circulation. L’appel, lancé le 20 février, n’a pas tardé à convaincre. Les Jeunes Verts, d’abord. Quelques sections alémaniques et romandes des JPDC, JLR et JS, ensuite. Puis des associations d’étudiants. Et enfin, de manière plus surprenante, les JLR tessinois. «Le comité est ouvert à tous, politisés ou apolitiques.»
Une ouverture qui garde toutefois ses limites. «Je soutiens les bilatérales, mais ne serais pas pour une adhésion de la Suisse à l’Union européenne.» Heureusement, Nadège Salzmann est de nature optimiste. «Un jour, l’Europe ira mieux. Et, à ce moment-là, la Suisse ne restera pas un îlot perdu au milieu des autres.»

Engagé
«Etre politisé, c’est bien. Mobiliser les autres, c’est encore mieux»

Ilias Panchard, 22 ans.
Coprésident des Jeunes Verts suisses.
Ilias Panchard est sur tous les fronts. Politique. Bénévole. Associatif. Avant-hier, il récoltait des habits pour les victimes du conflit syrien et fondait une ONG au Népal. Hier, il lançait l’idée de la toute récente Association pour la promotion de l’engagement civique. Aujourd’hui, il participe à l’organisation de la manifestation Pour une Suisse ouverte et solidaire, prévue le 1er mars prochain à Berne. Et demain?«Au niveau du parti, nous préparons notre lutte contre Ecopop ainsi que le percement d’un deuxième tunnel routier au Gothard. Quant à moi, j’envisage de m’engager plus clairement sur la question des relations Suisse-Europe.» Oiseau rare de sa génération, Ilias Panchard soutiendrait une éventuelle adhésion de la Suisse à l’Union européenne. Mais reconnaît qu’il faut du courage pour affirmer une telle position. «C’est un sujet tabou que seul celui qui ne cherche pas à tout prix à être réélu peut se permettre de défendre.»
 

Rassembleur
«Je veux donner la voix aux 49,7%»

Jérémie Fonjallaz, 26 ans.
En formation au Centre d’études européennes de Fribourg.
Nous sommes les 49,7%, ce groupe Facebook créé le 11 février dernier, c’est lui. Jérémie Fonjallaz, 26 ans, veut agir. Mobiliser. Réunir. Informer. Et surtout éviter que ceux qui ont voté non ne baissent la garde. Car le 9 février lui a servi de leçon. «Je ne pensais pas qu’autant de personnes ignoraient les conséquences liées à l’adoption de l’initiative UDC et voteraient oui.» Jérémie Fonjallaz est membre des Jeunes socialistes depuis dix ans. Mais tient à ce que sa page ne soit reliée à aucun parti. «Je veux toucher un public large et rassembler des personnes de tout horizon.» Nous sommes les 49,7% lutte pour ne pas détruire ce que Nés le 7 décembre 1992 – comité créé au lendemain du vote négatif sur l’Espace économique européen – s’est battu pour construire. Fervent défenseur de l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne, le jeune homme se prend parfois à rêver qu’il n’y ait d’autre solution que le mariage Suisse-Europe. «Mais la période que l’on vivrait entre une fin éventuelle des bilatérales et l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne serait terrible. Et cela je ne le souhaite pas.»

Indignée
«S’affilier à un parti, je le ferai si cela devient indispensable»

Sonia Pernet, 27 ans.
Doctorante en anglais
à l’Université de Lausanne.
Sonia Pernet a vécu une année à Londres, et connaît les échanges académiques. Révoltée par l’exclusion de la Suisse des accords Erasmus + et Horizon 2020, la doctorante refuse de subir les résultats du 9 février et se dit prête à lutter. Mais ne sait pas comment. «J’ai écrit à plusieurs politiciens – dont j’attends encore la réponse –, car je suis persuadée qu’il y a une force à puiser dans la collaboration interpartis.» Dans l’intervalle, elle a pris contact avec le Comité des jeunes pour la Suisse. Elle les rencontrera prochainement. Pourtant, Sonia Pernet n’est pas politisée. Et se dit contre l’affiliation à un parti. Mais, si cela devenait indispensable, elle donnerait sa voix à gauche plutôt qu’à droite. Excepté sur un point. «Je pense, “comme” l’UDC, que l’adhésion de la Suisse à l’Union européenne risquerait de nuire à notre économie. Mais, je le reconnais, cela serait certainement moins grave que la situation dans laquelle nous nous trouvons actuellement.»

 

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Charly Rappo
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