Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Les dollars de Moscou

$
0
0
Jeudi, 6 Mars, 2014 - 05:54

Moldavie. Pendant que le monde a le regard braqué  sur l’Ukraine, le Kremlin tente de faire basculer dans son orbite les derniers gouvernements proeuropéens.

S’il n’en tenait qu’à Mihail Formuzal, la révolution de Kiev n’aurait jamais eu lieu; la Moldavie n’opterait pas pour l’Europe mais pour la Russie et le projet d’accord d’association avec l’UE filerait aux oubliettes. Mihail Formuzal, 54 ans, est président du district autonome de Gagaouzie (ndlr: pays des taureaux du ciel bleu). Début février, il a lancé un référendum parmi les 155 000 ressortissants de la minorité turcophone mais chrétienne orthodoxe des Gagaouzes pour savoir s’ils préféraient adhérer à l’Union douanière proposée par la Russie ou collaborer avec l’Union européenne. Résultat: 98,5% des personnes interrogées ont choisi la Russie (68 000 voix contre 1900).

En Moldavie, les Gagaouzes passent pour la cinquième colonne de Moscou. Mihail Formuzal a été major d’artillerie dans l’armée soviétique et son bureau de la rue Lénine donne sur une immense statue du révolutionnaire. «Mon fils étudie en Allemagne. Les valeurs européennes nous plaisent mais pas vos mariages homos.» Le week-end décisif à Kiev, il a envoyé un télégramme de solidarité aux partisans de Viktor Ianoukovitch. Il lui offrait de l’aide: la Moldavie accueillerait les policiers blessés des forces spéciales Berkut – ceux-là mêmes qui tiraient à balles réelles contre les manifestants, les séides de l’ancien régime.

Objectif: détacher la Moldavie de l’UE. Or Moscou noyaute précisément les dernières républiques proeuropéennes de sa zone d’influence. La Moldavie est l’une d’elles. Plus petite que la Suisse, peuplée de 3,6 millions d’habitants, elle a quitté l’orbite soviétique en 1991, même si des communistes y régnaient encore jusqu’en 2009. Une coalition proeuropéenne est désormais au pouvoir et la Moldavie a signé avec l’UE un accord d’association qui doit être ratifié en août.

Mais pas sûr qu’on y arrive. Car le Kremlin fournit de gros efforts ces jours pour détacher la Moldavie de l’UE. Et, pour y parvenir, elle se sert des Gagaouzes, dont la capitale, Comrat, une petite ville de 25 000 habitants, ne parle que le russe en dehors du gagaouze et regarde la première chaîne TV publique russe.

Le reste des Moldaves a aussi infléchi son attitude envers l’Europe: seuls 44% d’entre eux se disent partisans d’une intégration, tandis que croît de 30 à 40% la part de ceux qui sont favorables à une union douanière avec la Russie. Mihail Formuzal assure que le gouvernement a instauré une «démocratie africaine, qu’il distribue les prébendes aux camarades de parti et à leurs familles et qu’il ne reste rien pour les Gagaouzes. Nous voulons notre propre Etat, nous visons le même statut que la République de Transnistrie (ndlr: non reconnue par la communauté internationale).»

L’étroite bande de terre qui longe le Dniestr s’était séparée de la Moldavie au terme d’une guerre civile en 1992. Depuis lors, elle est maintenue sous assistance respiratoire par les subsides russes. L’ambassade de Russie à Chisinau, la capitale moldave, aurait déjà promis des mesures pour aider la Moldavie: du gaz à prix réduit et l’importation facilitée du vin moldave.

«Les gens ne ressentent pas d’amélioration de leur niveau de vie, un Moldave sur trois travaille à l’étranger, dont la plupart en Russie», raconte Victor Chirila, ex-conseiller du premier ministre libéral Vladimir Filat, contraint à la démission l’an dernier à la suite de divers scandales. «Soixante pour cent des Moldaves pensent que les choses allaient mieux à l’époque soviétique. Et maintenant, avec son union douanière, la Russie leur propose pour la première fois une alternative et le sentiment trompeur de se retrouver dans le giron de l’Empire. Ils ne comprennent pas ce que l’UE signifie.»

La peur du modèle ukrainien. Il est possible qu’à l’automne les communistes remportent les élections parlementaires. Si le gouvernement actuel ratifiait l’accord d’association avec l’UE en août, le nouveau cabinet l’annulerait peut-être immédiatement. C’est précisément à cela que travaillent les Russes. Depuis plusieurs semaines, ils mettent des embûches à l’importation des vins moldaves, rapatrient leurs fonds déposés dans les banques du pays et remettent en cause le statut des travailleurs moldaves en Russie, dont les envois d’argent à la maison font largement vivre la population. Sans parler des provocations incessantes à la frontière entre la Transnistrie et le reste du pays.

Victor Chirila assure que Moscou subsidie la Transnistrie à hauteur de 30 millions de dollars par an. Sans compter les prestations complémentaires payées à tout fonctionnaire et retraité de l’Etat. La rumeur court, ajoute-t-il, que la Russie s’apprête à acheter des députés moldaves. Facile, car la majorité de la coalition au pouvoir n’est que de trois sièges.

Lundi dernier, les ministres des Affaires étrangères français, Laurent Fabius, et allemand, Frank-Walter Steinmeier, ont fait le voyage à Chisinau, avant de se rendre en Géorgie pour rassurer ces deux amis de l’UE dans la zone d’influence russe. «Nous savons que la Russie tente d’acheter une partie de la République de Moldavie», confirme Graham Watson, référent pour le pays au sein du Parlement européen. Car Moscou veut à tout prix éviter que le modèle ukrainien ne fasse des émules dans d’autres républiques voisines.

© Der Spiegel Traduction et Adaptation Gian Pozzy

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Ramin Mazur / EST&OST | Der Spiegel
Rubrique Une: 
Pagination: 
Pagination visible
Gratuit: 

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles