Quantcast
Channel: L'Hebdo - Cadrages
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Chinois, pourquoi ils nous aiment

$
0
0
Jeudi, 11 Juillet, 2013 - 06:00

LIBRE-ECHANGE. L’accord signé le 6 juillet dernier entre la Suisse et la Chine est révélateur des bonnes relations commerciales entre les deux pays,  mais aussi de l’extrême bienveillance et de l’admiration que l’Empire du Milieu porte au «jardin du monde», depuis bien plus longtemps qu’on ne le croit.

Il est un jardin où l’herbe est toujours restée verte, l’air pur. Un jardin authentique, où l’eau des sources est claire, si claire que l’on peut la boire les yeux fermés. C’est le «jardin du monde». C’est la Suisse… telle que la perçoivent les Chinois, à commencer par l’ex-président Hu Jintao, qui avait ainsi qualifié notre pays en recevant Doris Leuthard en 2010. Un pays idyllique avec lequel Pékin a signé, le 6 juillet dernier, un accord de libre-échange. Une signature historique, presque une première européenne (l’Islande a raflé la place en avril dernier), qui ne peut que réjouir les habitants de l’Empire du Milieu.

«Les médias chinois, et donc la population chinoise, ont beaucoup suivi la conclusion des négociations avec la Suisse durant la visite du premier ministre Li Keqiang à Berne. Le gouvernement n’aurait jamais choisi un partenaire commercial qui n’a pas la cote», assure depuis Pékin Gautier Chiarini, ancien conseiller à la section politique et ancien chef de la section de la culture de l’ambassade de Suisse en Chine. Au-delà des avantages commerciaux qu’institue l’accord, la Suisse bénéficie d’une aura de sympathie tout à fait exceptionnelle auprès des Chinois. D’autant plus exceptionnelle en regard de la taille de notre pays: minuscule, à l’échelle chinoise.

Beau jardin, riches jardiniers. Avec ses beaux paysages, sa propreté, son calme, sa sécurité et ses citoyens polis, la Suisse nourrit l’admiration des Chinois, plutôt habitués aux métropoles grises et ultrapolluées de Pékin, Shanghai ou Shenzhen. Et ce avant même de mettre les pieds dans nos contrées. «Depuis que je suis enfant, je sais que la Suisse offre une bonne qualité de vie et que c’est un pays où l’on peut bien vivre», explique Jun Yuan, 31 ans, un Shanghaien arrivé dans notre pays en 2008 pour suivre un cursus en photographie à l’Ecal. Ses compatriotes ont avant tout la conviction que la Suisse est un pays très riche, avec beaucoup de banques, de millionnaires et, bien sûr, de montres de luxe, symbole de la haute qualité du Swiss made. «Les Chinois sont des matérialistes. Etre un pays riche, c’est bon signe», renchérit Blaise Godet. Mais, rappelle l’ancien ambassadeur de Suisse en Chine, il ne faut pas surestimer la connaissance qu’ont les Chinois de la Suisse: «L’homme de la rue peut tout ignorer de notre pays.» Dans l’Empire du Milieu, on confond du reste fréquemment la Suisse (Ruishi) avec la Suède (Ruidian) et nos fromages avec les Volvo.

C’est surtout auprès des classes moyennes chinoises que le mythe du paradis helvétique est le plus prégnant. En progression constante, elles sont essentiellement composées de jeunes cadres qui ont les capacités financières pour voyager à l’étranger. Ces Chinois-là connaissent les noms de Lucerne, Genève, Zurich – pour leurs lacs et leurs boutiques de luxe –, mais aussi les marques touristiques que sont Interlaken, le Jungfraujoch et le Cervin. Des noms associés aux prairies vertes, aux vaches et au cor des Alpes. Cliché? «Oui, mais après tout, les Suisses voient aussi les Chinois de façon stéréotypée. On pense que c’est un pays où il n’y a qu’un seul journal, aucune voix dissonante, et où tout le monde porterait un col et une casquette Mao», constate une sinophone et sinophile qui a vécu plusieurs années en Chine.

Surtout, on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Plus on s’éloigne de l’Europe, plus les clichés de cartes postales fonctionnent pour vendre la Suisse. En 2012, le nombre de nuitées de touristes chinois en Suisse s’est élevé à 835 699, soit 23,4% de plus qu’en 2011. Et, entre 2005 et 2011, la progression du volume de nuitées a été de 28% en Europe et… 117% en Suisse! «Notre pays est souvent une étape d’un voyage multidestination pour découvrir l’Europe. Mais nous essayons maintenant d’encourager les voyages à destination de la Suisse exclusivement», précise Véronique Kanel, porte-parole de Suisse Tourisme. L’ouverture, en mai dernier, d’une ligne directe Genève-Pékin chez Air China va certainement jouer un rôle positif dans cette stratégie.

Nains de jardin agréés. Si les Chinois comme Jun Yuan connaissent la Suisse depuis leur enfance, c’est notamment grâce aux reportages TV et autres opérations touristiques. Mais c’est aussi parce qu’ils ont été encouragés par le Parti communiste chinois (PCC) à aimer notre pays. En 2004, la Suisse est par exemple devenue l’un des premiers Etats à être estampillé «destination de voyage agréée» par Pékin. Ce qui signifie que les groupes de touristes peuvent se rendre sur notre territoire sans autorisation de sortie officielle du PCC. Contrepartie? Les opérateurs helvétiques peuvent faire leur publicité sans restriction en République populaire de Chine (RPC).

Cette bienveillance des autorités chinoises à notre égard est tout sauf un hasard: Berne a été parmi les toutes premières capitales à reconnaître la RPC, le 17 janvier 1950. Le télégramme envoyé à cette occasion par le président de la Confédération Max Petitpierre à «Son Excellence Monsieur le Président Mao Tsé Toung» est clair (voir fac-similé ci-contre): «le Conseil fédéral (…) [forme] le vœu que continuent à l’avenir les excellentes relations qui ont toujours existé entre la Suisse et la Chine.»

Trente ans plus tôt en effet, déjà «animées du désir d’établir des liens d’amitié entre les deux pays», la Confédération suisse et la Chine signaient leur premier «traité d’amitié». C’était le 13 juin 1918. Le texte a permis à la Suisse d’obtenir, en Chine, un certain nombre d’avantages qui appartenaient déjà à la plupart des nations, tels que des droits et privilèges à ses agents diplomatiques.

Mais il faut remonter encore plus loin dans le temps pour comprendre la bonne image dont jouit aujourd’hui la Suisse en Chine: au XVIIIe siècle. Lors de trois longs voyages entre 1779 et 1793, Charles de Constant, neveu de Benjamin, faisait déjà des affaires à Canton et rédige Notes sur la Chine et les Chinois. «Même la fascination pour les montres est de longue date, ajoute Gérald Béroud, fondateur de Sinoptic, plateforme de services et études du monde chinois. Franz Stadlin, frère jésuite et maître horloger (1658-1740), a travaillé trente-trois ans en Chine, et y a été au service de l’empereur jusqu’à sa mort.»

De plus, traumatisée par les invasions étrangères passées, la Chine nourrit un certain respect pour l’histoire internationale de la Suisse qui, contrairement aux Français, Allemands et Britanniques, n’a jamais eu de concessions en Chine. De plus, elle n’a ni participé aux guerres de l’opium ni à la Seconde Guerre mondiale. Enfin, contrairement aux Américains, la Suisse ne cherche pas à s’immiscer dans ses affaires internes et ne dispose pas d’un grand pouvoir de coercition.

Pourtant, notre pays incarne, a priori, un modèle politique opposé à celui de la Chine. Une démocratie semi-directe basée sur le pluripartisme, un Etat fédéral officiellement plurilingue. Alors, en portant la Suisse aux nues auprès de Chinois habitués au règne d’un parti unique et de l’ethnie Han, le PCC ne scie-t-il pas la branche sur laquelle il est assis? «Non, la Suisse donne l’idée d’un pays qui respecte ses minorités et c’est l’image que la Chine veut se donner», répondent plusieurs expatriés. L’ex-ambassadeur Blaise Godet rappelle aussi que les dirigeants chinois admirent la stabilité politique dont a fait preuve la Suisse à travers l’histoire. «Le peuple suisse a son mot à dire et ça marche. C’est cela qui compte, même si notre système est différent du leur. Par ailleurs, si le pluripartisme est aujourd’hui encore tabou, les dirigeants ne disent pas que ça n’arrivera jamais.»

Etudiant en master à l’EPFL, Peng Cui, 25 ans, arrivé en Suisse en 2011, estime que les deux pays partagent un certain sens du pragmatisme qui fait que «ce n’est pas difficile pour eux de s’entendre».

Admiré, respecté des Chinois et de leurs dirigeants, le petit jardin helvétique reste pourtant en partie méconnu. Les Chinois connaissent encore mal tout ce qui se fait dans les domaines de l’innovation, de la technologie de pointe ou encore de l’éducation, même si des noms comme Novartis et Nestlé restent célèbres. «Nous avons par exemple de très bonnes universités mais peu d’étudiants chinois, et pas toujours les meilleurs. Nos plus gros concurrents sont les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la France ou l’Allemagne», regrette, depuis Shanghai, Pascal Marmier, directeur de swiss­nex China, organisation gouvernementale qui promeut l’excellence helvétique dans ces trois domaines. Si la Suisse souffre d’un déficit d’image en matière d’innovation et de technologie, le storytelling du tourisme helvétique n’en tient paradoxalement pas compte. «Notre mission est de vendre les aspects touristiques de la Suisse qui intéressent les Chinois de prime abord», rétorque Véronique Kanel. Chez Présence Suisse, on préfère couper la poire en deux. «Nous travaillons sur des domaines plus ou moins clichés pour élargir la connaissance que les Chinois en ont. Par exemple, l’horlogerie est un bon trait d’union entre le stéréotype et l’esprit innovateur qui caractérise notre industrie», détaille Nicolas Bideau, directeur de l’organe fédéral chargé de la promotion de la Suisse à l’étranger.

Mauvaises herbes. La Suisse a beau être le «jardin du monde», elle n’échappe pas pour autant à ce que les Chinois considèrent comme de mauvaises herbes. Ainsi, ils n’ignorent pas que la Confédération abrite la deuxième plus grande communauté tibétaine hors d’Asie. En 1999, des manifestants pro-tibétains débarqués à Berne en pleine visite officielle de Jiang Zemin lui avaient fait piquer une colère noire. Et, en 2010, l’accueil par le Jura de deux réfugiés ouïgours, ex-prisonniers de Guantánamo, a aussi fortement courroucé Pékin. Mais sans dommages collatéraux – au contraire de la Suède dont les négociations commerciales avec l’Empire du Milieu ont été rompues depuis qu’elle a décerné le prix Nobel au dissident chinois Liu Xiaobo.

Laboratoire.«En définitive, les Chinois ont fait leurs comptes, et négocier avec nous sert leurs intérêts. La Suisse est à leurs yeux un laboratoire pour comprendre l’Union européenne. Cet accord de libre-échange est un test. Il prouve que la Chine peut mener des affaires avec un pays qui est réputé dur dans les négociations commerciales», développe Blaise Godet. Et, du côté de Berne, que fait-on des droits de l’homme? «Ce serait évidemment mieux de revivifier le dialogue bilatéral à ce sujet, mais croire que la Suisse seule va réussir à faire bouger les choses n’est pas réaliste, déclare Luzius Wasescha, ancien ambassadeur suisse à l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Laisser échapper un accord qui nous offre de meilleures conditions d’exportation que le Japon, l’UE et les Etats-Unis n’aurait pas été une politique orientée vers l’avenir.»

Du côté de la population chinoise, les critiques envers la Suisse semblent tout autres. «Les Chinois que je connais qui se sont installés en Suisse trouvent souvent que c’est ennuyeux», observe Gautier Chiarini. «Je pensais que Lausanne était comme Paris, et quand je suis arrivé, j’ai été un peu déçu, renchérit Jun Yuan. La première fois que j’ai mis les pieds à Berne, j’ai carrément cru que c’était le Moyen Age!» Sans compter l’heure de fermeture des magasins, prématurée pour les accros du shopping que sont les Chinois. Peng, lui, retient surtout les durées de nos vacances et s’en réjouit.

Quand on se trouve enfin dans le «jardin du monde», comment refuser de s’y prélasser?

Lire aussi:
- Ambitions suisses, lenteurs chinoises
- Pascal Lamy: "Le pique-bœuf helvétique se débrouille très bien"


Quelques chiffres

5850 francs
Le PIB par habitant de la République populaire de Chine (RPC) en 2012. Il devrait atteindre 6390 francs en 2013. En 2012, le PIB par habitant de la Suisse a atteint 68 536 francs. 

670 milliards de francs
La dette extérieure de la RPC en 2011, selon les estimations du «World Factbook». La même année, la dette extérieure des Etats-Unis est estimée à 13 500 milliards de francs.

7,8 milliards de francs
La valeur des marchandises que la Suisse a exportées vers la Chine en 2012 (3,7% des exportations totales). Les exportations vers les Etats-Unis se sont élevées à 23,5 milliards de francs (11,1%) et celles vers l’Union européenne à 117,9 milliards de francs (55,7%). La même année, les importations depuis la Chine se sont élevées à 10,3 milliards de francs (5,5% des importations totales). Les importations depuis les Etats-Unis se sont élevées à 10,5 milliards de francs (5,7%) et celles depuis l’UE à 138,3 milliards de francs (74,6%).

24 rencontres
Le nombre de consultations économiques bilatérales et d’importantes visites qui ont eu lieu entre dirigeants suisses et chinois de 2008 à 2013.

1152 pages
La longueur de l’accord de libre-échange entre la Suisse et la Chine, signé le 6 juillet à Pékin, accords connexes et annexes inclus! Le texte devrait entrer en vigueur d’ici à juin 2014.


Première en Chine: Swiss Business Awards

Les entreprises privées jouent un rôle important dans le maintien des bonnes relations entre la Suisse et la Chine. C’est ce qu’a voulu rappeler la Chambre de commerce sino-suisse à Pékin (SwissCham Beijing) en organisant les premiers Swiss Business Awards, qui ont distingué des entreprises pour leur performance et pour avoir contribué à promouvoir le commerce extérieur helvétique ainsi que la Suisse en Chine. «Il est important de célébrer le succès, surtout en période d’incertitude. De nombreuses entreprises helvétiques, petites et grandes, ont fait preuve de détermination, de courage et de talent dans leur aventure entrepreneuriale en Chine. En même temps, les entrepreneurs et hommes d’affaires chinois ne se sont pas endormis sur leurs lauriers et ont exécuté un travail remarquable», a déclaré dans un élan d’enthousiasme l’ambassadeur de Suisse en Chine, Jacques de Watteville.

L’événement – qui a eu lieu à Pékin le 6 juillet, soit le jour même de la signature de l’accord de libre-échange – faisait partie intégrante du programme de la délégation emmenée par Johann Schneider-Ammann. Le conseiller fédéral et chef du Département de l’économie a participé à la remise de prix aux côtés de nombreux hommes d’affaires et leaders politiques tels que Rudolf Wehrli, président sortant d’Economiesuisse, ou Ruth Metzler, ancienne conseillère fédérale et présidente du conseil d’administration de Switzerland Global Enterprise, autrefois Osec.

De leurs mains, ils ont récompensé 5 des 14 sélectionnés, des entreprises suisses faisant des affaires en Chine ou des entreprises chinoises entretenant des liens étroits avec la Suisse. Après délibération d’un jury indépendant, le prix de l’innovateur de l’année est ainsi revenu à la société d’ingénierie ABB Chine; celui de la responsabilité sociale d’entreprise au producteur de ciment Holcim; celui de la start-up de l’année à Swisstouches Hotels and Resorts; celui de la réussite exceptionnelle à Nestlé Chine; tandis que le prix de l’investisseur chinois en Suisse a été décerné au géant pétrolier Sinopec (Addax Petroleum).

Edition: 
Rubrique Print: 
Image: 
Andy Mettler
Reuters/China daily
DR
Keystone
Per-Anders Pettersson, Getty Images
SwissCham Beijing
Rubrique Une: 
Auteur: 
Pagination: 
Pagination visible

Viewing all articles
Browse latest Browse all 2205

Trending Articles